Chapitre 7 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, campement du Rituel de Maturité, Terres du Nord.

Malgré les voix des deux Maîtres d’Armes et la lumière chaude émise par les flammes, je m’endormais à moitié. Des loups hurlaient dehors, me sortant parfois de ma torpeur avec un sursaut. Je ne savais pas quelle heure il était, mais on ne pouvait plus parler de soir.

La tente des Maîtres d’Armes était spacieuse et bien aménagée. Un espace personnel dans chaque coin était réservé pour les guerriers. À l’heure actuelle, nous n’étions que trois à l’intérieur : Zane Soho, le père d’Al et moi. Une Maîtresse d’Armes devait arriver d’ici quelques jours et le dernier avait rejoint sa compagne pour passer la nuit avec elle dans le campement.

On avait installé, au milieu de la tente, un cercle de pierre rempli de sable pour faire le feu. Une marmite était suspendue au-dessus des flammes, retenue par un crochet qui pendait de la structure fondatrice en bois. Quand j’avais passé l’entrée, je m’étais arrêtée pour admirer la charpente. Je ne savais pas qu’on en installait pour maintenir et affermir les tentes. C’était ingénieux. Tout comme le cuir de poisson qu’ils avaient utilisé pour façonner la toile. Intriguée, je l’avais touché et la sensation au bout de mes doigts avait été étrange. Entre le cuir bovin et la toile rugueuse. Je m’étais ensuite installée d’un côté du cercle de pierre, les deux guerriers face à moi.

Les Maîtres d’Armes m’avaient offert le repas et un couchage. Reconnaissante, j’avais bredouillé que je pouvais payer, mais ils avaient secoué la tête, sourires aux lèvres.


Nous avions discuté toute la soirée, entre deux bouchées d’un ragoût de cerf – la première fois que je mangeais une telle viande et, si le goût était plus prononcé que le bœuf ou la volaille, j’avais bien aimé – accompagné de pommes de terre fondantes et de petits légumes. Zane Soho avait préparé du thé pour faciliter la digestion et j’avais été un peu frustrée de le voir faire bouillir l’eau rien qu’en la regardant. Le nez empli des odeurs de feuille séchée, du ragoût et de fumée, j’avais répondu aux questions des deux hommes. Leur bienveillance et leur intérêt me rassuraient, mais ils avaient soulevé des problèmes évidents. Que comptais-je faire, à présent ? Notre objectif avait été de rejoindre Maître Soho. Mais après ? Combien de temps allais-je fuir ma demeure, ma famille et mes devoirs ? Combien de temps mon père supporterait-il mon absence ?


— Lady Tharros ?

Je sursautai en levant le nez de ma tasse de thé. Il en restait un fond, mais il devait être froid après tout ce temps.

Zane m’observait de ses yeux bleus et brillants. La malice recourbait légèrement ses lèvres fines. Une brindille était coincée entre ses dents et il la mâchouillait sans répit. Son attitude décontractée s’opposait à la raideur de son compagnon. Connor Dillys avait parlé peu, mais pour dire beaucoup. J’avais du mal à le regarder en face tant il ressemblait à son fils. Ses cheveux d’un brun clair étaient coupés courts et une barbe soigneusement taillée couvrait son menton et le contour de sa bouche. Une magnifique pierre précieuse, la même qui retenait la tresse d’Al, était accrochée en pendentif autour de son cou. Le fourreau de son épée était posé à côté de lui et ses yeux froids étaient plantés derrière moi.

— Vous voudriez vous coucher ? me proposa Maître Soho en indiquant un couchage dans un coin de la tente. Vous allez l’air de dormir sur place.

— J’aimerais bien, reconnus-je en baissant les yeux. Seulement… Je me demande… Ne devrions-nous pas attendre qu’Achalmy revienne ?

À la mention de mon récent ami, Maître Dillys se ranima. Avant qu’il n’eût pu parler, Zane Soho éclata d’un rire grave qui résonna dans la tente.

— À votre place, je ne me ferais pas trop d’illusions. Connaissant ce vagabond, il doit être en train de s’enivrer avec des inconnus du campement.

Connor soupira comme pour confirmer les propos de son compagnon. Après quoi, il tourna la tête dans ma direction.

— Votre Altesse, ne vous fatiguez pas pour cet enfant indiscipliné. (Je souris ; Al aurait écarquillé les yeux d’être traité ainsi.) Il reviendra demain matin, sûrement encore engourdi par l’alcool. Nous discuterons mieux à ce moment-là.

Sceptique, je posai ma tasse de thé et croisai les doigts.

