Puis c'est "l'éloge de la végétation" d'Alain Chany qui m'inspire, au cœur des granits de Lozère :

« Nous habitons aujourd’hui dans un pays où la terre est maigre et le squelette apparent. L’hiver y est long, l’été sec, les saisons intermédiaires se résumant à quelques jours où la végétation éclate – c’est le printemps – et s’abolit en noir et blanc – c’est le froid. Quelques paysans réfractaires s’y dessèchent et gèlent sur pied ; moi-même j’y fais le sphinx et la momie.

La Bête du Gévaudan ayant migré vers des capitales plus peuplées où les chances de rencontrer la belle ne se réduisent pas à rien, des animaux moins cultivés et, partant, moins exigeants se sont reproduits dans ce qui fut jadis des pâtures et des champs, aujourd’hui des landes et des bois d’accès difficile : les renards nichent dans les ruines d’anciennes fermes mangées par le végétal, les blaireaux trottinent le long des voies romaines et font l’entretient posthume des pistes ; les cerfs et les chevreuils paradent en famille sur des escarpements stratégiques antédiluviens et s’aventurent parfois, aux époques amoureuses, à côtoyer notre troupeau et goûter les légumes de nos jardins. Cet élan du cœur et cette gourmandise qui les poussent à approcher la civilisation les perdent : le braconnier sait qu’un jour viendra où la bête va se découvrir ; il attend près de la source.

D’autres espèces aux mœurs plus franchement nocturnes nous échappent et confinent à l’invisible diablerie : leur existence n’est déduite que des dégâts qu’elles commettent à l’intérieur de la basse-cour ou du clapier. Selon que la victime est égorgée, scalpées, éviscérée, nous savons en gros à quel type de société secrète nous avons à faire, mais il restera toujours imprudent d’affirmer péremptoirement : c’est la belette, c’est la fouine ou le chat sauvage, le KGB ou le KKK, des loubards intégristes ou la bande à Pasqua ! Ce que nous pouvons affirmer, c’est que, globalement, ici aussi, la sauvagine zone et perdure, et donne à penser. Et il nous faudra poser des pièges.