Chapitre 7 - Achalmy
An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, campement du Rituel de Maturité, Terres du Nord.
Revenir dans le Nord était une expérience douce-amère. La neige, les journées de marche, l’odeur de la viande sauvage grillant sur les feux de camp, la sincérité et la simplicité de mon peuple me rappelaient l’enfance bienheureuse et l’adolescence riche que j’avais eues. Cependant, le Rituel de Maturité avait ramené ce qui me blessait le plus : être un guerrier reconnu par les Maîtres d’Armes, mais non par mon peuple ; la culpabilité d’avoir quitté Zane sans prendre conscience de tout ce qu’il m’avait offert ; et, finalement, mon crétin de père.
Je n’aurais pas dû être étonné de sa présence ; après tout, il était lui aussi un Maître d’Armes. Ami d’enfance de Zane, ils avaient commencé à déambuler ensemble dans les bois alentours de leur village de naissance, avaient échangé l’un contre l’autre leurs premiers coups de branches, avaient découvert au même moment leur goût pour l’art du combat, et avaient décidé tous les deux de devenir de puissants guerriers.
Mon père s’était légèrement écarté de la voie du combattant en rencontrant ma mère vers vingt ans. J’étais né trois ans plus tard et la mort de sa compagne l’avait ramené sur le chemin des Maîtres d’Armes. Il avait eu ce titre quelques années après Zane et s’y était pleinement dévoué pour contrer le chagrin de la perte de sa bien-aimée. J’aurais fait preuve de mauvaise foi en affirmant que j’avais passé une enfance triste avec lui. Mes cinq premières années étaient un flou dont je me rappelais essentiellement les longues journées de marche que je finissais souvent dans les bras de mon père, épuisé comme un jeune enfant peut l’être, et les difficultés de la vie au pied des monts.
Quand il avait constaté que son goût pour les armes et le combat était toujours plus grand, mon père était descendu à la limite occidentale pour s’installer dans un hameau et perfectionner son art. Cette période avait été plus agréable et heureuse.
Deux ans plus tard, il me confiait à Zane.
Cette décision, qu’il avait prise un peu brutalement, avait chamboulé ma vie de manière significative. Je n’étais qu’un enfant qui n’avait que son père. Je m’étais fait quelques camarades dans le hameau et je dus les quitter du jour au lendemain pour descendre dans l’Ouest retrouver l’ami d’enfance de mon paternel. L’homme ne m’était pas inconnu : je l’avais rencontré à plusieurs reprises durant mes premières années de vie. Mais il n’avait pas le sourire complice de mon père, ni ses yeux si familiers et son aura rassurante.
Déboussolé, j’avais dû dire adieu à mon père. Celui-ci avait pris la décision de confier mon apprentissage des armes, lettres et chiffres à son fidèle ami, car il estimait qu’il n’était pas doué pour ces tâches. Même si, aujourd’hui, je savais que mon père n’avait jamais pris d’élève et s’était consacré à améliorer encore et toujours ses compétences, ce vif sentiment de trahison subsistait encore. Passés la perplexité de sa décision et le chagrin de son absence, mon père avait suscité chez moi la rancœur et la colère.
Il était passé au moins une fois par an me voir. Jusqu’à mes dix ans, je l’avais accueilli avec des larmes et de fortes embrassades. Après quoi, constatant qu’il n’avait pas l’intention de me reprendre avec lui ou de rester plus d’une semaine chez Zane, mon cœur s’était flétri comme une plante trop arrosée.
Je m’étais senti trahi. Abandonné et mal aimé.
L’adolescence n’y avait rien arrangé. À chacune de ses visites, je m’enfuyais dans les petits bois alentours et y passais parfois plusieurs jours. Je l’entendais m’appeler. Je n’avais jamais répondu.
Quelques jours après mes seize ans, mon père était revenu. C’était l’hiver et il neigeait abondement. J’arrivais à la fin de mon apprentissage. Déjà neuf ans que le domaine de Zane était devenu mon nouveau foyer. J’étais un jeune homme qui n’ignorait pas la chance qu’il avait eue d’être formé par un homme aussi doué que Zane. Arrogant, borné et nonchalant, c’était moi qui étais allé ouvrir la porte de la grande cabane lorsque des coups avaient été donnés contre.
J’étais resté muet de stupéfaction devant mon père.