— Je ne voudrais pas me mêler de choses qui ne me regardent pas, néanmoins, quand Al vous a vu… il…

— S’est enfui, compléta son père avec un sourire dépité. Ce n’est pas étonnant, il ne m’aime pas beaucoup.

— Pour quelle raison ?

Devant le visage soudain crispé de l’homme, je rougis de honte. Ma curiosité m’avait poussée au-delà de la politesse. Embarrassée, j’ajoutai précipitamment :

— Pardonnez-moi, les mots se sont échappés de ma bouche. Je comprendrais parfaitement que vous ne souhaitiez pas vous étendre sur le sujet.

Il esquissa un des rares sourires de la soirée.

— Ne soyez pas si gênée, ma demoiselle, la curiosité n’est pas un si vilain défaut. À mes yeux, du moins. (Le Maître d’Armes se mit à contempler les flammes d’un air lointain, créant une danse hypnotique sur les traits durs de son visage.) J’ai fait quelque chose à Al quand il n’était encore qu’un jeune garçon. Pour moi, cela relevait de la volonté d’un père souhaitant le meilleur pour son fils. Pour lui, ça a été une trahison et un abandon. Aujourd’hui, quand je repense à ce que j’ai fait, je me sens incontestablement coupable. (Sa voix s’affaiblit.) Déjà qu’il n’a jamais eu l’occasion de connaître sa mère, être abandonné par son père n’a pas dû aider.

— Qu’avez-vous fait ? murmurai-je, interdite.

Connor Dillys continua à fixer les flammes, comme si elles lui susurraient des paroles que seul lui entendait.

— Oh, il me l’a confié pour que je l’élève, lâcha Zane Soho d’un ton badin.

Son ami sortit de sa torpeur pour le fusiller du regard, mais le Maître d’Armes l’ignora pour enchaîner :

— Un jour, Connor et Al sont arrivés dans mon domaine. Ça faisait plus d’un an que je ne les avais pas vus et j’ai été ravi de les recevoir. C’était l’hiver, l’élève que j’avais à cette époque était reparti chez ses parents pour la saison froide. Je dois reconnaître que leur arrivée soudaine m’a fait chaud au cœur. (Il marqua une pause pour jeter un coup d’œil à son compagnon, qui gardait un visage fermé.) Nous avons dîné, j’ai complimenté Al pour les centimètres qu’il avait gagnés et j’ai joué aux cartes avec Connor autour d’un verre d’alcool. Puis, sans prévenir, cet imbécile a lâché : « Tu voudrais bien prendre Al avec toi ? Lui apprendre à manier les armes, à déchiffrer les lettres et à faire des calculs ? » Comme si nous parlions du temps qu’il allait faire demain ! (Zane Soho posa une main fraternelle sur l’épaule de son compagnon, qui se renfrogna aussitôt.) Je suis resté sans voix. Alors ce bougre a enchaîné sur le fait qu’il ne se sentait pas d’enseigner le combat à son propre fils. Qu’il ne serait pas objectif, qu’il serait trop dur avec lui, qu’Al serait malheureux.

Il lâcha le dernier mot d’un air las.

— Comme si Al aurait été malheureux d’apprendre à manier l’épée avec son père. (Devant un regard assassin de Maître Dillys, l’homme ajouta :) Au final, d’une certaine façon, il a bien fait. Connor, tu n’as jamais été doué pour enseigner. Tu n’as pas assez de patience. Du coup, nous avons annoncé au petit Al qu’il allait devoir rester avec moi pour que je lui apprenne ce qu’il devait savoir.

Le passé d’Achalmy avait éveillé mon esprit et j’écoutais Zane Soho avec attention. J’en savais si peu sur mon compagnon de route. Son art du sabre et son mauvais caractère devaient bien venir de quelque part. J’obtenais enfin quelques réponses à mes nombreuses questions.

— Connor a vu juste en me confiant Achalmy. En toute modestie, je suis le meilleur Maître d’Armes formateur. J’ai eu des tas d’élèves et j’ai réussi à faire des plus fainéants ou même des simplets des guerriers efficaces. (Zane Soho m’adressa un regard étincelant, un sourire de loup aux lèvres.) N’êtes-vous pas d’accord, lady Tharros ? Al est ronchon, mais il s’oriente bien, il se bat avec l’aisance d’un combattant expérimenté, il lit et calcule comme les Nobles de votre contrée et il est paré pour survivre dans les pires conditions.

Un peu subjuguée par le regard intense de l’homme, je hochai la tête avec raideur.

