Chapitre 31

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Reda

Je balance la sacoche en cuir de Yanis par-dessus mon épaule.

Lorsqu'il avait évoqué pour la première fois cette histoire de prêt avec Naïm, je m'étais contenté de l'écouter sans broncher. Mais après avoir découvert le vrai visage de son créancier, je n'ai pas pu m'empêcher de revenir sur le sujet. Alors dès que j'ai eu un moment, je me suis mis à le questionner. Sur sa relation avec Naïm, sa situation, mais aussi sur le lieu exact de sa planque.

Oui.

Il devait bien en avoir une, non ?

Après tout, des centaines de billets étaient en jeu, alors il m'a paru évident qu'il y avait songé.

La blague.

Lorsqu'il m'a avoué qu'il s'était contenté de cacher la liasse sous son oreiller, les yeux écarquillés comme si mon interrogation paraissait absurde, je crois que j'ai manqué de l'étrangler tellement j'étais irrité. Par sa stupidité, déjà, mais surtout son insouciance. Comment avait-il pu imaginer, même l'espace d'un instant, qu'il s'agissait d'une bonne idée ? Très honnêtement, ça me dépasse toujours autant.

Cependant, assurément, en tant que meilleur ami, je me suis empressé de lui venir en aide. Ensemble, on s'est alors longuement renseigné, écumant des listes entières sur le net pour trouver des idées de planques parfaites.

En vain.

Soit elles étaient irréalistes, soit au contraire complètement bidons.

Et pour être honnête, ça en devenait presque décourageant.

Alors je me souviens ce jour-là avoir proposé à Yanis d'aller faire un tour à Rosewood pour se changer un peu les idées, et c'est à ce moment-là que j'ai justement eu une autre idée. Il lui fallait une planque à la fois discrète et imprévisible, mais également suffisamment accessible, au cas où une urgence surviendrait. Et quoi de mieux pour ça que le terrain abandonné de basket qu'il fréquentait au quotidien ? En enveloppant correctement la liasse dans un réceptacle, il suffisait ensuite simplement de l'enterrer, et le tour était joué. Et en prenant note des coordonnées géographiques du lieu exact, il n'y avait pratiquement aucun risque de l'égarer. Alors même si pour être honnête, Yanis s'est d'abord montré un peu sceptique face à cette idée, il a néanmoins fini par plier.

Je laisse échapper un soupir discret.

Même si je suis vraiment soulagé de constater que malgré les mois écoulées, la sacoche n'a pas du tout bougé, il me reste encore à rendre son contenu à son véritable propriétaire. Et je devine déjà que ça ne risque pas d'être une mince affaire.

J'ai proposé à Naïm de le rejoindre dans sa cité, située dans la ville d'à côté, en lui affirmant que je venais au nom de Yanis, et en lui expliquant qu'il souhaitait simplement rembourser sa dette avant de le rayer définitivement de sa vie, mais qu'il préférait éviter d'avoir à le recroiser au risque de recraquer. Plutôt vache, comme avertissement, mais au moins, ça a le mérite d'être cohérent.

Pour autant, je sais que Naïm est loin d'être fiable, alors j'ai quand même émis certaines conditions. L'interdiction d'être accompagné, notamment. Et d'en parler à qui que ce soit. Au risque de rompre instantanément l'accord. En échange, Yanis lui promet de ne pas tenter de le faire sanctionner. Plutôt fair-play, comme marché, non ?

Je réprime un rire nerveux. Bien évidemment, c'est du bluff.

Il est absolument hors de question de laisser un tel psychopathe récidiviste s'en tirer.

Mais je ne vais quand même pas m'amuser à lui parler du dossier entier qu'on a monté contre lui.

Alors pour le moment, je me contente de faire comme si de rien n'était, et je prie intérieurement pour qu'en le rejoignant, Naïm ne soit pas encore une fois intoxiqué.

* * *

J'avance avec prudence sur l'asphalte.

Plusieurs bâtisses nacrées entourent le terrain, avec des murs ornés de graffitis en tout genre. Le tout, sans une seule ombre à l'horizon, ce qui est plutôt déroutant. Mais j'imagine que je dois en être soulagé. Après tout, Naïm aurait très bien pu m'attirer dans un guet-apens, et ça ne semble pas être le cas. Il ne manquerait plus que je m'en plaigne.

Je plisse des yeux pour inspecter les alentours et je finis par déceler sa silhouette, adossée contre la portière de sa Jeep. Lorsqu'il me remarque, il s'écarte alors d'un pas avant de s'avancer à son tour vers moi.

  • Reda... déclare-t-il de sa voix rauque. Comme on se retrouve...

Je me contente de hocher la tête, immobile, l'expression neutre, mais je profite en réalité de ce moment de répit pour l'analyser.

Naïm porte sa tenue habituelle, un sweat gris légèrement élimé avec un jean troué. Il n'a pas l'air défoncé, et son apparence ne laisse pas spécialement à désirer, hormis si l'on omet un petit détail : il est encore couvert de bleus. Les plaies de son visage ont commencé à cicatriser, – en même temps, l'incident commence vraiment à dater –, mais ses paupières restent encore très gonflées, si bien que je peine à distinguer le bleu translucide caractéristique de ses grandes pupilles.

