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Une bosse ornait l’arrière de son crâne. Celui qui avait frappé n’y était pas allé de main morte. Elle porta sa main sur la protubérance, fit une grimace. Une douleur vive cognait dans sa tête, ses yeux vitreux me le démontraient. Je filai à la recherche d’une aspirine et d’un verre d’eau. Elle but puis se leva. Je l’aidai à marcher jusqu’au salon et rangeai coussins et assise du canapé, elle s’y assit.

– Comment vous sentez-vous ? demandai-je.

– J’ai un tambour à la place du cerveau, mais je sens que le cachet commence son effet. Merci, Marc.

– Peut-être devrais-je vous conduire jusqu’à un docteur afin qu’il vous examine ?

– Non, laissez ! Ce n’est qu’un coup, ça va passer.

– Bien. Voulez-vous que je prévienne la police ?

– Non, surtout pas !

La rapidité de sa réponse et le ton employé me surprirent. Cette fille avait peur du gendarme, ou elle avait quelque chose à cacher. J’optai pour la deuxième solution. D’ailleurs, elle venait de me dire qu’elle n’était pas celle que je croyais. Décidément, entre les deux gus qui me tournaient autour, cette histoire de peintre et l’agression, je pensai que mon retour était digne d’un scénario de film d’aventure. Je n’imaginais pas si bien dire.

– D’accord. Je vais vous aider à mettre un peu d’ordre puis je partirai, dis-je en relevant sa chaise en rotin.

– Marc, je sais pourquoi vous êtes là.

Sa voix, abrupte l’instant d’avant, était maintenant affirmative. Elle ne me connaissait que depuis hier, que pouvait-elle savoir de moi ? Caroline avait le don de me décontenancer, une fois de plus, je restai sans mots.

– Vous avez l’air stupéfait.

Je touchai ma barbe. Pour sûr, je l’étais.

– Mes poils n’ont pas de nouveau blanchi, j’espère ?

Un sourire se dessina sur ses lèvres.

– Vous ressemblez à votre père, c’en est frappant.

– Vous… Vous connaissiez mon père ?

– Oui, un peu. Vous souvenez-vous de cette cachette sous le parquet derrière les toilettes ?

Je hochai de la tête. Caroline avait trouvé la boite métallique et son contenu. J’y avais laissé les billets d’avion que mon père avait acheté, mais aussi son passeport. Voilà comment elle le connaissait et je devais ressembler à la photo. Sur le coup, je ne me souvins pas s’il portait la barbe, je pensai que oui. Elle reprit.

– Pouvez-vous y aller et attraper la petite caisse, s’il vous plaît ?

– Je croyais que vous vouliez que je parte !

– J’ai dit ça ?

C’est moi qui souris.

Ouvrir la cachette me prit du temps, les lattes de plancher, avec l’âge, s’étaient déformées. Je tirai sur une, la boite de sucre en fer blanc apparut. Je restai plusieurs secondes à la contempler.


Dix jours de travail intense s’étaient écoulés. Je n’avais pas ressenti de fatigue ou de lassitude, au contraire, mon ardeur et ma motivation restaient intactes. Je me levais aux aurores, fringant comme au premier jour. J’avalais un café brûlant, mangeais un morceau et me ruais dehors quel que soit le temps. Les heures s’écoulaient ensuite, si bien que j’en oubliais parfois de me substanter à midi. Le soir, je remédiais aux gargouillis de mon ventre en avalant une double ration. Souvent je mangeais dehors, à la belle étoile, avant de battre en retraite dans ma cabane sous les offensives des escadrilles de moustiques.

Si la cahute et la mine avaient retrouvé un semblant de propreté, ce n’était pas mon cas. Sans commodité, se laver n’était pas facile, seul un bac, à l’extérieur, pouvait servir à me tremper. Je l’avais délaissé, préférant user sueur et force à mon labeur plutôt que de me nettoyer. Mon reflet dans une glace m’avait fait peur, quant à mes narines, elles avaient perçu les relents de mon corps. Je puais. Je ne pouvais décemment pas aller me ravitailler de la sorte. Une marmite d’eau bouillie plus tard, j’avais profité d’un bain en plein air, avec pour seuls compagnons, les chants des oiseaux et le brame des élans peuplant la forêt environnante. Un violent retour à la nature. C’est à cet instant que la fausse réalité de mes certitudes m’avait sauté au visage. Au diable la civilisation et ses exigences, là, je n’étais qu’un allogène perdu dans le royaume de l’animal, du végétal et du minéral. Je me devais de prendre soin de ces éléments, eux ne me feraient pas de cadeaux. Un moindre faux pas et je le paierais de ma vie. Et si cette perspective en aurait fait détaler plus d’un, pas moi. J’avais su, alors qu’une fine pluie avait commencé à tomber, que ma place était ici, définitivement.

Pour éviter de rentrer à la nuit tombée, j’étais parti sitôt le jour levé. J’avais compté deux heures de marche jusqu’au bas du chemin puis encore trois pour rejoindre le magasin de Stewart Crossing. Autant pour le retour, sinon plus. Une journée entière pour réapprovisionner mes étagères en conserves de toutes sortes, mais aussi en pansements et désinfectant. Mes mains, pourtant habituées au travail, se paraient d’ampoules et mes avant-bras de multiples écorchures. Sac sur le dos, j’avais commencé à descendre le chemin de ma concession lorsque, à mi-piste, un 4 × 4 avait déboulé. Sur son capot, l’insigne de la police canadienne. À ma hauteur, l’engin avait stoppé, puis deux gaillards en étaient sortis.