— Malheureusement, je dois reconnaître que c’était brutal pour un garçon aussi jeune, soupira Zane Soho en passant une main dans ses cheveux souples. En échange de ses compétences et de son esprit, il a perdu sa famille.

À ces mots, Connor Dillys tressaillit. Une douleur évidente crispa ses traits et il serra les dents.

— Al a l’air de bien vous apprécier, fis-je remarquer à Maître Soho. Je pense que vous êtes devenu sa nouvelle famille en plus de son nouveau foyer.

— Oui, je sais, souffla le guerrier en fermant les yeux.

Il resta ainsi en silence, tandis que Maître Dillys fixait obstinément un point mystérieux à ma gauche. Comme personne ne reprenait la parole, je m’éclaircis la gorge et déclarai :

— Merci pour le repas. Je ne sais pas qui a cuisiné, mais c’était très bon. (Maître Dillys se redressa soudain et sourit. Je savais qui était le cuisinier, à présent.) Je dois aller me coucher ou je finirais par m’endormir à vos pieds.

Je me levai en évitant d’être maladroite, mais ce fut peine perdue quand je posai le pied sur la tasse de thé et manquai trébucher. Rapide comme l’éclair – et je savais ce dont je parlais – Zane Soho bondit sur ses talons pour m’attraper le bras.

Empourprée jusqu’aux oreilles, je me confondis en excuses et en remerciements. En guise de réponse, l’homme posa une main tendre sur le dessus de ma tête.

— Lady Tharros, vous êtes bien plus naturelle quand nous mettez de côté les protocoles.

Autant par son geste, peut-être le plus affectueux que j’avais reçu depuis des années, que par ses paroles, il me toucha droit au cœur. Je rougis un peu plus et baissai le nez.

— Je vous remercie, Maître Soho.

Je lui adressai un regard reconnaissant et ajoutai dans un souffle :

— Je comprends mieux pourquoi Al vous apprécie tant.

L’homme m’adressa un large sourire.

— Je vous souhaite une bonne nuit, ma demoiselle.

— À vous aussi, répondis-je d’une voix douce en observant tour à tour les deux hommes.


Ce fut sans conteste la nuit la plus agréable que je passai depuis notre départ de Vasilias. Le couchage que les Maîtres d’Armes m’avaient attribué était pourvu de couvertures épaisses, de fourrures douces et d’oreillers moelleux. La chaleur ambiante et le repas copieux au fond de mon estomac avaient achevé de m’enfoncer dans le sommeil.

Le jour filtrait par l’ouverture dans le haut de la tente quand j’ouvris les yeux. Blottie sous les couvertures, je restai encore quelques minutes allongée sous les fourrures. J’avais chaud et je me sentais protégée. Plus de deux semaines que je n’avais pas éprouvé cela.

Des flammes paresseuses gardaient au chaud la marmite de laquelle s’échappaient des odeurs qui réveillèrent brutalement mon estomac. D’un coup d’œil, je fis le tour de la tente. Les Maîtres d’Armes étaient absents.

Avec un bâillement, je me redressai et m’étirai. J’avais mis de côté mes chaussures, mon manteau et ma veste pour dormir. Je récupérai les chausses et le veston pour ne pas avoir froid en sortant des couvertures. Je sentais mes cheveux en bataille sur ma tête, mais n’éprouvai aucune envie de les remettre en place. Après tout, il n’y avait pas ma mère pour me rappeler que j’étais une princesse, et qu’une princesse devait avoir bonne mine ; Ash ne pourrait pas se moquer et mon père détruire ma confiance en moi d’un seul regard condescendant.

Je fus étonnée de mon manque d’intérêt pour mon apparence. Je n’étais pas une demoiselle qui faisait extrêmement attention à son allure, mais j’aimais démêler mes cheveux avec la brosse de mon arrière-grand-mère, avoir le visage et les mains propres, des vêtements légèrement parfumés à l’eau de rose et autres petites coquetteries. Après ma fuite du château, j’avais découvert les chemises informes et les pantalons serrés, les ablutions simples à même les rivières et l’importance du repas plutôt que de la coiffure.

Alors que je m’approchais du feu pour connaître le contenu de la marmite, je m’esclaffai toute seule. Avais-je tant changé depuis mon départ de la demeure familiale ou étaient-ce seulement mes habitudes ?

Ce que je découvris dans le faitout me laissa perplexe. Une espèce de substance blanche épaisse dans laquelle tournoyaient des filets d’or et des baies noires. Alors que je me penchais pour mieux distinguer les ingrédients, une bouffée d’air froid envahit la tente et la voix chaleureuse de Maître Soho lança :

— Du jogurt, votre Altesse. Une spécialité du Nord.

