1.4

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Les journées se succédaient. Les nuits relayaient les matinées avec une régularité de métronomes. Ainsi, la vie passait. Les bains quotidiens saturés de mousse enveloppaient mon corps d’un léger film parfumé qui ravivait la douceur de ma peau. Christian me rejoignait souvent dans cet élixir d’amour. Je me sentais bien dans cette oasis de paix. Pleine d’une joie fiévreuse à l’idée qu’il vienne me rejoindre. Il n’était pas rentré cette nuit. Ça lui arrivait parfois. Je le soupçonnais de guetter le moment de mon bain pour rentrer. Au début, je pensais à une coïncidence. Mais l’expérience aidant, je me rendis vite compte qu’il s’arrangeait pour surprendre la naïade rêvant d’apothéose. Les yeux fermés, je restais là, alanguie, souhaitant sa présence.

Le téléphone sonna. Je le gardais toujours à proximité. J’imagine que vous devez rigoler, non ? Une vraie caricature. Pensez ce que vous voulez. J’étais amoureuse d’un homme amoureux, alors oui, parce qu’il avait écroué ma solitude, dirigé mes pas, dissipé mes déséquilibres, je m’étais donnée corps et âme à cet être magnifique.

Le portable sonnait.

— Allo.

Le portable sonnait toujours.

— Allo.

Je le regardais surprise. Il me fallut qu’un instant pour surgir de mon bain. Je balançai le portable inutile.

— Christian, non, pas ça.

Le portable sonnait

La planque sous la baignoire.

Vide.

— Où est donc ce foutu portable ?

Il sonnait. Je sautai dans les escaliers, culbutai les marches une à une.

Le portable sonnait toujours. Je courrai vers l’autre planque, celle de l’entrée.

— Allo !

— Hélène, Christian est mort. Foutez le camp de là. Laissez tout derrière vous.

Toute en désordre, je me vêtis de fringues et sortis de la maison. L'instinct de survie m’empêcha de m’écrouler. Je fuis. Je savais que je quittais à jamais ce havre de paix.

— Allo, Cathy ?

— Ouais.

— Prends Kevin avec toi et partez sur le champ.

— Oh, attends un peu, calme-toi, qu’est-ce qui s’p… ?

— Il faut que tu partes de chez toi.

— Quoi ?

— Ils ont abattu Christian, il pourrait s’en prendre à Pierre.

— Oh, merde.

— Quoi qu’est-ce qui se passe, Cathy ?

— Y a deux types armés dans la cour.

— Prends Kevin et tire-toi, j'arrive !

Hélène avait raison. Il fallait déguerpir.

Je me précipitai vers la mezzanine. En passant, je vérifiai la chambre. Kevin jouait.

— Pierre, Pierre, il faut qu’on déguerpisse d’ici.

Pierre, toujours plongé dans ses compositions, casque sur les oreilles, n’entendait rien. Les hommes longeaient les baies vitrées. Je revins sur mes pas.

Kevin se déchaînait sur sa console.

— Viens vite. Allez, lâche ça !

— Qu’est-ce qui se passe maman ?

— Suis-moi, on va se cacher.

— Où êtes-vous ?

— Dans une planque aménagée, dans la chambre.

— Restez-y, j’arrive. Pierre est avec vous ?

— Non, il est resté dans le salon.

Mon programme avançait bien. En dehors de mon travail, la musique électronique occupait tout mon temps libre, enfin ce qu’il en restait. Immergé dans la MAO, je n’entendis pas les deux collègues entrés.

— Oh, jamais vous prévenez avant d’entrer. Vous m’avez fait peur, les gars.

— Dis-moi, Pierre, les sachets sur la table, c’est de la coke ?

— Justement, j’en étais à l’apéro.

L'un des types s’était déjà précipité sur le psychotrope.

— Putain, elle en jette.

  • Seulement, y a un problème.

— Qu’est-ce qui se passe, Marc ?

— Le patron n’est pas content.

— Cathy, je suis à l’entrée, sur la terrasse, je vois Pierre et les deux autres, ne bouge pas, attends mon feu vert !

— Il subodore une combine.