Je passe ma main dans mes cheveux. Sérieusement, il me ferait presque de la peine. Décidément, Yanis ne l'a vraiment pas épargné. Même si je ne peux pas dire que ce n'était pas mérité.

Naïm m'arrache cependant rapidement de mes pensées :

  • Alors comme ça, tu joues le bon samaritain...

Je continue de le sonder sans ciller.

Pour être honnête, j'ai toujours détesté cette manie qu'il a de toujours infantiliser son interlocuteur, mais je ne lui laisse pas l'occasion de s'en douter.

  • Comme c'est mignon... j'imagine que Yanis doit t'être vraiment reconnaissant...

Je réprime un rire nerveux.

S'il avait la moindre idée de la situation actuelle entre Yanis et moi, je crois qu'il s'en esclafferait, tellement elle paraît ironique et invraisemblable.

En constatant mon air impassible, il se met néanmoins à se calmer, avant de sortir une clope de sa poche et de l'allumer.

  • Bon, j'imagine bien que tu n'es pas venu ici pour discuter... murmure-t-il en me toisant.

Je comprends alors à son expression qu'il réclame maintenant son dû.

Je détache la besace de mon épaule, avant d'en extraire lentement l'enveloppe, sous les prunelles rivées de Naïm, mêlant à la fois curiosité et surprise. Puis je la lui tends alors, pour lui intimer de l'attraper à distance.

Mais ce dernier n'obtempère pas.

Je comprends alors qu'il attend de moi que je la lui amène moi-même, comme si je lui devais au moins ça pour m'excuser de l'avoir laissé se faire maltraiter par Yanis sans intervenir plus tôt.

Je me pince alors l'arête du nez pour réfléchir un instant. De toute façon, c'est probablement la dernière fois que je croise sa route, alors autant en profiter pour exaucer son dernier souhait.

J'esquisse une longue foulée avant de lui tendre de nouveau l'enveloppe et Naïm s'empresse alors de l'agripper sans pour autant me lâcher. Je lui lance alors un regard incrédule, en attente d'une explication.

Mais ce dernier ne répond pas.

Il se met à ranger son enveloppe dans la poche de son jean sans prendre la peine d'en vérifier le contenu, avant de renforcer son étreinte autour de mon poignet.

  • Qu'est-ce que tu fais ? je le questionne alors.
  • Tout ça, c'est de ta faute Reda...
  • Quoi ?

Il relève la tête et je réalise que son expression a soudainement changé.

  • Depuis que tu es arrivé ici, tu as tout bouleversé...

J'arque un sourcil.

  • De quoi est-ce que tu parles ?
  • Mon amitié avec Yanis, ma proximité avec Hana...

Il s'interrompt un instant pour respirer, avant de hausser le ton :

  • Tu as absolument tout gâché !

Quoi ?

  • Est-ce que tu as une idée de tout ce que Yanis et moi avons traversé ?
  • Pardon ?
  • De tout ce que nous avons vécu ensemble ?

Ok.

Je crois qu'il est en train de câbler.

Et je ferais mieux d'essayer de dégager.

  • Naïm... j'essaie d'articuler.
  • Non ! s'empresse-t-il alors de hurler pour me couper. Tais-toi, Reda ! Tu en as suffisamment fait !
  • Quoi ?
  • Ta soi-disante amitié avec Yanis, ce n'est rien comparé à la notre ! Tu ne représentes rien par rapport à tout ce que j'ai fait pour lui ! Alors comment oses-tu ?

Maintenant, c'est certain.

Ce mec est complètement dingue.

Malgré tout ce qu'il a fait, il trouve encore le moyen de me blâmer, au lieu de se remettre en question.

  • Comment oses-tu sortir de nulle part et venir tout gâcher ?
  • Espèce de cinglé...

Je tente de retirer ma main de son étreinte pour reculer, mais il utilise sa clope pour me brûler et m'en empêcher. L'espace d'un instant, je suis complètement dérouté. Je lâche un cri de douleur avant d'être ramené à la réalité. Et de constater qu'il a jeté son mégot sur l'asphalte. Je reporte alors mon attention sur sa main libre, et je le vois alors fouiller nerveusement la poche de son sweat, avant d'en sortir un objet.

Pas n'importe quel objet.

Un pistolet.

Oh non.

Il est tellement irrité qu'il est prêt à tirer.

  • Si seulement tu ne t'en étais jamais mêlé... rajoute-t-il alors, pris par les émotions.

Il se met à pointer son flingue dans ma direction, et mes jambes sont tétanisées.

  • Crois-moi, je ne voulais vraiment pas en arriver là... poursuit-il d'une voix chevrotante. Mais tu ne me laisses pas vraiment le choix, Reda...

J'essaie tant bien que mal de dépasser la peur qui me pétrifie pour tenter de faire un mouvement, mais j'ai du mal à respirer. J'ai du mal à réaliser que je suis sur le point d'être abattu. Et que peu importe à quel point je prie intérieurement pour être sauvé, je vais probablement y passer.

  • Il est temps pour toi de payer...

Dans un dernier élan d'adrénaline, j'arrive néanmoins à bouger pour lui asséner un coup de pied et tenter de le déséquilibrer.

Mais c'est trop tard.

Au même moment, Naïm appuie sur la gachette.

Malgré sa trajectoire déviée, je sens la balle traverser brutalement mon flanc.

Et j'ai à peine le temps de le réaliser que je m'écroule par terre.

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