Chapitre 37
Reda
Debout devant le miroir, j'ajuste la cravate de mon costume pour la troisième fois.
J'ai les mains moites, l'estomac noué, l'esprit agité à l'idée de me dire que c'est aujourd'hui que je vais me marier. Pas dans le mauvais sens du terme, évidemment. Après tout, j'attends ce jour depuis tellement longtemps. Mais je crois que justement, je suis tellement soucieux de bien faire que mon corps se met à stresser de lui-même naturellement.
- Reda, on va être en retard !
La voix grave d'Osman me tire de mes pensées.
Lorsqu'ils ont appris la nouvelle, tous les membres du city stade se sont empressés de me prêter main-forte. Pas tellement pour organiser la cérémonie, – Hana a insisté pour que je la laisse gérer de ce côté –, mais plutôt pour m'aider à me présenter sous mon meilleur jour possible. Avec ses talents de pâtissier, Seth s'est donc naturellement proposé de me confectionner des gâteaux supplémentaires à offrir aux invités, pendant que Harûn irait chercher les paniers dans une petite boutique à Paris pour les disposer. Quant à Osman, il s'est proposé de me déposer le Jour J chez ma "bien-aimée", comme il s'amuse à l'appeler, pour éviter que je sois trop fatigué.
- J'arrive... je lui rétorque tout en franchissant l'entrée.
- Waouh Reda, s'exclame-t-il alors en me sondant. Pas mal, le costume blanc !
Mes joues s'empourprent instantanément.
- Arrête, je suis déjà assez gêné comme ça !
Il s'esclaffe alors avant de me tapoter le dos amicalement et de m'intimer de lui emboîter le pas. Lui porte également un costume simple, bleu marine cependant, et je dois avouer que ça lui sied plutôt bien.
Lorsque nous arrivons devant la maison de Hana, la porte est déjà ouverte. Yanis m'accueille alors à bras ouverts, accompagné de Seth et Harûn, avant de m'indiquer de le suivre dans la petite chambre située à côté du salon.
L'imam de la mosquée de la ville m'y attend, un sourire de fierté au coin, accompagné du père de Hana.
Je les salue mutuellement et m'installe à leurs côtés. L'imam se met ensuite à me rappeler à l'ordre sur les devoirs d'un époux envers sa femme, tout en récitant quelques versets du Coran dont la mélodie captive tous les garçons. Il me prodigue ensuite certains conseils sur le mariage pour m'assurer le meilleur départ possible avec Hana. Quand il achève enfin son récit, des cris de joie se font entendre et je peux annoncer que je suis officiellement marié.
* * *
Vautrés sur le canapé en cuir du salon, nous attendons tous patiemment l'arrivée de Hana, probablement en train d'effectuer les dernières retouches de sa tenue dans sa chambre.
Je profite de ce moment de répit pour appeler rapidement ma mère et lui filmer la décoration de la fête par la même occasion. Puis je reporte mon attention sur Yanis.
- Elle met vraiment trois plombes, là... s'indigne-t-il.
Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire sarcastique.
Si on m'avait dit un jour que Yanis serait celui qui se plaindrait du retard de sa cadette, je crois que je ne l'aurais jamais avalé.
Je prends une gorgée du thé à la menthe qu'Anissa nous a confectionnés avec l'aide de Véronika.
- Il est bon, hein ? me questionne Yanis en me lorgnant.
- Oui, il est pas mal...
Un instant, je marque un arrêt, comme pour réfléchir, avant de rajouter :
- D'ailleurs à ce propos, je me demandais...
- Oui ?
- Tu en es où dans ta relation avec cette Anissa ?
Les joues de Yanis s'empourprent instantanément.
- Moins fort ! m'intime-t-il en se rapprochant.
Je laisse échapper un rire avant de lever les mains en l'air en signe de reddition.
- Désolé, désolé...
Il se repositionne alors sur le sofa et se frotte la nuque, gêné.
- Ben... ça avance plutôt bien... murmure-t-il finalement.
Je lui adresse un regard curieux.
