Chapitre 1 : l'histoire
Il y a bien longtemps, le monde n'avait pas de couleurs. Non, il n'était pas qu'en noir et blanc mais surtout en nuance de gris. Cette situation ne posait aucun problème aux loups arctiques, aux éléphants, aux zèbres ou aux panthères mais tous les autres animaux commençaient à en être lassés. Alors, ils allèrent voir le plus grand inventeur de tous les temps :
— Inventeur, inventeur ! Trouve quelque chose, nous en avons assez d'être tout gris.
— Je vois ce que vous demandez. Pour vous les amis, je vais inventer la couleur !
— La couleur ? s'exclama le perroquet. Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
— C'est ce qui fera que le monde ne sera plus qu'en noir, en gris et en blanc. Laissez-moi réfléchir, repartez à vos occupations.
Alors les animaux des terres, des airs et des mers s'en allèrent pendant que l'inventeur se creusait la matière… grise pour trouver une idée. Et comme il cherchait, il trouva. Tout d'abord, il se doutait qu'il ne pourrait pas faire de la couleur à partir de quelque chose qui était déjà gris, noir ou blanc. Il chercha donc quelque chose de transparent. Il essaya un instant de faire de la couleur avec de l'air mais il n'y arriva pas. Alors, il attrapa un rayon de lumière.
Il sentit tout de suite qu'il était sur la bonne voie. Il fallait qu'il modifie ce rayon pour fabriquer de la couleur. Il chercha d'abord à le mouiller mais rien de bougea. Il essaya ensuite de le mettre au froid mais cela n'aboutit à rien. Alors il tira sur le rayon de lumière. Là encore, rien ne changea. Mais lorsqu'il relâcha le bout du rayon, celui-ci revint sur lui-même comme un élastique et une étrange lueur s'en échappa.
Étonné, il recommença : tira, lâcha et le rayon de lumière vibra comme un élastique et l'étrange lueur revint. Cette lueur n'était ni grise, ni blanche, ni noire. Elle était autre. Il comprit qu'il avait là une couleur. Il tenta diverses expériences : il tira doucement, tira moyennement fort, tira le plus fort qu'il pouvait ! Et à chaque fois, quand il relâchait le rayon et qu'il vibrait, une couleur apparaissait. Il tira des dizaines, des centaines, des milliers de fois ! À chaque fois, il mesurait la force avec laquelle il tirait et notait la couleur qui en résultait.
Après plusieurs mois de ces travaux, il sortit de chez lui, alla sur la plage, à l'embouchure du fleuve et cria aux quatre points cardinaux :
— Animaux des terres, animaux des airs, animaux des mers ! Revenez ! J'ai trouvé les couleurs !
Alors les animaux arrivèrent. Le grand inventeur leur montra le résultat de ses recherches. Toutes les couleurs étaient magnifiques ! Certaines étaient vives, d'autres plus douces ou vibrantes encore. À la fin de sa démonstration, le flamand arriva et lui dit avec un trémolo dans la voix :
— Tes couleurs sont magnifiques, ô inventeur. Peux-tu nous en donner que nous puissions nous séparer du gris, du noir et du blanc ?
— Bien sûr, je les ai fabriqué pour vous.
— J'ai adoré la couleur que tu appelles fushia. Peux-tu m'en recouvrir tout entier ?
Et c'est ainsi que le flamand devint rose. Dès que l'inventeur l'eut recouvert, il vola haut dans le ciel et hurla sa joie de ne plus être gris. Il promit d'entretenir sa couleur de toutes les façons possibles, et c'est d'ailleurs ce qu'il fait depuis, en mangeant toutes les crevettes roses qui passent à sa portée.
— Moi, dit le serpent liane, j'aime beaucoup ton vert. Tu nous as expliqué que tu recouvriras les arbres de cette couleur. On ne me verra pas ainsi, je pourrai trouver facilement à manger. Peux-tu m'en recouvrir tout entier ?