« C’est vous le nouveau propriétaire ? », m’avait demandé l’un d’eux. Je m’étais empressé de répondre oui et de leur en montrer la preuve. Ils ne l’avaient pas regardée, ce n’était pas pour ça qu’ils étaient là. « Dites donc, vous savez vous servir de vos poings, on dirait ! On a attrapé des pilleurs de mines avant-hier, ils avaient encore les stigmates d’une bagarre, ils nous ont dit que c’était vous l’auteur des coups. » J’avais grimacé m’attendant au pire. À peine arrivé, j’allais finir au trou. Face à ma moue, les policiers avaient ri avant de me demander de les suivre jusqu’au poste afin de faire une déposition. En chemin, ils m’avaient expliqué que les frères La Castagne s’étaient arrêtés dans une droguerie de Mayo, une ville un peu plus loin. Ils espéraient qu’on recoudrait leurs arcades, mais un mineur présent dans l’officine les avait reconnus et mis en fuite. Puis, il les avait suivis à distance jusqu’à leur repère dans la montagne. Prévenus, les policiers avaient attendu qu’ils se montrent, leur arrestation remontait à hier alors qu’ils remplissaient un jerrican d’essence dans une station. Ces types étaient recherchés depuis quelque temps. Sans moi, ils courraient toujours.

Le poste de police de Stewart Crossing ne ressemblait à aucun autre. De gros rondins de bois, taillés à la perfection, constituaient l’ossature, une toiture rouge sombre la recouvrait. En d’autres lieux, on aurait pu croire à un chalet de vacance, cependant, les épais barreaux aux fenêtres et la porte métallique levaient rapidement le doute. Là, d’autres chercheurs d’or attendaient, la chaleur de leur accueil m’avait surpris. Ces mineurs, de rudes travailleurs souvent solitaires comme moi, n’en étaient pas moins des hommes de valeur et de parole. Eux aussi étaient là pour les pilleurs et savaient ce que j’avais fait. Tous étaient venus à ma rencontre. Si certains ne disaient rien, j’avais su, à la poigne de leur main, que je faisais désormais partie de leur communauté, où le mot entraide n’avait pas de limite.

Ryan, était marié à Janet. Originaires d’Alaska, ils exploitaient depuis un an une mine non loin de la mienne et en tiraient de quoi vivre. C’est eux qui, après m’avoir aidé à faire mes courses, m’avaient raccompagné à ma cahute à bord de leur vieux pick-up. Je les avais invités à partager mon repas. Plus jeunes que moi de deux ans, ils avaient quitté Anchorage après des études de géologie. Leur destin commun était tout tracé, ils seraient chercheurs d’or, rien d’autre. Mais, là-bas, les concessions étaient rares et hors de prix. Avant de s’expatrier, ils avaient épluché les offres disponibles sur le territoire du Yukon et en avaient retenu deux. Sur le papier, ma mine se montrait attrayante. Facile d’accès, peu onéreuse, bon rendement. Tout, dans les photos et les chiffres, portait à croire à la bonne affaire. J’avais pensé à mon père. Sans doute avait-il suivi le même raisonnement. Eux, avant de signer, s’étaient déplacés. Stewart Crossing se trouvait à une journée de route, sur place, ils avaient déchanté. Peu importait l’état de la cabane, mais la mine ne valait pas un clou, leur savoir de géologue indiquait que l’endroit ne recelait que peu de métal précieux. J’avais ri, jaune. Ryan et Janet s’étaient rabattu sur leur deuxième choix malgré le prix. Bien leur en avait pris. C’est très tard qu’ils étaient retournés chez eux. Nous ne le savions pas encore, mais une profonde amitié allait nous lier.


Je revins avec la boite entre mes mains, Caroline était dans la cuisine à préparer du café. Sa cafetière italienne émit un sifflement, elle se servit une tasse et m’en proposa une. Je l’acceptai.

– Vous souvenez-vous de la signature sur la lettre qui vous annonçait la mort de votre père ? me demanda-t-elle.

– Oui, jamais je ne l’oublierais. Jacques. Vous le connaissiez ?

– C’était mon père.

– Je vais de surprise en surprise.

– Ouvrez la boite. Dedans vous y trouverez ce que vous y avez laissé, il y a aussi des photos de mon père. Tout le monde dit que je lui ressemble.

C’était vrai. Les yeux noisette, la ligne de nez, les fossettes, Caroline était la réplique du visage sur le cliché en gros plan que je tenais. D’autres tirages représentaient nos pères, tous les montraient souriants.

– Marc, allons jusqu’à l’océan. Vous voulez bien ? J’ai une histoire à vous raconter. Ici, au milieu de ce fatras, je ne suis pas sûre d’y arriver.

Au pied de la dune, je pris sa main afin de l’aider à grimper. Ses doigts fins, la douceur de sa peau, me firent un drôle d’effet. Une sensation que je n’avais éprouvée que trop rarement, une sensation qui me mit en émoi.

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