Je me rappelais ce que j’avais pensé : « Il est petit et vieux. »
Parti le grand homme que j’admirais enfant pour sa force et sa vaillance. Envolée la fougue de la jeunesse, affaissée la stature avec laquelle il se tenait autrefois si droit. Trente-neuf ans. Il en faisait sûrement moins que de nombreux hommes de son âge, mais il n’avait pas l’allure de ses vingt-cinq. Aujourd’hui, je devais reconnaître que mon jugement avait été faussé par les souvenirs que je me faisais de lui.
Non seulement déçu de le voir amoindri par les ans, une colère terrible s’était emparée de moi à sa vue et, sans que Zane n’eût le temps de m’arrêter ou mon père de se défendre, je lui avais planté mon poing en pleine face. S’en était suivi un silence stupéfait durant lequel Zane nous avait observés avec consternation, où j’avais fusillé mon père du regard alors que celui-ci me dévisageait avec interdiction. Le repas du soir avait été tendu. Les œillades que me jetait le paternel n’avaient fait qu’empirer ma mauvaise humeur.
Le lendemain, il me défiait en duel. Devant ma stupéfaction, il m’avait expliqué qu’il souhaitait évaluer mon niveau après ces neuf ans d’apprentissage.
L’occasion rêvée pour lui en faire baver après m’avoir abandonné.
Le duel s’était soldé après la destruction partielle du domaine de Zane, une tempête de neige, plusieurs os brisés, des contusions et des entailles. J’avais perdu. Je l’avais sous-estimé. Peut-être pas aussi grand et musclé que dans mon souvenir, mais tout aussi revêche.
Zane avait un regard bienveillant posé sur moi quand j’avais fini par laisser tomber mes deux sabres – nécessaires au style de combat à deux katanas de Zane – à bout de forces. Plusieurs de mes côtes étaient cassées, j’avais usé au maximum de mes dons sur l’eau et ses différents états, et une sale entaille à l’abdomen avait drainé mon sang et ma force.
Si je m’étais attendu à ce que mon père fût prévenant, je m’étais trompé. Il n’avait fait guère de différence entre moi et un autre de ses adversaires. Je lui avais brisé le poignet gauche et lui avais fait une légère entaille à la jambe tout en le forçant à utiliser le plus possible ses pouvoirs pour le fatiguer. Malheureusement, ça n’avait pas suffi.
Néanmoins, les yeux brillants de mon père étaient comme ancrés au fer rouge dans mon esprit lorsqu’il s’était approché de moi, son épée à la main. Posant son arme au sol, il s’était agenouillé près de moi et avait gelé la peau proche de mon entaille pour limiter l’hémorragie. Après quoi, il m’avait pris dans ses bras. Pris de court, je n’avais pas réagi. Ses larmes s’étaient mises à couler dans mon cou.
Plus tard, peut-être trop tard, j’avais compris que c’étaient des larmes de fierté.
Après s’être mis d’accord avec Zane, mon père avait décidé de m’accorder la Marque Noire. Encore aujourd’hui, je pensais qu’il n’avait pas été très objectif en décidant de me la donner alors que j’étais si jeune. Cette Marque n’était pas la seule chose qu’il m’avait confiée : c’était ce jour-là que j’avais reçu Kan et Eon, les précieux sabres élémentaires qui m’accompagnaient aujourd’hui. La première était une lame transmise de génération en génération dans la famille de mon père et Eon provenait du peuple de ma mère.
J’avais été mortifié de recevoir de telles lames. Je ne m’en estimais pas digne. Il n’existait aucun autre sabre connu pouvant faire appel à l’eau ou à la glace. Mon père avait été formel : le style qu’il avait développé se faisait à l’épée et mon combat à deux katanas était idéal pour utiliser les deux armes élémentaires. J’avais récupéré les fourreaux avec des mains tremblantes, mon esprit criant que mon père voulait se racheter, mon cœur se serrant de reconnaissance pour la confiance qu’avait mon géniteur pour moi.
Le tatouage de la Marque Noire avait été apposé. Un travail long, minutieux et douloureux. D’abord de fines entailles réalisées à l’aide d’un petit couteau à la pointe acérée. Les empêcher de cicatriser. Les remplir tous les jours, grâce à un bout de bois creux, d’encre noire. Il fallait souffrir pour être reconnu.