- On se voit régulièrement, avec Hana... Elle nous accompagne durant nos sorties pour qu'on apprenne à mieux se connaître. On a fait une partie de bowling, la dernière fois.
- C'est génial, Yanis ! je m'empresse de lui répondre, heureux pour lui.
Mais il n'a pas l'air convaincu par ma réaction.
- Oui... me répond-il, d'une voix atone.
Son expression me souffle qu'il reste tracassé par quelque chose.
Je m'approche alors un peu pour ancrer mes yeux aux siens.
- Alors pourquoi est-ce que tu fais cette tête ?
- C'est juste que... j'ai peur, Reda...
Je lève un sourcil, sceptique.
- Peur de quoi ?
- J'ai peur qu'Anissa ne soit pas la bonne...
Oh.
Je dois admettre que je ne m'attendais pas à une telle confession.
Ma surprise doit avoir alerté Yanis, qui se met à me sourire pour me rassurer.
- Non, ce n'est pas ce que tu crois... au contraire...
- Alors explique-moi.
- Plus je passe de temps avec Anissa, plus je sens que je m'attache à elle... et plus l'idée de la voir soudain disparaître de ma vie m'obsède...
- Yanis...
- Je ne sais pas si je serai capable de survivre à cette épreuve...
Un instant, il laisse échapper un soupir de frustration.
- Je sais que je devrais être plus optimiste, mais on ne sait jamais de quoi l'avenir sera fait...
- Est-ce que tu as fait la prière de consultation ?
Sur cette remarque, Yanis me fixe, dérouté.
- Non...
- On ne sait pas de quoi l'avenir sera fait, je reprends alors, mais en tant que musulmans, on a des outils pour nous éclairer.
- Je me suis dit qu'il était peut-être encore trop tôt...
- Il n'est jamais trop tôt pour la faire, Yanis. Crois-en mon expérience.
Je me souviens du soir où je me suis disputé avec Yanis. Mon premier réflexe, lorsqu'il a quitté l'appartement, a justement été de faire une prière de consultation. Pour mon amitié avec lui, certes, mais surtout pour clarifier mon avenir avec Hana.
Mais ça, je ne le lui dis pas.
- Reda... marmonne-t-il en m'arrachant de mes pensées. Tu as raison, je vais la faire.
Il me décoche un nouveau sourire, l'air apaisé cette fois.
- En plus, moi je suis quasi sûr que c'est la bonne... je rajoute d'un ton léger.
- Quoi ? Comment ça ? s'étonne le brun.
- J'ai remarqué son porte-clé de Luffy... Avec elle, tu es certain d'avoir ton voyage au Japon !
Il se met alors à éclater de rire, reportant l'attention de tous les invités sur nous, mais je n'en tiens pas compte. Je mêle mon rire franc au sien, savourant ces moments de banalité qui sont pourtant très précieux à mes yeux.
Je suis cependant rapidement interrompu par des pas étouffés près de l'escalier.
Je lève alors la tête, par réflexe, et à ce moment précis, je me stoppe net, complètement ébranlé.
Hana se tient debout devant moi, encerclée par sa mère d'un côté, par Lucy de l'autre côté. Elle porte un voile nacré orné de perles ainsi qu'un caftan bleu brodé traînant sur le sol. Son visage est rayonnant, ses prunelles pétillantes, et il faut quelques secondes à mon regard pour s'armer de courage et enfin réussir à s'en détacher.
- Hana ! Tu es trop belle ! s'exclame Yanis en la découvrant.
- Merci...
Elle le gratifie de son magnifique sourire avant de reporter son attention sur moi.
- Reda ! s'exclame alors sa mère, viens prendre une photo avec nous !
Je me redresse instantanément, pas moins dérouté et je m'approche d'un pas avant de proposer à Hana de me tenir la main. Elle s'empresse alors de l'attraper, avant d'entremêler ses doigts teintés de henné aux miens, ce qui me déstabilise encore une fois malgré moi. Je ne l'aurais jamais deviné, mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, Hana semble bien moins intimidé par ma présence que je ne le suis par la sienne.
