3 - Le Souper
Lorsque Gustave et Célio apparaissent au voile des flocons qui dansent, le sourire de l’ermite et ses grands yeux rayonnent à nouveau ; non sans honte, l’ermite avait condamné Célio aux mots qui en tissaient le portrait. De ce jugement péremptoire, il en conçoit une certaine honte : cette vision, sans doute un peu rude, n’est peut-être que le reflet d’une déception et cette déception, devant lui, semble bien vivante, un jeune homme aux traits durs et émaciés, le front large de ceux qui pensent, un certain maintien.
« Laissons-lui le bénéfice du doute ! Laissons-lui le bénéfice du doute » martèle en lui-même l’ermite, qui ne veut pas céder aux sirènes de ses intuitions et, sous l’impulsion d’une certaine forme de sagesse, lui donner toute chance que mérite l’inconnu.
Il observe donc Célio au fil du soir, tout en profitant copieusement de la compagnie de ce cher Gustave, de ses anecdotes échangées au doux vent de ses souvenirs : de la nostalgie, de la tristesse, de l’amertume, des rires qui fusent en mélodies, portés par l’ondée d’un vin capiteux.
Célio écoute ces histoires laborieuses qui bruissent au feu de cheminée, s’ennuie férocement, mais tâche de ne rien laisser paraître de son agacement. Ses grands yeux, noirs, vifs et odieux, furètent à la recherche de quelque chose d’exotique, pour amener la conversation vers d’autres horizons.
Or, il ne trouve rien qui le contente ou l’apaise : l’ermite vit dans une désuétude qui n’est plus de ce siècle, ce qui désole le jeune homme au-delà des possibles. Mais, ce qui l’intrigue plus que tout, c’est l’absence de livres, de bibliothèque ! Comment se fait-il qu’un auteur ne lise pas ? Célio brûle de lui poser cette question, mais préfère la conserver pour plus tard, quand ils ne seront plus que deux, suspendus au silence affreux de cette montagne.
Effacé, entre deux sourires feints, il plonge sa fourchette dans la pitance glaireuse qui se présente à lui : une viande âcre, à la saveur violente, comme il n’en a jamais mangé. Le goût de la Terre.
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