Mon père était reparti. Non sans avoir réussi à me serrer à nouveau dans ses bras tandis que je me reposais encore de notre duel. Alors que je sentais son souffle tiède contre ma joue, il avait dit qu’il m’aimait. Qu’il avait voulu le meilleur pour moi. Qu’il était fier du jeune homme que j’étais devenu.
Mes lèvres étaient restées pincées pour retenir les mots que je voulais lui dire en retour. Enfoiré. Lâche. Salaud. Reste. Ne t’en va pas. Merci. Tu es fort. Je voudrais devenir aussi fort que toi. Peut-être que je t’aime, moi aussi. Pourquoi ?
Apparemment mon expression lui avait suffi. Il m’avait regardé quelques secondes avant de me proposer de repartir avec lui dans le Nord.
Un choix terrible.
J’avais refusé. S’il avait su m’expliquer que son choix de me laisser à Zane relevait du désir du meilleur pour moi, mais aussi d’une certaine lâcheté, peut-être que j’aurais accepté.
Crispé, il avait hoché la tête. Zane l’avait accompagné jusqu’à l’entrée du domaine. Je les avais regardés échanger une embrassade fraternelle et quelques mots. Puis la silhouette de mon père s’était éloignée dans la brume matinale, tel un fantôme du passé retournant d’où il venait.
Et voilà que je le retrouvais.
Je filais dans l’ombre du soleil disparu qui s’étendait sur les monts, les cimes, les tentes. La fumée des feux créait une danse opaque dans le ciel d’un bleu qui ternissait. Les rires, les crépitements des flammes, les exclamations et les discussions emplissaient mes oreilles de promesses douloureuses. Depuis combien de temps n’avais-je pas partagé un simple repas auprès du feu avec des camarades Nordistes ?
Mon pas était déterminé, mon regard fixé sur la direction opposée à la tente des Maîtres d’Armes. Qu’est-ce que je faisais ? Pourquoi mes pieds refusaient-ils de faire demi-tour ? Je ne pouvais pas partir ainsi, tel un enfant boudeur. Je n’étais plus l’adolescent qui courait se cacher dans les bois quand son père le cherchait.
Serrant les dents, je me forçai à planter les talons dans la neige. Zane. Alice.
Alice.
— Merde ! grondai-je à voix basse. Fichu Zane. Idiote d’Alice. Crétin de père !
Agacé, je me tournai vers le camp. Les dernières lueurs du jour pâlissaient face aux éclats des astres. La lune, qui pointait son nez depuis plusieurs dizaines de minutes déjà, grossissait de satisfaction à retrouver son royaume. La nuit était un autre temps. Celui où tous les chats sont gris. Où l’on se murmure des promesses, des souvenirs ou des secrets. Celui où l’on partage un peu de chaleur dans l’intimité d’une tente. Ce moment d’apaisement où les regards brillaient dans les flammes, où les traits se détendaient après une dure journée.
Pourquoi ne pas en profiter ? Oublier que j’avais embarqué avec moi la princesse de l’Ouest sur un coup de tête pour occuper mon temps libre. Oublier que Zane attendait plus de moi que de l’effronterie et de l’arrogance. Oublier cet imbécile de paternel.
Cinq personnes auprès du feu : trois hommes et deux femmes. Mon âge ou à peu près. Quelques pièces de cuivre pour un bout de chevreuil qui cuisait, un peu d’alcool de mauvaise qualité et une petite couverture dans la tente. La promesse de chaleur féminine dans le regard brillant d’une jolie brunette qui dînait à côté de moi.
La lune était montée dans le ciel. Je me demandai s’ils étaient à ma recherche. Si Alice parcourait de ses yeux sombres le camp, si Zane me maudissait d’être parti comme ça, si mon père m’appelait.
Après avoir rempli ma panse et soulagé ma gorge d’alcool, j’admirai les étoiles, penché en arrière à même la neige. Dans les bois, des loups se lançaient des cris moqueurs. Ces animaux, ils me plaisaient. Leur liberté, leur sauvagerie, la lueur malicieuse dans leurs yeux brillants. Je les enviais.
Alors que mes pensées s’envolaient dans la brise froide de la nuit, une main douce et chaude se posa sur la mienne. Surpris, je tournai vivement la tête pour découvrir la jolie fille aux cheveux bruns coiffés en tresse. Ses yeux noisette m’observaient avec la curiosité de l’inconnu et un désir non caché.
— Belle nuit, souffla-t-elle d’une voix rendue rauque par la tentative de charme.