Le reste de l'après-midi s'écoule ensuite et je peux vous affirmer qu'il se déroule à merveille, partagé entre les succulentes pâtisseries de Seth, les blagues douteuses d'Osman et les conseils avérés de Harûn. Les filles se sont également amusées à chanter extrêmement faux et à marteler leurs tambourins comme des bourrins pour ajouter de l'ambiance, ce qui n'a pas manqué d'énormément amuser la galerie.
Lorsque la nuit pointe finalement le bout de son nez et que les invités se sont retirés, je décide alors de m'éclipser discrètement sur le balcon de la maison. Mais ce n'est pas sans surprise que je remarque qu'il est déjà occupé par une silhouette agrippée sur la balustrade, le dos tourné.
- Reda ? C'est toi ?
Hana se retourne vivement, un air d'abord décontenancé, puis soulagé sur le visage.
Je remarque instantanément qu'elle s'est changée, troquant son prestigieux caftan par une simple djellaba délavée. La même que celle de la dernière fois, quand elle m'a ouvert la porte en trombe.
Sauf que cette fois, Hana n'a pas de plaid pour couvrir ses cheveux.
Elle a retiré son voile, dévoilant à l'air libre sa magnifique chevelure de jais soulevée par la brise.
Et contre toute attente, mon premier réflexe n'est pas d'admirer sa beauté, mais au contraire de m'en détourner.
- Tu peux regarder maintenant, tu sais... m'indique-t-elle alors, avec un sourire mutin.
Je maudis intérieurement ma spontanéité.
- Je sais, je lui bredouille, embarrassé. Mais comme je ne suis pas encore habitué...
Hana s'esclaffe alors, avant de me tourner de nouveau le dos.
Je décide de la rejoindre contre la balustrade et de l'observer admirer le ciel étoilé.
- C'est joli, non ? me questionne-t-elle innocemment.
Je hausse les épaules nonchalamment.
- C'est un ciel, quoi...
- Reda !
Elle fronce alors le nez, visiblement contrariée.
- Décidément, tu es un vrai Algérien ! Aucune once de romantisme...
Sur cette remarque, je me mets à ricaner.
- Tu tiens vraiment à m'insulter en ce jour si spécial ?
- Ce n'est pas une insulte, c'est simplement un fait...
Elle laisse échapper un soupir de frustration et j'en profite alors pour lui faire face :
- N'oublie pas que c'est ce genre d'attitude qui m'a d'abord fait te détester...
- Seuls les idiots ne changent pas d'avis, non ?
- Je rêve ou tu viens donc d'admettre que j'étais particulièrement intelligent ?
- Quoi ? Sûrement pas, non !
Elle se met à rouspéter et je ne peux m'empêcher de ricaner.
- Au fait, tu as goûté les mini quiches aux poivrons ? me demande-t-elle.
Je la dévisage un instant, incrédule, avant de nier de la tête.
- Quoi ? Mais pourquoi ? s'offusque-t-elle. Attends...
Elle me fixe à son tour avant de sortir un mouchoir de la poche de sa djellaba.
- J'avais gardé un morceau pour plus tard, au cas où...
- Quoi ?
- Mais tiens, je te le donne !
- Non Hana, c'est bon merci...
Elle fronce alors les sourcils, avant de s'avancer.
Nos corps sont vraiment près l'un de l'autre et je m'efforce de me calmer.
- Arrête de faire le timide ! ajoute-t-elle en me tendant la mini quiche.
- Hana, je ne fais pas le timide...
- Alors quel est le problème ? Tu n'es pas réellement allergique, quand même ?
Je laisse échapper un rire puis me racle la gorge discrètement.
- Non, je ne suis pas allergique... mais je déteste réellement ça.
- Quoi ?
Hana me fixe, la mâchoire tombante, les yeux écarquillées.
J'ai l'impression de lui avoir balancé la bombe du siècle.
- Comment est-ce que tu peux détester les poivrons ? s'indigne-t-elle alors.
Je pousse un soupir de frustration.
- Chacun ses goûts, c'est tout...
- Je ne parle pas de leur goût ! me rétorque-t-elle spontanément.
- Quoi ?
Je lui adresse un regard incrédule, en attente d'une explication.
