3.4
— On est en train de t’arnaquer. Tous les billets font cent dix centigrammes. Ce décigramme fait toute la différence.
— Il semble tout à fait bon.
— Celui-là est trop léger.
— Je ne vois rien.
— Bien sûr. Il ne s’agit pas de la vue, mais du toucher. Et ce papier n’est pas le bon.
— T’en es certaine ?
— Ecoute quand j’ai rencontré Christian, je travaillais pour un mec qui s’enrichissait en échangeant l’argent de LB35 qui ne vaut rien contre des billets de Terre. Un jour, je suis revenue avec des faux billets. Il a pris son arme et m’a tiré dessus.
— Tu peux encore mourir dans ce foutu entrepôt minable, si tu les accuses à tort.
— J’ai failli mourir à l’hôpital. On ne m’a jamais plus refourgué de la fausse monnaie. Je la reconnais entre mille. Crois-moi, je ne fais plus jamais d’erreur.
Jacques entra. Il nous vit avec les billets dans les mains.
— Qu’est-ce qui se passe, il y a un blême ?
Jahyan hésita. Il toussa et prit le billet suspect. Il s’approcha de Jacques.
— Je vais devoir peser ce billet.
— Attends, qu’est-ce que tu me fais. Depuis le temps qu’on se connaît, tu penses que je veux t’embrouiller ?
— Je veux juste peser le billet. Histoire de rassurer la gonzesse. Tu permets ?
Il fit un geste des deux mains et donna son accord. Il sortit un flingue.
— Si tu es venue pour foutre la merde, c’est à coup de bastos que tu vas sortir d’ici.
Je ne bougeais pas et attendis patiemment le résultat, sans broncher.
Jahyan attendit ma décision.
— Vas y, il manque le décigramme.
Jahyan posa le billet sur la balance. Jacques observait. Les chiffres me donnèrent raison. Elle indiquait un gramme. Jacques sortit un billet de sa poche.
— Pèse-le. Celui-là, je sais qu’il est bon.
— Cent dix grammes.
— Je ne comprends pas.
— Donne m’en un autre.
Je pris une autre liasse et sortit un faux billet.
— Celui-ci.
Jacques pointait toujours son arme sur moi.
— Un gramme.
Jahyan sortit son arme à son tour et braqua Jacques.
— Non fais pas l’con !
— T’essaies de m’la faire à l’envers.
— Attends.
Jacques se tourna vers l’excité.
— Tu peux m’expliquer ?
— Je ne comprends pas.
— Ecoute. A part toi et moi personne ne touche à l’argent.
— Tu penses que je refourgue de la fausse ?
— Oui !
— Tiens, voici les clefs d’mon appart. Tu peux vérifier si tu veux.
— Bien sûr que je vais vérifier.
— N’allez pas chez lui, ça ne servira à rien.
Jacques se tourna vers moi. Il me jugeait autrement.
— Il a planqué les billets dans sa voiture.
— Qu’est-ce que tu viens foutre la merde, toi.
— Les types planquent leur fric dans leur voiture. S’ils doivent s’enfuir, ça leur évite d’aller le chercher chez eux.
Jacques regarda son coéquipier.
— Tu vas tout de même pas la croire ?
— Pierre, monte la bagnole sur le pont et fouille là de fond en comble.
Tout le monde entoura le mécanicien. Il désossa la bagnole. Il ne trouva rien. Il en vint au châssis. Il dévissa une plaque moteur et les liasses de billet tombèrent par terre.
— Bon ok, j’ai une dette envers vous. Comment peut-on régler cette affaire ?
Jahyan se retourna vers moi.
— Qu’est-ce que t’en penses ?
— Rien. Ce n’est pas à moi de décider. Mais si j’étais vous, je le laisserai partir.
Jahyan laissa percer un sourire moqueur.
— L’important, c’est de respecter ses critères moraux. Jacques, je te laisse régler le problème.
Le soir tombait. Jahyan conduisait.
— J’imagine qu’il est mort ?
Jahyan ne répondit pas.
— Où allons nous ?
— Marie veut te voir.
J’entrai dans la boîte de nuit. Le rouge prédominait. Marie m’attendait au bar. Je m’assis en face d’elle et refusai le verre qu’elle m’offrait.
— Comment t’as su pour les faux billets.
— Christian m’a appris à décoder la fébrilité des gens.
— Peut-être, mais il ne t’a pas appris la sévérité. La pitié n’a pas lieu et place dans notre business. N’ai pas peur de t’affirmer en tant que femme. Tu ne peux t’offrir le luxe de l’indulgence.
— Je ne suis pas comme vous.
— Ecoute, je sais que tu voudrais être ailleurs. Il n’y a pas que toi qui as tout perdu en venant sur LB50. J’ai tout quitté. Mon mari, et mon entreprise et j’ai perdu ma fille.
— Je suis fatiguée.
— Jahyan va te raccompagner.
Quand j’arrivais dans l’entrepôt, Cathy me téléphona. Son avion puait le kérosène.
— Dis moi que ça vaut le coup de venir sur LB50. Que cette planète n’est pas aussi pourrie qu’on le dit.
Un type injectait la dose quotidienne de coke à une pauvre fille. Ce soir, elle se prostituerait.
— Tout le monde est mort. Pierre, Christian et tant d’autre. Tu n’as pas le choix. Si Paul te trouve, vous êtes morts. Alors, tu as bien fait de prendre cet avion..
Cathy ne répondit rien.
— Je sais que tu as peur. Alors si tu veux, on reste ensemble tant que la batterie fonctionne. Comme ça, on se réconfortera le temps du voyage.
— T’es gentille mais il faut que tu dormes. Je t’embrasse.
Cathy raccrocha.
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