Et ainsi fut fait. De nombreux animaux ne voulurent recevoir qu'une unique couleur, d'autres étaient plus artistes et demandaient d'avoir plusieurs couleurs comme le poisson chirurgien qui demanda plusieurs nuances de bleu et du jaune, d'autres étaient de sacrés coquets et demandèrent des couleurs et des dessins comme le paon ou les paradisiers. Certains, les plus timides, demandaient juste à pouvoir se fondre dans l'environnement coloré qui serait bientôt le leur. Il fallut de longues journées à l'inventeur pour répondre aux demandes de tout le monde mais ce travail lui plaisait : il pouvait laisser libre court à son imagination.
Quand il eut fini avec tous les animaux, alors il parcourut la terre pour la colorer. Les arbres, les rochers, les steppes, les savanes, les coraux, les sables, les volcans, les lacs, les rivières sans compter le ciel et les astres. Le travail ne manquait certes pas et son imagination était sans limite. S'il voulait laisser la Lune grise en souvenir du temps ancien, il voulut quand même lui offrir des petits couleurs de temps en temps et il créa ainsi les éclipses pour qu'elle bronze un peu.
Quand il eut fini, il alla s'occuper à d'autres travaux.
Mais l'inventeur était parfois tête en l'air. Il avait oublié des millions de poissons : les poissons des grands fonds. Un jour, l'un d'entre eux, le barbourisia, reçut la visite d'une baleine de Cuvier.
— Mais tu es changée ! Qu'est-ce que tu as sur la peau ? s'exclama le barbourisia.
— C'est un très joli bleu-crème, tu ne trouves pas ? Ma belle-mère a préféré le marron, mais moi je préfère ça.
— Mais de quoi me parles-tu ?
— Tu n'as pas entendu parler des couleurs ?
Et la baleine de Cuvier lui expliqua les couleurs et leur distribution.
— Mais je n'ai pas du tout entendu son appel ! Il n'a pas crié assez fort ! Personne n'a entendu ici !
— Tu sais quoi ? Tu devrais lui demander de vous en redonner.
Alors le barbourisia rameuta tous ses amis, de la plus petite crevette jusqu'à l'immense calamar colossal. Tous, ils allèrent voir l'inventeur :
— Inventeur, inventeur, tu nous as oublié, donne-nous des couleurs.
— Des couleurs ? Mais j'avais crié fort pourtant. D'où venez-vous tous pour qu'aucun de vous n'ait entendu ?
— Nous venons de toutes les abysses, des profondeurs de la mer, que ce soient les déserts des planchers océaniques ou les oasis des fumeurs noirs.
— Mais de là où vous venez, il n'y a pas de lumière ! Ma technique de couleur est basée sur un rayon de lumière, ça ne marchera pas.
— S'il te plait, inventeur, fais quelque chose pour nous !
— Désolé mais non. De toute façon, je suis déjà passé à autre chose. Regardez-moi ce phare ! N'est-il pas magnifique mon phare ?
— Cette grande tour en pierre, là ? Elle sert à quoi ?
— Elle annoncera la belle ville d'Alexandrie pour les siècles et les siècles à venir ! Elle éclairera la mer jusqu'à l'horizon.
— C'est bien beau mais pour nos couleurs ?
— Fichez-moi le camp avec vos couleurs ! Vous vivez au fond de toute façon, personne ne viendra vous voir ! Ça vaut mieux : vous êtes trop laids.
Les poissons s'en allèrent vexés et déçus. Ils rejoignirent leurs grands fonds avant de se concerter.
— Qu'est-ce qu'on fait ? J'ai vu quand on est remonté : tout est magnifique. J'aimerai bien être aussi beau que ça.
— Je vais réfléchir, dit le barbourisia.
Alors tout le monde s'éloigna et le barbourisia commença à réfléchir. Dans les abysses, la vie est lente, ce qui ne lui parut que quelques minutes furent en fait plusieurs siècles. Au bout de ce temps, il rappela tous les poissons des abysses.