Hana détourne cependant ses prunelles, un air soudain embarrassé.
- Ce n'est pas à cause de leur goût que je les aime... murmure-t-elle alors.
- Quoi ?
Elle se triture les mains, se pince la lèvre inférieure avant d'ajouter :
- C'est parce que c'est grâce à eux que tout a commencé... entre toi et moi...
Je déglutis.
Si elle commence à me balancer de telles remarques, je vais avoir du mal à me contrôler. J'ai réussi à tenir jusqu'à maintenant, malgré l'ambiance électrique installée entre nous à cause de l'obscurité, mais si elle continue de me fixer comme ça avec son expression vulnérable, je crois que je vais finir par craquer.
- Hana...
Je me surprends à attraper une mèche de ses cheveux que je replace derrière son oreille percée. Elle porte deux anneaux en or, au niveau de son hélix, que je n'avais forcément jamais remarqués à cause de son voile. Et c'est extrêmement séduisant.
- Reda...
Elle se démène pour soutenir mon regard, mais je vois bien à ses joues en feu qu'elle est en réalité en train de suffoquer. Je la dévisage un instant, intensément, avant de faire progressivement descendre mes pupilles vers ses lèvres. Pulpeuses, éclatantes, je n'ai qu'une envie, c'est de les goûter.
Mais pourtant, contre toute attente, je réprime mes pulsions.
Parce que je suis incapable de déceler ses intentions à elle.
Et s'il y a bien une chose que je me promets de ne jamais faire, c'est l'acculer.
Je m'apprête alors à lui tourner le dos, lorsque je sens une goutte de pluie sur mon front.
- Tiens... marmonne-t-elle en levant la tête.
Je l'imite pour observer le ciel grisé avec elle.
- On devrait rentrer à l'intérieur... je lui propose.
- Non, attends !
Elle s'empare de ma chemise pour me retenir.
Je la regarde alors, le sourcil arqué, sceptique face à sa réaction.
Les gouttes se multiplient à la vitesse grand V et bientôt, c'est une véritable averse qui nous tombe dessus. Pourtant, bien qu'elle soit trempée, Hana ne cille pas. Elle me contemple, un sourire timide incurvée sur ses lèvres, puis ajoute alors :
- Il pleut... c'est le moment idéal pour invoquer...
Oh.
Dit comme ça, elle n'a pas tort.
- Et qu'est-ce que tu veux demander ? je la questionne alors, curieux.
Elle se pince de nouveau la lèvre inférieure d'un air gêné.
- Je demande à Allah de nous faciliter notre mariage...
Mon cœur fait un raté.
- De nous apporter paix et sérénité...
Oh bordel.
Je crois que là, je vais vraiment craquer.
- Et de me garder auprès de toi le plus longtemps possible, Reda...
C'est bon.
Je peux dire adieu à mon self-contrôle.
Sur ces mots, j'attrape vivement les joues de Hana. Elles sont à la fois humides et brûlantes, ce qui est un peu déroutant. Elle me décoche un sourire discret, avant de poser ses mains sur les miennes et de fermer les yeux. Alors sans plus attendre, mes lèvres trouvent les siennes. Mes mains enveloppent sa tête, mes doigts se promènent, se perdent dans ses cheveux. C'est la première fois que j'embrasse une femme, pourtant je ne ressens aucune difficulté. Tout m'est agréablement facilité, comme si j'avais fait ça depuis toujours. Probablement parce que ce n'est pas n'importe quelle femme. C'est ma femme.
Lorsque je me détache enfin de sa bouche, je ne peux m'empêcher de déposer un dernier baiser rapide sur sa tempe. Hana glousse alors, avant de se réfugier dans mes bras. Je ressers alors mon étreinte contre elle fermement, comme si je ne voulais plus jamais m'en séparer, avant d'ajouter :
- Je t'aime, Hana...
Elle passe une paume sur ma chemise complètement collée à mon torse.
- Je t'aime aussi, Reda.
Puis elle se hisse sur la pointe des pieds pour trouver mon oreille et lui chuchoter :
- Et finalement je retire mes propos, tu es bien plus romantique que ce que j'imaginais.
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