J’ai hiverné dans mon passé

Revienne le soleil de Pâques

Pour réchauffer mon cœur glacé…

Mon beau navire, ô ma mémoire

Avez-vous assez navigué

Dans une onde mauvaise à boire.

Wilhelm Kostrowisky - Calligrammes 1918.

La Grande Guerre nous rapatrie avec insistance sur le vieux continent. L’horreur nous réclame à nouveau, pour l’ambition démesurée de piètres bourgeois indécis. Les slaves, des brutes assoiffées de sang ? Les anglais, des serpents froids et cruels ? Les français, des impérialistes avides et arrogants ? Les allemands ne valaient certainement pas mieux !

Les « enfants du Kaiser », élevés dans l’argent, la sécurité, les devoirs de leur classe, avaient failli périr d’ennui. Ils avaient cru que l’héroïsme n’appartenait qu’au passé et aux contes, qu’ils ne connaîtraient jamais l’exaltation de l’action ; ils avaient ressenti la nostalgie des grands périls et, à dix-huit ans, ils s’étaient estimés finis. Avec la guerre, l’avenir leur était restitué. Ils frémissaient d’impatience. Ils allaient connaître l’aventure ; la guerre les avait guéris comme un remède miraculeux. Elle leur rendait leur jeunesse, la vigueur de leur corps, le bouillonnement du sang, des jambes pour courir, des bras pour se battre… Elle leur redonnait leur sexe, le premier, le viril, le seul qui monte au combat. Elle leur offrait la grandeur, l’idéal, le dévouement. Qu’ils vivent ou qu’ils meurent, ils étaient déjà bénis par la nation ! Pauvres imbéciles ! La guerre allait tout niveler par le bas. Ils n’étaient plus que chair à canon ; deux pieds, deux mains, cela suffisait à la nation ! De la chair à canon, bonne à tuer ou se faire tuer. Viande et os. Rien d’autre. Des bipèdes armés. Pas plus. Pas d’âme, ou juste assez pour pisser de peur. Que de vanités ma chère Olga…