Aineías
Ainei ? Ainei ? Ainei ? Bon Dieu, où es-tu donc ? Si tu ne te dépêches pas nous allons être en retard!
Je jette à mon reflet un dernier regard de réprobation en sachant que ce n'est pas en restant devant lui que je vais pouvoir améliorer mon apparence désastreuse. Je descends le plus lentement possible les escaliers afin de retarder mon supplice, mais cette piètre tentative est un véritable échec. Ma mère qui hurlait mon nom cinq minutes plus tôt me lance un regard exaspéré et débite son laïus habituel.
- Bon sang Ainei, tu as seize ans, seize ans comment est-ce possible que tu ne sois pas plus jolie?! Elle m'examine davantage et la lueur de déception que je vois briller dans ses yeux annonce la suite de mon calvaire.
- Le jaune n'est décidément pas ta couleur ma fille ! Seigneur, tous ses bourrelets sont des plus repoussants, tu as juste l'air énorme ! Non ! Pas question de m'accompagner dans cet état ! On dirait un œuf décoré en prévision de la pâque ! C'est désastreux !
Elle m'attrape violemment par le bras enfonçant ses ongles colorés dans ma chaire, remonte les escaliers comme une furie et d'insatisfaction m'envoie valser au milieu de la pièce. Elle commence à me tourner autour. Je sais très bien qu'elle jauge de ses yeux de lynx toutes les imperfections qu'elle n'a de cesse de désigner comme monstrueuses.
- Rien n'y fait Ainei ! J'ai beau le savoir pourtant, j'essaie toujours de trouver une solution à cet insoluble dilemme ! Tu es définitivement laide mon enfant !
Elle lève les bras au ciel avec un agacement croissant et moi je commence à me tortiller sur place. Elle ne cesse de faire les cent pas dans chambre comme un volatile qui aurait perdu sa tête, puis elle se poste devant moi avec sur le visage une moue réprobatrice.
- Décidément tu me gâches toutes mes sorties! Qu'ai-je fait à Dieu pour avoir donné le jour à une enfant dotée d'une apparence aussi ingrate?!
Les larmes que je m'efforçai de retenir, finissent par s'écrouler de mes yeux. Cette gabegie d'insultes est parfaitement inutile car je sais très bien à quoi m'en tenir à propos de mon physique. Cependant j'avais le sentiment que ma mère faisait tous pour m'accabler et cette douleur de me savoir laide donc indésirable ne me quittait jamais.
Les larmes grossissent de plus en plus, j'essaie vainement de les retenir mais je n'y arrive pas. Je mets à pleurer en sachant très bien que je serais davantage critiqué par ma génitrice et qu'elle finira par trouver un moyen de me faire payer notre retard. En me voyant pleurer le visage de celle-ci s'empourpre progressivement jusqu'à devenir rouge de colère et je sais que je dois vite tenter de me gainer un minimum pour subir ses foudres à venir. Or rien n'y fait, les larmes continuent seules à s'échapper de mes paupières.
- Mais enfin quelle comédie est-ce là ? N'es-tu pas encore assez repoussante, pour t'enlaidir encore de larmes ? Je n'en peux plus de tout ça, quel mal ai-je bien pu causer dans une autre vie pour que le destin soit si cruel en m'offrant une fille telle que toi ?! Je me demande quel malheur la vie nous réserve-t-elle encore pour t'avoir faite si peu à ton avantage ?! Ces cheveux noirs corbeau, presque bleu, ces yeux beaucoup trop clairs pour une peau si blanche, ces rondeurs disgracieuses, cette absence de grâce et de finesse qui devrait caractériser les jeunes filles de ton âge sont tout simplement déplorable ! Il ne nous reste donc que cette solution pour pallier cette catastrophe !
Elle dirige vers une des commodes de ma chambre et en sort un corset.
- Voilà qui devraient atténuer un peu tes rondeurs graisseuses!
Elle retire ma robe d'été et me force à mettre cette chose que je déteste par-dessus tout. J'ai l'impression d'étouffer mais je sais très bien que contester la mise du corset, sera comme déclencher le cataclysme du siècle. Je garde les yeux baissés, je me rhabille avec une évidente réticence.
Ma mère souffle d'impatience et me dit:
- Malheureusement, je ne peux en faire plus. Tu ne seras définitivement jamais une reine de beauté quoi que je fasse !
Son air se fait résigné et elle secoue la tête de droite à gauche comme pour signifier qu'il ne reste aucun espoir. Elle lève les yeux sur l'horloge en pure perte car nous savons toutes les deux que nous sommes en retard. Elle pointe son index dans ma direction.
- Tout cela est de ta faute, maintenant dépêches-toi! nous sommes déjà très en retard, or ce rendez-vous est programmé depuis un mois! Et ne me regarde pas avec ces yeux-là ! Vàeiv est un excellent parti il nous assurera un avenir, chose que ton pauvre père a été incapable de nous offrir ! D'ailleurs une chance comme la nôtre est rare !
Après ce petit discours elle m'entraîne devant la maison ou un homme nous attend la portière ouverte sur une magnifique voiture. Avant que nous ne puissions nous avancer pour monter, elle me glisse discrètement ces mots.
- À partir de maintenant fais-toi discrète, si on te pose une question répond les yeux baissés avec humilité ! Tu n'es déjà pas très jolie inutile d'attirer l'attention sur toi ! Rappelles-toi que si cette opportunité nous est offerte c'est uniquement parce que le Laos à considéré que je ferrais l'épouse et la mère idéale; alors s'il te plaît ne gâche pas tout.
Lorsqu'elle s'avance avec moi en direction de la voiture son expression à complètement changée. Je la regarde faire avec un sentiment de honte croissant, en sachant que je n'ai jamais été et ne serai jamais à la hauteur de ses aspirations. La tyrannie de l'apparence est le maître d'oeuvre de notre société, on distingue trois classes selon lesquelles nous devons nous conformer, les qualikaeis, les regelais et les manoaeis.
Or Vàeiv faisait partie des qualikaeis la classe d'élite, richesses, pouvoir et influence lui étaient acquis, les mariages de notre monde étaient généralement des mariages arrangés, organisés par le Laos nos chefs spirituels. Je n'étais pas heureuse de cette affaire, cela faisait à peine un an que nous avions perdu papa pourtant le Laos avait considéré que maman était parfaite pour un des qualikaeis qui venaient de perdre sa femme et qui avaient un fils de mon âge. Lorsque la porte de la voiture se referme sur nous et que je vois notre maison s'éloigner une larme solitaire dévale mes joues.
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