Il lui semblait que l'air lourd autour d'elle menaçait à tout instant de décharger sur ses épaules tout le poids du monde. Les nuages gris foncés tendaient eux aussi à lui faire passer ce message. Elle réajusta sa prise au-dessus du pommeau de son épée et fixa son adversaire droit devant elle, les deux pieds bien ancrés sur le sol. Il faisait une chaleur étouffante sous son armure, et malgré les gouttes de sueur qui venaient lui brûler les yeux, elle n'envisageait pas une seule seconde abandonner le combat. Bien trop d'éléments de sa vie étaient en jeu.

Une lame s'agita devant son visage, elle fit un pas en arrière, fit jouer son poids en cercle et projeta son arme sur le bras de l'homme face à elle. Deux pas en avant, elle piqua du bout de son épée le genou de l'autre combattant. Elle crut qu'il allait reculer, mais il se rapprocha d'elle. Elle para son coup, non sans adresse, mais il avait bien plus de force qu'elle, et elle sentit son bras plier sous la musculature rude et masculine de son adversaire. Il la fit tourner, et elle sentit le coup venir. Une fois dos à lui, il lui mettrait une estocade de son pommeau pour la pousser hors du cercle. Son esprit acquiesça et elle se laissa faire. Jusqu'au dernier moment.

Lorsqu'il voulut donner le coup final, elle se pencha, suffisamment pour que la taille supérieure de son adversaire lui permette de se glisser sous son bras tendu, puis elle se releva juste derrière lui. Il se fit prendre à son propre jeu, et Lainien donna elle-même le coup de pommeau qui fit valser son concurrent hors du cercle. Son poids le précipita en dehors des limites dessinées à la craie sur le sol, et une vague d'applaudissements retentit.

Elle retira son casque et libéra ses longues mèches blanches trempées de sueur, secoua la tête et passa une main sur son front. Elle avait bien failli perdre, mais elle avait réussi à s'en sortir, tant bien que mal. Elle se dirigea vers son adversaire, encore sur le sol, et lui tendit une main pour l'aider à se relever.

— Merci pour le combat, Celedar.

L'elfe retira son casque à son tour et prit sa main, un sourire sur les lèvres en guise de réponse. Tous deux se dirigèrent ensuite vers les vestiaires, afin que les autres élèves les aident à retirer pièce par pièce les armures qu'ils portaient.

— Bien joué, lui lança Celedar, alors qu'on lui enlevait les épaulières.

— J'ai vraiment cru que tu allais m'avoir, ce coup-ci. Je suis morte de chaud.

— C'était ça ou rien, j'ai la force et tu as la tactique.

Elle rit, en partie à cause de la fatigue due à un entrainement épuisant.

Quand leurs deux armures, ainsi que les cottes de mailles et les diverses épaisseurs de protection en dessous furent retirées, Lainien pressa Celedar :

— J'espère qu'on ne va pas rater le combat entre Estion et Paladir ! Dépêchons-nous !

Il la suivit d'un bon pas hors de la pièce, son sourire laissant voir une bonne partie de sa dentition.

* * *

Estion venait d'entrer dans le cercle de craie lorsque Lainien s'assit sur le sol, aux côtés des autres élèves. Janna, à quelques mètres d'elle, la salua, et elle répondit par un pouce en l'air.

Paladir apparut à son tour, et une vague de tension se répandit sur l'assemblée. Les chuchotements se turent pas à pas, tandis que les deux combattants se préparaient mentalement à s'affronter. Ils se faisaient face, le temps égrenant lentement ses secondes, jusqu'à ce que l'un deux ne rompe le calme factice par un premier coup d'épée.

Des "oh" et des "ah" fusèrent de part et d'autre, et les coups adroits s'enchaînèrent à une vitesse que Lainien admirait. Bientôt, il apparut que les deux jeunes hommes étaient de force et d'adresse égales, et les élèves se hélaient tour à tour pour soutenir l'un ou l'autre des deux elfes en armure. Finalement, Paladir parvint à désarmer Estion dans un large mouvement du poignet, et gagna le combat. Estion n'était certes pas sorti du cercle, mais sans épée, il avait officiellement perdu. Paladir retira alors son casque et tendit la main vers son ami, qui la serra chaleureusement. Le combat avait été juste.

Leur professeur se mit alors au milieu du cercle et enjoignit les élèves à rejoindre la cantine afin de célébrer leur dernier cours d'escrime de l'année.

* * *

Lainien resta seule quelques longues minutes. Elle avait besoin d'air, et elle ne se sentait absolument pas prête à rejoindre tous les autres élèves. Assise sur un banc dans la grande cour, elle nattait de nouveau ses cheveux, emmêlés par la longue journée qu'elle venait de vivre. Elle n'avait pas faim, du moins son ventre était bien trop noué pour qu'elle arrive à avaler quoi que ce soit.

Les cours touchaient à leur fin, il lui restait encore deux heures d'Histoire et trois heures d'arts martiaux, et les examens toqueraient à sa porte.

Elle se leva et se mit en marche.

Les cris et les rires fusaient, une pomme vola dans les airs, rattrapée par une main brune et rêche. Un des professeurs tapa des mains pour faire revenir le calme, en vain.

Celedar la repéra, de l'autre côté de la cantine, et lui fit de grands signes de la main pour attirer son attention. Elle prit un plateau-repas, se servit un petit bol de porridge, et se dirigea vers le petit groupe d'amis.

— Je croyais que tu ne viendrais pas, fit remarquer Celedar.

— Pourtant, vous m'attendiez, répondit Lainien en désignant les gamelles pas encore entamées.

— Évidemment ! piailla Janna. Tu ne crois quand même pas qu'on allait manger sans toi ?

— Ha, et si je n'étais pas venue ?

— Je serais venue te chercher par la peau des fesses !

Herrion, le grand silencieux du groupe, pouffa et fit un clin d'œil à Lainien avant de remplir un verre d'eau et lui tendre.

Ces petits gestes simples, mais empreints d'affection et de bienveillance calmèrent les voix dans sa tête, et elle se détendit petit à petit. Elle avait vraiment envie d'oublier les examens, son anxiété, l'échec cuisant de l'année précédente, elle avait envie de passer une bonne soirée.