Frissonnante, je repliai les mains sur mes bras.

— Bonjour, Maître Soho, déclarai-je poliment. Vous avez bien dormi ?

— Très bien, ma demoiselle. Et vous-même ?

Je vis une lueur malicieuse au fond de ses yeux et je me sentis soudain fébrile. Avais-je encore ronflé ? Cette habitude était une calamité. C’était déjà embarrassant pour une femme de ronfler, alors pour une princesse…

— Bien, répondis-je d’une voix blanche. Puis-je vous demander de quoi est composé le jogurt ?

— De lait de chèvre transformé en fromage frais, mélangé à du miel et à des baies Kojurl.

Maintenant que les ingrédients avaient des noms plus familiers – à part ces étranges petits fruits noirs – mon estomac se mit à gargouiller. Je relevai des yeux hésitants vers le guerrier qui s’était déchaussé et lançait son manteau sur son couchage.

— Puis-je me servir un bol, je vous prie ?

Surpris, il se tourna vers moi, ses sourcils sombres haussés jusqu’au milieu de son front. Il m’observa un moment puis fit claquer sa langue.

— Mettons-nous d’accord, mademoiselle Tharros. Vous êtes ici comme chez vous – bien que cette tente soit largement moins confortable qu’un château. Vous pouvez donc vous servir à manger comme il vous sied. Si vous souhaitez témoigner votre reconnaissance, dites à Connor qu’il cuisine bien.

— Je le ferai, promis-je avec un sourire.

Je récupérai un bol dans un panier près de l’entrée et me servis cinq généreuses louches de la préparation. Assise sur un coussin, je mangeai le jogurt devant les flammes.

— C’est délicieux, soufflai-je après avoir avalé la première bouchée. C’est sucré, onctueux et les baies apportent un peu de croquant.

— Heureux de constater que cela vous plaît !


Maître Dillys fit son retour alors que je râclais mon bol pour récupérer les restes du jogurt.

— Tu as trouvé Al ? s’enquit Zane, qui s’était laissé choir au bord de son couchage.

— Non, marmonna le guerrier en secouant la tête. En revanche, quand Tij a pris la tour de Franck à l’aube, il lui a dit qu’un jeune homme avait voulu nous voir vers le milieu de la nuit. (Comme s’il venait juste de me remarquer, il planta les yeux sur moi, examina mon bol vide puis esquissa un timide sourire.) Le jogurt vous a plu, ma demoiselle ?

— Oui, approuvai-je d’un ton enjoué. C’était un peu chaud, mais pas trop pour dénaturer la crème et les fruits.

Apparemment satisfait, ses yeux étincelèrent.

— Je vous remercie. S’il y a deux domaines où j’ai des compétences, c’est le combat et la cuisine.

— Mon voyage aurait été plus agréable si Al avait su cuisiner aussi bien que vous, soupirai-je, fataliste.

Je le vis se crisper et grimacer. Encore une bourde.

— Oui, finit par articuler le guerrier. Si je l’avais élevé plus longtemps, je lui aurais appris.

Gênée par ma maladresse, j’allais lui demander pardon lorsque l’entrée de la tente fut soulevée brutalement. Dans un réflexe, les deux guerriers posèrent la main sur les fourreaux de leurs armes. Le gardien qui nous avait empêchés de rencontrer les Maîtres d’Armes la veille se tenait face à nous, le souffle court. Ses yeux luisaient.

— Messieurs, un garde qui patrouillait nous a annoncé qu’une troupe royale remontait le camp.

De stupéfaction, je laissai tomber mon bol, qui tinta dans un bruit sec. Mon cœur rata un battement et une vague d’angoisse en profita pour étreindre ma poitrine.

Une troupe royale ? Alors qu’ils ne mettaient jamais les pieds dans le Nord, craignant et méprisant les natifs à cause de leurs coutumes ?

— Qu’est-ce qu’ils veulent ? souffla Zane en se levant de son couchage.

Malgré la question, il me jeta un coup d’œil et tira les mêmes conclusions qui se formaient dans mon esprit. Il n’y avait qu’une chose qui eût pu les pousser à monter jusqu’ici : la fuite de la princesse héritière.

— Je l’ignore, Maître Soho. Mais je préférais vous prévenir, au cas où.

— Tu as bien fait, Franck, le rassura Maître Dillys en posant une main sur son épaule. Tu as d’autres informations ?

— Leur nombre. Une quinzaine d’hommes menés par un Noble. Apparemment, ils chercheraient quelqu’un, car ils fouillent les tentes. Il y a eu des escarmouches ; des Nordistes ont été blessés et un garde occidental tué. (L’homme fit la grimace.) Si ça continue, ça va être l’incident diplomatique.

