Suite et fin - 3

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On dit que les paysans d’ici sont méfiants. C’est vrai ; ils se méfient de tout ce qui peut ressembler de prêt ou de loin au bonheur. Vivant quotidiennement en sympathie avec les bêtes et les plantes, ces fossiles savent d’expérience et de tradition que l’avortement, la maladie et la mort ne font pas partie des accidents que l’on peut éviter, ni la tempête qui arrache le toit et casse les forêts, l’orage qui tue le berger, la neige qui écrase les jeunes plantations, le vent de la sécheresse qui brûle les poumons des chiens de troupeau. Ils savent que de toutes façons, et quoiqu’on fasse, « il y a toujours un voleur quelque part » ; et que personne n’est à l’abri de ces passions essentielles. Armés de cette philosophie du Jeu de l’Oie, où les renvois à la case départ sont monnaie courante et ne font pas l’objet de colloques – ces vieux méthodiques qui tournent en rond apparaissent à l’ambitieux Parisien qui fait une carrière-bolide aussi inefficaces et désolants qu’un pet foireux dans un caleçon long -, ils accompagnent simplement le destin des saisons, et on entend rarement le mot liberté sortir de leur bouche. En revanche, et puisqu’ils accomplissent le plus beau métier du monde, ils s’arrogent le droit de péter à toute heure et en toute circonstance, s’accordant en cela avec les putains, qui elles, font le plus vieux.

Eux non plus, finalement ne sont pas très catholiques. Lorsque le mari meurt, la femme ne va pas à l’enterrement : elle soigne le bétail et met la soupe sur le feu pour ceux qui restent. L’étranger les trouve durs, pessimistes et réactionnaires. Il se démoralise à leur contact et fait de la neurasthénie quand il faudrait faner.

C’est qu’être paysan en Margeride n’est pas un métier d’un avenir particulièrement parabolique ; c’est un état qui requiert de la distance et de la suspicion à l’égard des événements et de leur sens – il faut toujours se méfier d’un contre quand on tripote la nature -, et dont le fond de sauce est aussi impénétrable, vague, doux, tenace et inhumain que les yeux d’une brebis ruminant à l’infini. Ai-je dit !

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