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Planqué dans un coin, j’attendis jusqu’à minuit leur retour. Si jamais ils s’étaient pointés, je me serais jeté sur eux, quitte à en prendre plein la tronche. Mais personne ne vint, sauf quelques matous en manque de poubelle. L’adrénaline retombée, je rentrai puis, après une douche, m’allongeai. La nuit fut mauvaise, impossible de fermer l’œil. Je tournai et virai l’image de ces deux types et, si je n’avais pas vu leurs visages de près, je les imaginais tels des corbeaux attendant auprès d’une charogne à dépecer. J’avais horreur de ce genre d’homme qui disparaissait à mon approche sans que j’en comprenne la raison. Je m’en méfiais. Que pouvaient-ils me vouloir ? Je n’avais pas remis les pieds en France depuis trente ans, et étais ici un total inconnu.

Un rayon de soleil me sortit du sommeil chargé dans lequel j’avais sombré. Ma montre m’indiqua huit heures passées, je me levai afin de prendre un petit déjeuner et combler le gouffre de mon estomac. Avant, je regardai par la fenêtre pour m’assurer que mes deux zigotos n’étaient pas revenus. Non, aucune trace des pompes italiennes. Je me pris à croire que j’avais rêvé, cela ne dura qu’une seconde. Je pillai le buffet et m’installai sur la terrasse face à l’océan. L’air iodé me fouetta le visage, j’inspirai à plein poumons. Un instant de bonheur non partagé, je constatai que j’étais seul. Les autres clients, restés à l’intérieur, me regardaient. Je compris pourquoi lorsqu’une serveuse s’avança. Elle portait un plaid et me demanda si je ne ressentais pas l’air frais venu du large. Je souris. Là-haut, dans ma montagne, les températures dépassaient rarement les vingt-cinq degrés en été, le reste du temps, le thermomètre indiquait du négatif. Le froid habitait mes jours et mes nuits, la brise marine de ce matin n’était qu’une caresse. Je refusai la couverture, mais la remerciai de sa gentille attention.

Je traversai Parentis sans regarder comment mon village s’était développé. À quoi bon ? Je me doutais de son expansion et je ne faisais que passer. Plus loin, je m’arrêtai au cimetière. Dans mes souvenirs, je le voyais plus petit, un carré entouré de hautes parois, lugubre à souhait, identique à bien d’autres. La nécropole s’étendait désormais. Un long mur blanc, contigu à l’ancien, se perdait jusqu’à un bosquet. Je tournai la tête en direction de la papeterie. La manufacture s’élevait au ciel. Immuable, le monstre sombre gavait son cœur d’acier de billes de bois puis crachait des rouleaux de blancs. Son antre nourrissait toute une région. D’un côté la vie, de l’autre la mort. J’étais au milieu.

J’entrai la tête basse. Jamais je n’ai compris la fascination de certains à se promener entre les tombes, moi, cela me rendait triste. Peut-être à cause de la douleur que j’avais ressentie à la mort de ma mère. Toujours était-il que moins je m’approchais d’un tel endroit, mieux je me portais. La sépulture de mes parents se trouvait dans un angle, à l’abri de l’ombre que lui procurait un arbre voisin. Les herbes folles la recouvraient presque, on ne distinguait plus le nom ni la dalle grise. La honte m’envahit, j’entrepris de tout nettoyer, comme je l’avais fait là-bas.

Les frères La Castagne partis, je m’étais mis au travail en commençant par rendre habitable la cahute qui allait accueillir ma vie. Boites de conserves et emballages vides couvraient le sol. Une fois tout ramassé, j’avais jeté l’unique matelas puis colmaté une fenêtre à la vitre brisée. Je m’étais attelé ensuite, non sans mal, à tout récurer du sol au plafond. La tâche m’avait pris de la sueur et toute l’après-midi. La luminosité baissant vite, je m’étais mis à la recherche d’un groupe électrogène, toutes les concessions en étaient pourvues, et l’avais trouvé à l’abri derrière la maison. J’avais ri à gorge déployée en voyant un plein bidon d’essence à ses côtés. Dans leur fuite, les deux abrutis l’avaient oublié, je les avais remerciés. La machine avait démarré au deuxième coup de lanceur. L’électricité produite suffisait pour deux ampoules et un petit frigo, bien que je me sois demandé son utilité. Le froid avait commencé à m’engourdir. Une demi-heure plus tard, le poêle à bois carburait, la chaleur avait envahi mon logement. J’avais déployé un duvet sur un matelas de mousse puis m’étais préparé un repas. Mon premier. La cuisinière, antique bloc de fonte, fonctionnait au bois aussi. Je n’y avais pas pris garde. La chaleur émanant des deux engins, j’avais ouvert une fenêtre afin de respirer.