— Il vous soupçonne, Christian et toi, de vendre de la coke à votre profit.

— Tu comprends bien qu’il est un peu vénère et déçu.

— Vous me connaissez, je suis droit comme la justice.

— Ecoute moi bien. La mort n’est rien. C’est l’agonie qui fait toute la différence.

Il enclencha le hachoir à viande.

— Putain, éteins ce hachoir, bordel !

— Papa !

— Chut !

— Bien ! maintenant que j’ai toute ton attention. Dis-nous la vérité.

— Lâche-moi le bras !

— On a tout notre temps, tu sais.

— Je n’ai embrouillé personne.

— Comme tu voudras.

— Arrêtez, arrêtez. J’ai une femme et un gosse.

— Maintenant !

Ils se faufilèrent jusqu’à la terrasse.

— Il suffit juste que tu nous dises la vérité, c’est quand même pas le bout du monde.

— Sinon, tu perdras la vie à petit feu. Et crois-moi ça risque d’être douloureux, tu veux un exemple ?

— Non, non, je vous crois sur parole.

— Alors, accouche nom de Dieu !

— J’avais des dettes, vous aurez votre part.

— Ben voyons ! Dis-moi, Cathy est là ?

— Non, ils sont partis chez la grand-mère.

— Ah bon ? Comment se fait-il que sa voiture soit encore là ?

— Je les ai accompagnés au train.

— Allez, on y va. Kevin suis moi, et toi Cathy, tu ne t’appelles pas Edith, alors ne te retourne pas, Sodome n'existe plus.

Cathy jeta un coup d'œil vers la baie vitrée. La balle percuta le crâne de Pierre. Cathy poussa un hurlement.

— Putain, Marc, les femmes et le gosse sont dans la cour.

Les tueurs sortirent. Cathy trébucha. Hélène démarra et, pour protéger son amie, bouscula les deux tireurs. Cathy, traînant Kevin, profita de l'offensive pour s'engouffrer dans la voiture. Ils s’enfuirent sous le tir soutenu des balles.

— On va à la planque.

— C’est ça ouais. Ils y sont déjà à la planque. Ils sont partout.

— Cathy, calme-toi.

Quelques prises de coke atténuèrent pour un temps son stress. Cathy se nettoya le nez.

— Putain, il m’avait dit qu’ils ne s’en prendraient jamais à nos familles.

— Marraine, tu penses que papa va s’en sortir ?

— Oui, Kevin, il va nous rejoindre.

Les deux femmes se regardèrent. L'affaire était entendue, malgré les scrupules.

— Christian m’a dit que Paul pourrait nous aider.

— Paul ? Mais il s’est retiré des affaires. Il ne pourra rien pour nous.

— Ce Marc-là, il fait partie de quelle faction ?

— Mais je n’en sais rien moi.

— Tout ce cirque vient de Marie, alors ?

— Elle vit sur LB50 maintenant, elle a d’autres chats à fouetter.

— Il ne reste plus que Patrick.

— C’est probable. Il dirige le clan.

— Putain, les v’la qui nous barrent le chemin.

— Vite, Hélène recule.

— Ils nous tirent dessus.

— Kevin baisse-toi.

— Merde, ils nous prennent en sandwich, accrochez-vous, j’accélère.

Le véhicule percuta le flanc du pick-up. Les deux types volèrent dans les airs. Les autres continuèrent à tirer. Cathy sortit du véhicule, emmena Kevin et disparut dans une ruelle. Je tentai de les suivre.

— Cathy !

Les deux voitures explosèrent. Portée par le souffle et protégée par la fumée, je réussis à me faufiler dans une rue. Je frappai aux portes, implorante. Une seule s’ouvrit. Elle donnait sur une maison délabrée dont le mur effondré donnait sur un parc. La planque était de l’autre côté.

Elle était vétuste. Un lit pourri trônait au milieu. Et dire que Christian me semblait la carte gagnante pour sortir de ma condition. Je m’étais lourdement trompée. Et pour arranger les choses plus aucune nouvelle de Cathy ni de Kevin. Fugitive et la tête mise à prix, je me retrouvais plus minable qu’avant.

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