— J'ai trouvé une solution pour nous rendre tous plus beau que les autres de surface ! Remontons ! Allons trouver ce phare d'Alexandrie. Suivez-moi !
Alors tout le monde le suivit et remonta.
— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? demandèrent-ils au barbourisia lorsqu'ils furent en vue du phare.
— Tous les plus gros, frappez le sol !
Alors tous les plus gros poissons frappèrent le sol. Le phare commença à s'ébranler, des fissures apparurent, des pierres s'effondrèrent. Les vagues causées par le mouvement des poissons s'abattirent sur la construction et l'endommagèrent un peu plus encore.
— Et maintenant ! Tous les petits poissons, rongez le sol !
Alors tous les petits poissons, barbourisia y compris, commencèrent à ronger la petite île où avait été construit le phare. Mais alerté par les marins du port, l'inventeur – qui était toujours vivant passé tout ce temps – arriva au pied du phare.
— Qu'est-ce qui se passe ? Mon phare ! Mon beau phare ! Ma plus belle œuvre ! Ma merveille !
Mais il vit les petits bouillonnements dans l'eau causé par les mouvements des poissons des abysses.
— Comment c'est vous ? Mais que faites-vous ? Partez ! Laissez mon œuvre tranquille ! Allez-vous-en !
— Gare-toi, inventeur ! prévint le barbourisia. Ôte-toi de là ! Il va t'arriver du mal et nous ne cesserons pas.
Mais l'inventeur ne voulut pas écouter ces sages avertissements. Il essaya de chasser les poissons mais à chaque fois qu'il en attrapait un pour le lancer plus loin, un autre prenait sa place. Il vint un moment où le phare bascula et glissa dans les flots ! L'inventeur tenta de redresser son phare à mains nues, le fou ! Il ne réussit qu'à se faire écraser par les pierres.
Le barbourisia nagea près de son corps pour essayer de le ramener à la vie mais peine perdue : l'homme avait déjà perdu tout son sang. Alors, aidé d'autres poissons abyssaux, il le ramena à terre pour le faire enterrer par les hommes et les animaux.
Tous les poissons l'attendaient au pied des morceaux brisés du phare.
— Et maintenant ?
— Et maintenant, nous allons poursuivre mon idée. Que le grand inventeur ne soit pas mort pour rien. Voyez le système de ce phare qui amenait la lumière dans la nuit. Il est réduit en miettes par le choc. Que chacun en prenne un bout ! Nous n'aurons pas de couleurs mais au moins, nous produirons notre propre lumière ! Aucun animal de la terre, des airs ou des mers de surface ne sait faire cela. Ils nous envieront pour cela. Nous serons tous aussi beau pour cela.
Alors chacun commença à en prendre un bout. Le poisson-fouet le mit au bout de son fouet, d'autres préférèrent souligner leurs yeux, leurs nageoires ou leurs barbes. Mais tous ne purent pas en prendre. Le barbourisia fut de ceux-là.
— Mais comment vas-tu faire ?
— Ce n'est pas grave : malgré lui, l'inventeur m'a offert sa dernière couleur.
En effet, le barbourisia était d'un rouge vif, le même rouge que le sang de l'inventeur. En le ramenant à la berge, lui et les autres poissons avaient pris cette teinte, celle du respect pour son génie et du remord de cet accident.
— Mais tu n'as pas de lumière, tu ne verras pas que tu es si beau et si rouge, protesta le poisson-fouet.
— Ce n'est pas grave. Je sais que j'ai de la couleur, je sais que je suis beau, cela m'importe peu que les autres le sachent.
Alors tous acquiescèrent devant tant de sagesse et chacun rentra chez soi. Le noir des abysses était maintenant éclairé de guirlandes lumineuses et tout y était bien plus beau !
Trouverez vous les 10 concepts et la morale mentionnés dans ce conte ?
Dès que vous en avez au moins six, passez au chapitre suivant.
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