Une boule se forma dans ma gorge, rendant ma respiration difficile. Malgré l’absence de gouvernement établi au Nord, les autres Terres respectaient les frontières et les peuples nordistes. Quand l’Est ou l’Ouest devait traiter un sujet avec le Nord, des hommes importants, des chefs de clans, des Chasseurs connus, voire des Maîtres d’Armes nordistes, intervenaient avec les diplomates des autres Terres.

Cette troupe royale était arrivée en bafouant les règles diplomatiques. J’en étais étonnée. Si on reprochait quelque chose à mes contrées, c’était leur amour des protocoles et des choses bien faites. Était-ce mon père qui avait envoyé ces hommes ? La précipitation l’avait-il poussé à contourner les règles ?

— Ils sont là pour moi, murmurai-je d’une voix à peine audible.

Le garde me dévisagea et Maître Dillys fronça les sourcils.

— Qu’avez-vous dit ? s’enquit ce dernier avec politesse.

Rassemblant mon maigre courage, je me levai et déclarai plus fermement :

— La troupe royale est venue pour moi. (Je me tournai vers eux, priant qu’ils ne remarquassent pas mes jambes tremblantes.) Ils sont à ma recherche.

Devant l’expression interdite du garde, qui ne connaissait pas mon identité, j’ajoutai :

— Je vais m’en aller de suite.

M’efforçant de regarder droit devant moi, de penser à l’instant présent, je me dirigeai vers mes affaires. Le doute et la peur essayaient de s’engouffrer par la moindre faille de mon bouclier de bravoure. Une petite fille effrayée au fond de moi hurlait tandis qu’une jeune femme serrait poings et dents.

— Pour quoi faire, ma demoiselle ? me questionna Maître Soho d’un ton doux.

J’enfilai mon manteau, attachai ma courte épée dans le creux de mon dos et fis passer mon sac d’affaires par-dessus.

— Je vais les rejoindre, annonçai-je en m’approchant de la sortie. Je refuse qu’ils perturbent le Rituel de Maturité par ma faute. Cette coutume est l’une des rares que vous avez. Elle est sacrée et je ne souhaite pas qu’elle soit gâchée.

Comme surpris de ma détermination, Maître Soho me dévisagea avec interdiction. Il finit par détourner le regard, les lèvres pincées, les épaules basses.

Alors que j’allais sortir, une main ferme se posa lourdement sur mon épaule frêle.

— Lady Tharros, vous êtes certaine de votre choix ?

Intimidée, j’affrontai du regard le père d’Achalmy. Une lueur contrariée luisait au fond de ses yeux.

Je résistai à l’envie de m’effondrer sur place et de pleurer comme une enfant. Al me l’avait fait comprendre : je devais être une reine et non plus une princesse. C’était en étant courageuse, en faisant front, que je gagnerais le respect de mes proches comme de mes sujets. Pas en fuyant. Pas en pleurnichant.

— J’en suis sûre, déclarai-je gravement.

Je braquai les yeux vers le camp. Mon cœur battait d’effroi et mon sang se glaçait de regret. Je n’avais jamais eu aussi froid de ma vie et je n’étais pas sûre que le climat du Nord y fût pour quelque chose.

Avant de partir, je me tournai vers les deux guerriers. Droits comme des lames, endurcis comme la glace, fiers comme des loups et aussi affûtés que des épées.

— Merci pour votre accueil, lançai-je humblement. Vos conseils ont été précieux, Maître Soho. Votre cuisine est délicieuse, Maître Dillys.

Je marquai une pause.

— Al… Je pense que vous devriez essayer de lui parler. Il est borné, orgueilleux et parfois glacial, mais… Il a un côté bienveillant qui fait de lui un bel être humain. Dans chacun de vos mots transparaissent les regrets et l’amour que vous avez pour votre fils. Il n’est pas impossible que vous vous réconciliiez un jour. (L’homme me dévisagea, pâle, puis hocha la tête lentement.) Merci encore pour tout. Peut-être… peut-être à bientôt.

Les yeux piquants, je me détournai de la chaleur de la tente et de ces gens pour affronter le froid de l’air et de mon avenir.


Avant de rejoindre la troupe royale, je souhaitais trouver Al. Je ne pouvais pas partir sans lui dire combien son aide et ses conseils avaient été précieux.

Avec un pincement au cœur, je m’éloignai de la tente. Ne restait plus qu’à espérer que mon compagnon de route ne fût pas trop loin.

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