1 - Whigley, an de grâce 1163
D’aussi loin qu’il m’en souvienne, nous jouions, Berthilde, Clomorgie, Ganahulf et moi, au pied du tertre caillouteux où s’élevait le prieuré de Whigley. Ce hameau de Whigley, composé de quatre ou cinq masures construites de bois et de mauvais torchis, accroché au prieuré, était notre terre. Alentours, la lande frissonnait sous les embruns des Highlands ; les tourbes et les bruyères cernaient quelques tumulus épars, vestiges du Mur d’Adrien séparant l’Écosse de la Couronne d’Angleterre ; de maigres champs rêches écorchaient l’arène granitique où poussaient folle avoine et seigle pour le gruau.
Nous jouions pieds nus dans le ruisselet qui coulait du hameau, cloaque irisé suintant de déjections de poule et de lisier des cochons voisins, où surnageaient des fanes de légumes pourris rongées d’asticots…
Berthilde riait aux éclats en voyant Ganahulf écroulé dans la boue du ruisseau ; elle riait de toutes ses dents étincelantes et acérées, capables de décapiter un rat d’un seul claquement ; elle riait, ses cheveux cuivrés rouges barrant ses yeux vert lumineux ourlés d’or. Berthilde, aux genoux écorchés, les ongles noirs, sa robe de bure grège, sale et élimée torchonnée autour de son corps anguleux, Berthilde était notre chef de meute. Elle aurait pu être meneuse de revue ! Personne ne pouvait lui en conter… du haut de ses 12 ans.
Berthilde et Clomorgie étaient issus des hordes Franques et Burgondes ayant ratissé l’Europe 300 ans auparavant. Vive et enjouée, le teint mat, un fin duvet brun courant sur ses avant-bras dénudés, elle était à l’inverse de son frère Clomorgie, d’un blond maladif, morose et lunatique. Leur mère ou grand-mère avaient probablement croisé quelque Sarrazin jadis !
Quant à Ganahulf il sortait tout droit d’une lignée viking, sédentarisée et asservie depuis les dernières invasions. Le cheveu argenté tombant sur de larges épaules, bagarreur et moqueur, il était rigolo.
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