Estimant que ce que nous désirions tous les deux se passait de mots, je me contentai de me lever et d’indiquer la tente.
— Un peu d’intimité avant que tes camarades aillent se coucher ?
Dans un mouvement souple, elle se releva, révélant de longues jambes, et m’adressa un sourire charmeur. Je soulevai le pan à son passage et la rejoignis. Des couvertures en toile épaisse servaient de matelas et des fourrures empêchaient le froid de figer les membres en pleine nuit.
Elle s’occupa sans plus attendre de défaire mon manteau. À mon tour, je débouclai les attaches de sa veste en cuir agrémentée d’une capuche en fourrure, prenant plaisir à sentir ses mèches glisser sur mes doigts et sa chaleur s’échapper de ses vêtements.
Alors qu’elle me retirait ma dernière couche, elle plaqua sauvagement sa bouche contre la mienne. Dans un coin de mon esprit, une voix amusée songea que les femmes du Nord étaient moins coincées que celles de l’Ouest. Une autre, qui m’agaça alors que la chaleur montait entre la jeune femme et moi, répliqua qu’elles avaient d’autres qualités. Alice, son petit air farouche, ses yeux profonds et ses lèvres délicates.
Laisse-moi tranquille, princesse.
Quelques murmures à mon oreille susurrés d’une voix suave alors qu’une main descendait dans mon dos. Je ne prêtai guère attention aux mots et attrapai la brune par la taille pour l’entraîner au milieu des fourrures.
Peut-être le milieu de la nuit et toujours des voix dehors. Les Nordistes et leurs habitudes. Alors que la brunette dormait profondément à côté de moi, encore nue, je songeai que mon peuple m’avait manqué.
Frissonnant, je m’extirpai des fourrures et me rhabillai. Ce que qui venait de se produire entre la jolie brune et moi aurait fait rougir d’indignation Alice. Je n’allais sûrement pas lui expliquer que j’avais passé ma soirée contre la peau brûlante d’une jeune femme.
Je sortis de la tente en baillant. Les quatre autres camarades de la brunette discutaient toujours auprès d’un feu qu’ils alimentaient généreusement.
— Enfin terminé, soupira la fille. J’ai cru que vous en finissiez pas… Irina flambe plus fort que Galadriel !
Ils rirent. Irina. Elle s’appelait ainsi.
Sans un mot, je m’installai de nouveau face au feu. Je n’étais pas spécialement fatigué. Passé le contrecoup de nos ébats dans la tente, mon esprit était alerte et mon corps prêt à combattre si nécessaire.
— On va enfin pouvoir se coucher, soupira l’un des trois gars d’un air soulagé. C’était hors-de-question que je dorme dans la neige.
— Tu aurais pu les rejoindre, se moqua sa camarade en lui donnant un coup dans l’épaule. On sait qu’Irina fait baver tous les hommes.
— Et les femmes aussi, rétorqua vivement un autre en jetant un coup d’œil amusé à la fille.
— Allez-vous faire tailler par la faux de Lefk ! siffla la concernée en rougissant.
Irritée, elle se leva brusquement et entra dans la tente. Celui qui s’était moqué la suivit, quémandant son pardon.
Il ne restait plus que deux autres jeunes hommes. Ceux-ci tentèrent de m’amener à discuter avec eux, mais je n’étais pas d’humeur. Je ne pouvais m’empêcher de penser à Alice, à Zane et à mon père. Que faisaient-ils ? Comment la princesse allait réagir en faisant la connaissance des deux Maîtres d’Armes ?
Demain matin. Je les rejoindrai demain matin.
Alors que mes paupières se fermaient doucement, un murmure provenant d’un groupe de personnes sur ma droite ranima mon esprit.
— J’ai entendu ma cousine dire qu’une troupe royale avait franchi la frontière.
— Des soldats du roi ? Pourquoi faire ? Ils ne se mêlent jamais des affaires du Nord.
Je me redressai brutalement, alerte. Merde, c’est pas possible !
— Je les ai pas vus de mes propres yeux, grommela le premier, mais ma cousine oui. Elle les a aperçus au loin alors qu’elle descendait le campement. Il paraît qu’ils fouillent le camp à la recherche de quelqu’un.
— Un criminel ?
— J’en sais rien moi ! Mais, si tu veux mon avis, ces Occidentaux puant le parfum ne vont apporter que des problèmes.
