Le dimanche 15 septembre 1366, jour de foire à Tunamore, les cloches battaient à toutes volées pour appeler forains, artisans et chalands à la messe. Il avait été annoncé que l’évêque de Galway en personne, serait présent pour sermonner la populace quant au droit chemin exigé par la Couronne et châtier les brebis égarées ! Vaste programme qui fit affluer vers la cathédrale moult cortèges de fidèles.

Quand moines et religieuses du monastère eurent pris place, précédés de Monseigneur O’Robery Attkinson, le prieur O’Donoguh (tiens, tiens… un descendant de l’abbé de Whigley ?) s’avança et dit : « Nous sommes réunis en ce lieu aujourd’hui, pour juger de l’accusation d’hérésie portée à l’encontre de Berthilde, doyenne et guide spirituelle de l’hospice de Tunamore ! »

La foule laissa échapper un cri de surprise.

« Nooon ! » Hurlai-je.

Toutes les têtes se tournèrent vers Berthilde. Elle était estomaquée, abasourdie, terrorisée. « Mais pourquoi ? » s’écria-t-elle.

Personne ne lui répondit.

O’Donoguh se leva. « Mon évêque et seigneur, dit-il, prétendant s’adresser aux juges mais se tournant vers la foule, comme personne ne l’ignore, la femme Eilish la Sage s’est enfuie, terrorisée à l’idée de passer en jugement alors qu’elle se savait coupable. Or, Berthilde rendait régulièrement visite à Eilish, nous pourrions dire qu’elles labeurent de conserve depuis de longues années. Très récemment, elle a pris sa défense, ici même, et devant de nombreux témoins. Elle s’est dit prête à jurer qu'Eilish n’était aucunement une sorcière. Pourquoi en venir à de tels serments, si ce n’était pour se disculper elle-même ?

- Parce qu’elle est innocente, comme Eilish, espèce de menteur hypocrite ! » M’écriais-je. L’insulte m’aurait pu valoir le pilori, mais ne fut pas même relevée, noyée qu’elle était sous les cris d’innombrables fidèles.

Le père O’Donoguh continua, mielleux : « Récemment, Berthilde a soigné des malades avec une potion sombre, elle leur en a même fait boire ! Le frère Ogismon notre docteur, qui lui a étudié Hippocrate et les Écritures, a analysé leurs urines… elles étaient rouges !

- C’était du jus de betterave, protesta Berthilde, depuis quelques temps Tra’Hor et sa famille se plaignaient de maux de ventre. La betterave est bénéfique pour le foie…

- Comment le sais-tu ? Ce n’est consigné dans aucun mémoire ! Serais-tu plus savante que frère Ogismon ? Tu chantonnes d’étranges mélopées en préparant tes mixtures, dit-il la voix radoucie, est-ce pour appeler à l’aide le prince des ténèbres ? … Lucifer ! » Cria-t-il en suite.

Un gémissement terrifié monta de la foule.

« Et son œuvre méphitique ne s’arrête pas là ! Car Eilish et toi fabriquiez des philtres d’amour, lâcha-t-il en promenant des yeux accusateurs sur la foule. Il se peut même, que se trouvent parmi nous aujourd’hui, dans cette cathédrale, des filles de mauvaise vie qui ont eu recours à ces pouvoirs pour ensorceler de pauvres hommes… »

Un frisson lourd de culpabilité parcouru l’assistance.

« Une novice ici présente peut en témoigner, ajouta-t-il dans un souffle retord.

- Il suffit ! » S’exclama Monseigneur O’Robery Attkinson.

La foule retint son souffle…

« A l’évidence, nous sommes confrontés à l’œuvre du Malin, continua l’évêque de Galway. L’accusée doit être examinée afin de déterminer si elle porte, oui ou non, la marque du Diable »

Sir Owen Mac Croy intervint alors : « Monseigneur, cet examen ne sera pas nécessaire. La Berthilde est connue depuis des temps immémoriaux ! N’est-ce pas sortilège que ceci ?

- On retrouve sa trace dans des registres datant de Glendalough ! Exulta le prieur O’Donoguh. Le cellérier de Cill Chainnigh en fait mention dans le cartulaire du monastère en 1173 ! N’a-t-elle pas dansé au milieu du cercle de Piper’s Stone ? C’est une sorcière ! » Hurla-t-il.

Un tohu-bohu gronda et enfla jusqu’aux voûtes de la cathédrale.

L’affaire était sans appel !

« Que le sergent de ville saisisse l’accusée, décréta l’évêque.

- Au bûcher ! » Cria Owen Mac Croy.

Ivre de douleur, je sautais toutes griffes dehors sur Baty O’Brien le sergent de ville. Ganahulf à mes côtés me stoppait dans mon élan, m’assomma et me fit sortir de la cathédrale discrètement.

Je me réveillais, quelques jours plus tard au large de Dingle Bay, sur un flambart avec mât de misaine et hunier, cinglant vers d’autres destinées…

« Au milieu du chemin de notre vie

Je me retrouvai par une forêt obscure

Car la voie droite était perdue. »

Dante Alighieri