Les jours suivants avaient vu mon affairement s’entêter à l’entretien des abords de la mine et du matériel d’exploitation. Se trouvait là un crible, un transporteur à bande et un concasseur, comme stipulé dans le contrat de concession. Après inspection, leur bon état relatif m’avait rassuré. J’allais pouvoir creuser, sans pour autant savoir par où commencer. Au cinquième jour de ma présence, j’avais entamé mon exploration.

La mine se composait de trois boyaux dont un, le central et aussi le plus large, était colmaté par un éboulis. Les deux autres s’enfonçaient sous terre dans des directions opposées et l’ossature des étais qui soutenaient la voûte était de bonne facture. Celui de droite s’enfonçait sur une centaine de mètres et finissait sur une retenue d’eau. Je sondais à l’aide d’un bâton, sa profondeur dépassait un mètre. Impossible d’aller plus loin dans l’immédiat. J’étais passé dans le tunnel de gauche. Moins long, j’en avais déduit que c’était le plus récent et le plus à même de receler du métal précieux. Seulement, après auscultation des parois, rien qui pouvait ressembler à de l’or n’affleurait. Les paroles de Bill, disant que je trouverais que dalle, m’étaient revenues en tête et, de rage, je m’étais mis à déblayer l’amas de pierres du gros tunnel. Cinq jours m’avaient été nécessaires pour enfin arriver au bout de mon labeur, mais je n’avais pas inspecté le boyau. Mes vivres arrivaient à leur fin, le temps du ravitaillement était venu.

Arracher les mauvaises herbes autour de la dalle me prit quelques minutes puis je me recueillis. Penser à eux ne m’arrivait pas souvent, trop de souvenirs heureux remontaient et submergeaient mes yeux d’une émotion que je ne voulais laisser paraître. Quel idiot ! Existe-t-il plus belle preuve d’amour ? Je mentirais en disant qu’à ce moment-là, des larmes ne coulaient pas sur mes joues. Je me ressaisis et me forçai à sourire en pensant au chemin parcouru depuis leurs décès. Auraient-ils été fiers de leur fils ? J’aime à le croire. Je m’étais gavé de la liberté si chère à ma mère et j’avais pris à mon compte le rêve de mon père. Que pouvaient demander des parents sinon le bonheur de leurs enfants ? À vrai dire, je ne le saurai jamais, aucun gamin ne m’avait appelé papa. Je m’accroupis, posai la main sur le granit et leur dis au revoir. Je ne reviendrai pas, là était ma dernière visite.

Je roulai sans but précis. Puisque plus rien ne me retenait ici, je partirais dès que mon avion serait réparé. Deux, peut-être trois jours à attendre et à jouer à cache-cache avec les costards clairs. Je n’avais pas de doute quant à la poursuite de leur filature, ils n’étaient d’ailleurs, à coup sûr, pas loin derrière moi. Mais, s’ils pensaient avoir affaire à un touriste, je connaissais de multiples endroits où les perdre et où me cacher. À Mimizan, je pris la décision de continuer vers le sud, je traversai Bias et filai sur Saint-Julien-en-Born lorsque, avant d’y arriver, je bifurquai sur Contis. Je sus alors, où je voulais, plus que tout, aller.

Je garai ma bagnole hors de vue de la route et attendis plusieurs minutes. La BM des rigolos ne passa pas, ni aucun autre véhicule. Je me dirigeai vers la cabane de bois blanc. Je stoppai net à une centaine de mètres, un pressentiment. Tout était calme, c’est à peine si le bruissement du vent dans les pins me parvenait, pas de chants d’oiseaux, un malaise me gagna. J’accélérai le pas. De l’extérieur, la maison dégageait toujours la même somnolence, cependant, je remarquai la porte d’entrée ouverte. Caroline avait pris soin de bien la refermer lors de ma visite de la veille. Je gravis les marches trois à trois et pénétrai à l’intérieur.

Un foutoir s’étalait dans le salon et le petit couloir, tout était sens dessus dessous. J’appelai en me dirigeant dans la cuisine et la trouvai au sol, inconsciente. Un peu d’eau fraîche la ranima, doucement, elle ouvrit les yeux.

– Caroline, c’est Marc. Comment vous sentez-vous ?

Sa main serra mon avant-bras.

– Marc ! Partez, je ne suis pas celle que vous croyez.

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