Les rumeurs allaient plus vite dans un campement qu’une feuille emportée par un courant d’air. Et si ce que ces deux hommes disaient était vrai…
— Alice, soufflai-je en levant le nez en direction de la tente des Maîtres d’Armes.
Je ne pouvais pas la voir : j’étais loin et il faisait trop sombre. J’espérais que ma compagne de route était sagement restée avec Zane et mon père. Ils pourraient la défendre, la protéger. Mais Alice aurait aussi très bien pu partir à ma recherche. Je l’imaginais perdue au milieu du camp, m’appelant, me cherchant, aussi discrète au milieu de mon peuple qu’un coup de tonnerre dans le silence. Et si elle était tombée sur de mauvaises fréquentations ? Son joli minois attirait les regards, ses yeux profonds les convoitises et son air innocent les basses pensées. Je l’imaginai, piégée par la force d’un gars aussi mal intentionné que le Chasseur qui nous avait attaqués.
La bile monta dans ma gorge. Je ne me le pardonnerais pas s’il lui arrivait quelque chose. Je lui avais fait la promesse de protéger son honneur. Cela impliquait son intégrité physique et morale.
Espèce de crétin !
Alors que le campement s’endormait pour de bon, je marchais en direction de la tente des Maîtres d’Armes. L’idée qu’Alice fût en danger m’empêchait de dormir. La laisser en plan face à mon père avait été digne de l’adolescent boudeur que j’avais été. J’avais grandi. Je devais faire face à ce qui ne me plaisait pas et prendre un peu mes responsabilités.
Il y avait un nouveau gardien pour protéger la tente. Visiblement plus coriace, celui-là. Il m’arrêta à une vingtaine de mètres en pointant son arc dans ma direction.
— Halte ! Personne n’a l’autorisation de passer.
Cette fois, je n’y allai pas par quatre chemins.
— Je suis Achalmy des Dillys. Je suis le fils de Maître Dillys et ancien élève de Maître Soho. J’aimerais les voir.
— C’est impossible. J’ai interdiction de laisser passer quiconque avant le lever du soleil. Seuls les Maîtres d’Armes peuvent entrer et sortir à leur guise.
Un grognement de frustration monta au fond de ma gorge. Comme si j’avais du temps à perdre !
— S’il vous plaît, c’est important. Je peux au moins leur poser une question ? Je n’ai pas besoin de rentrer dans la tente.
Formel, le gardien secoua la tête.
— Je ne vais pas déranger les Maîtres d’Armes au beau milieu de la nuit pour un illuminé qui se prend pour le fils et l’élève de deux grands guerriers.
Je vais t’en coller une, espèce de crevard de Lefk !
— Si tu veux leur adresser la parole, reviens demain matin, reprit le gardien en constatant que je fulminais. Peut-être qu’ils auront la gentillesse de bien vouloir t’écouter.
J’hésitai à me débarrasser de lui par la force. L’urgence de ma demande en valait le coup. Néanmoins, ce gardien n’était sûrement pas seul. Je devais prévoir d’affronter d’autres personnes – sans parler des badauds intéressés qui pourraient s’impliquer sans rien savoir du conflit.
— Vous pouvez au moins me renseigner sur quelque chose ? demandai-je en m’efforçant de rester calme.
Suspicieux, il me toisa d’un air songeur. Puis secoua la main.
— Vas-y. Dis-moi.
— Avez-vous vu une jeune femme, un peu moins de vingt ans, s’en aller ? Elle est venue ici avec moi en fin d’après-midi.
— Ça me dit rien. Mais j’ai pris la relève de Franck quand le soleil s’est couché donc je n’ai pas tout vu. (Il eut soudain l’air pensif.) Mais je crois qu’il m’a parlé d’un visiteur. Peut-être qu’il a précisé qu’il s’agissait d’une femme. Je me rappelle plus. En tout cas, personne n’est sorti depuis que je suis en poste.
Le soulagement que j’éprouvai à cette nouvelle fut si grand que j’en restai pantois. M’étais-je donc tant inquiété pour Alice ?
Ragaillardi par l’idée qu’elle était en sécurité, j’allai me caler contre une roche à l’orée des bois en chassant la neige rien que par la pensée. Je repoussai l’humidité du sol boueux recouvert d’épines du mieux que je pus et m’installai ici pour finir ma nuit.
Je verrais bien comment les choses se dérouleraient demain matin.
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