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Une brise marine nous cueillit alors que nous venions de passer le sommet. Le vent sentait le large, le sel, la liberté, l’abandon. Des touffes d’oyat ployaient, dessinant un paysage d’îles perdues, brisées en déferlantes de vagues. Devant, le chiendent des sables déployait ses rhizomes et jouait son rôle d’ancre salvatrice. De là-haut, nous dominions l’étendue liquide, tout se mélangeait, rien n’arrêtait nos regards. Déjà, ces moments suspendus me manquaient. Sa main glissa de la mienne, je remarquai son sourire gêné.
– Le premier qui trempe ses pieds n’est pas une poule mouillée, me lança-t-elle d’un coup.
Puis elle partit comme une bombe. Je la regardai dévaler la dune, ses pieds soulevaient des étoiles de sable, par deux fois elle bascula tête la première avant de se relever aussi sec. Elle rit, je m’élançai à mon tour.
Nos pantalons trempés jusqu’aux cuisses, nous nous assîmes à même la plage et restâmes silencieux de longues minutes. Au bout d’une inspiration et sans quitter l’horizon des yeux, elle prit la parole. Ce qui sortit de sa bouche allait me choquer, mais aussi expliquer beaucoup de choses.
« Mon père et le vôtre se sont rencontrés peu de temps après la mort de votre mère. Le mien venait de sortir de prison et suivait une formation de garde forestier. La justice la lui imposait. Il disait aimer se retrouver dans la forêt, cela l’aidait à oublier son passé. À l’époque, je finissais mes études à l’école des beaux-arts de Bordeaux et ne gagnais pas de quoi vivre par mes propres moyens. Ma mère étant partie, j’habitais chez lui. Rapidement, ils sont devenus amis, si bien que je voyais votre père plus souvent que vous. Si je me souviens bien, c’est à cette période qu’il a entrepris la construction de la cabane, il connaissait la forêt mieux que quiconque et savait que personne ne la trouverait. Il avait raison. Je crois qu’il a coupé les ponts et disparu de votre vie à ce moment-là.
Au fil des semaines, les compères ne se quittaient plus, l’un n’allait pas sans l’autre, et je n’ai compris que trop tard ce qu’ils manigançaient. Un soir, sur le bureau de la maison, j’avais trouvé un plan global de Saint-Jean-de-Luz et un autre plus précis sur lequel un cercle rouge était tracé. Ça n’avait fait qu’un tour dans mon esprit : mon père renouait avec ses anciennes occupations de braqueur ! J’avais ausculté les plans, tout était parfaitement millimétré et chronométré. L’endroit du méfait, ses entrées, les échappatoires possibles, la position de la voiture de repli, le temps que mettraient les flics à arriver, tout. Ne manquaient que la date et l’heure du cambriolage. J’avais cherché mon père afin de l’en dissuader, mais ne l’avais pas trouvé. Pour cause, avec le vôtre, ils braquaient au même moment l’une des plus importantes bijouteries de la côte.
D’après eux, tout s’était bien passé. Ils avaient trouvé un receleur qui avait pris une bonne partie de la came, et s’étaient distribué le reste avec pour consigne de ne le fourguer qu’en cas de nécessité. Avec papa, nous avions déménagé du côté d’Espelette dans une bergerie qu’il avait retapée, votre père y venait souvent, mais semblait de plus en plus fatigué. Il avait dit qu’il était malade, mais qu’il voulait partir au Canada pour chercher de l’or. Avec l’argent volé, il avait acheté une concession là-bas et des billets d’avion. Puis un jour, il n’était plus venu et j’avais pensé qu’il était parti afin de réaliser son rêve. Mon père m’avait dit qu’il était mort et qu’il fallait que nous déménagions de nouveau. À mes questions sur le pourquoi, il avait répondu que celui qui leur avait indiqué le cambriolage demandait plus, mais lui ne voulait pas donner. Avant de prendre la fuite, nous avons déposé chez vous la lettre et la clé de la cabane. Nous avons vécu longtemps en Belgique, puis en Autriche et en Italie. C’est à Venise qu’il est mort il y a deux ans.
Seule, je suis revenue en France avec l’espoir que je passerais inaperçue et me suis mise à la recherche de votre cabane. J’ai fini, après plusieurs mois, par la trouver. L’escalier d’accès n’était pas praticable et la toiture était en mauvais état. J’ai tout refait, trimbalant les matériaux dans une vieille guimbarde et attendant la nuit pour venir jusqu’à la maison. Ça m’a pris du temps, plus que je ne l’imaginais, mais ça en valait la peine. C’est en repeignant derrière les toilettes que j’ai trouvé la cachette et ce qu’elle contenait. Les papiers et les billets d’avion de votre père y étaient mais pas le titre de propriété de la concession. J’ai pensé que vous l’aviez trouvé vous aussi. Je ne m’étais pas trompé. Hier, lorsque vous avez déboulé au bout du chemin, j’ai cru voir le fantôme de votre père, j’ai vite compris que vous étiez son fils et que vous reveniez du Canada afin de récupérer votre maison. Je vous ai ouvert la porte sans laisser paraître l’émotion de vous voir, mais aussi la peur de ce que vous alliez m’annoncer. Vous n’en avez rien fait, je vous en suis reconnaissante. »
Marc, me pardonnerez-vous mon attitude et mes mensonges ? Je suis bien ici au milieu de rien, ou plutôt j’étais bien, j’en avais presque oublié ce pour quoi nous avions fui avec mon père. Je me rends compte que ce n’était pas une bonne idée de revenir, ils m’ont retrouvée et ne me lâcheront pas si je ne leur donne pas ce qu’ils veulent.
Caroline se leva et marcha vers l’océan. Moi, je restai collé au sol, encore abasourdi par ces révélations. Mon père, un cambrioleur ! Jamais je ne saurai ce qui lui a passé par l’esprit. Peut-être, se sachant malade, a-t-il choisi le chemin le plus court pour s’offrir ses rêves, quitte à finir en prison. Mais les heures avaient été plus rapides que sa vie. Un choix qui me laissait amer, car, au-delà de ce qu’il avait fait, tout ce que je possédais était issu d’un vol.
Je la rejoignis. Mains dans les poches, elle regardait ses pieds que l’eau recouvrait. Perdue dans ses pensées, elle sursauta au son de ma voix.
– Ceux qui vous ont frappée portaient des costumes clairs ?
– Oui. Comment vous le savez ?
– Je les ai surpris à rôder autour de ma voiture hier quand je suis parti de la cabane, et la nuit dernière ils étaient au pied de mon hôtel. Je leur ai peut-être indiqué où était la maison.
– Non. Je pense qu’ils avaient l’intention de venir hier, votre présence les en aura dissuadés et ils auront voulu en savoir plus sur vous.
– Ils savent qui je suis alors.
– Je n’avais pas pensé à cette possibilité. Ce qui veut dire…
– Que je suis dans le même pétrin que vous.
– Marc, je suis désolée.
– Hmm… Que vous reste-t-il du cambriolage ?
– Une partie de ce que mon père n’avait pas écoulé et la part du vôtre. Ce qui représente une forte somme au cours actuel de l’or.
– Et les deux zigotos n’ont rien trouvé chez vous ?
– Non, ce n’est pas caché dans la maison. Avant de me frapper, ils m’ont dit de tout amener à Bayonne d’ici deux jours, sinon la prochaine fois, ce n’est pas d’un coup qu’ils se contenteraient.
– Et vous avez l’intention de leur donner ?
– Ce qui reste de ma part, oui. L’autre vous revient, vous en ferez ce que vous voudrez.
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