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Plusieurs jours après le départ de Janet, nous avions signé les papiers. Chacun propriétaire d’un morceau de l’exploitation de l’autre, avec un net bénéfice pour moi. J’avais hésité au point que Ryan venait souvent me voir afin de me convaincre, puis avais cédé face à son insistance. Néanmoins, je m’étais promis qu’une partie de l’argent que je gagnerais serait distribué sous forme de bourse à ses enfants. L’affection qui me reliait à eux ne méritait pas moins. Je n’imaginais pas ce qui allait arriver. Comment aurais-je pu ?

L’été de l’année suivante prenait fin, James, John et Janet étaient retournés en Alaska pour la rentrée des classes, laissant un Ryan abattu. Mon ami ne puisait un semblant de distraction que dans le travail et la fatigue physique, je le suivais à mon rythme. Nous cognions la roche du matin au soir, le lendemain, nous chargions les débris dans des wagonnets avant de les passer au crible et d’en trier le contenu. Souvent, une trace d’or apparaissait, on mettait de côté le minerai puis nous recommencions à buriner. Nos gestes répétitifs, ancrés dans une routine, l’aidaient à surmonter l’éloignement de sa famille, mais souvent il s’isolait. Me parvenaient alors, étouffés, des spasmes que j’avais attribués au désespoir. Qui l’aurait cru de ce gaillard toisant deux mètres et pesant cent vingt kilos ? Mon ami, sous sa carcasse de géant, cachait un cœur gros comme ça. Parfois, je l’enviais.

Le 2 septembre, s’était produit l’incroyable.

Nous avions changé de boyau, la roche dure contre laquelle nous butions dans la galerie principale nous y avait poussés. Ryan, pour une fois depuis longtemps, chantonnait. Il s’était tourné vers moi puis s’était exclamé : « Mon ami, ce soir nous serons riches ! », puis avait enfoncé d’un seul coup son pic sur vingt centimètres de profondeur. J’avais dû l’aider afin de l’extraire de la gangue, nous avions basculé en arrière en y arrivant. Sur les fesses et devant le spectacle qui luisait sous nos lumières, nous avions explosé d’un rire sans limite. Après une danse de Saint-Guy, nous avions commencé à dégager ce qui allait, comme l’avait prédit Ryan, nous enrichir.

Deux mois plus tard, harassés, nous finîmes d’extraire l’or. Nous avions décidé de vendre directement à des négociants de Dawson City, ville plus au nord et haut lieu de la ruée. Là-bas, la rivière Klondike se jetait dans le Yukon, une pléthore de gigantesques mines à ciel ouvert extrayait des montagnes des tonnes de métal précieux. Face à la qualité de notre minerai, les personnes avec qui nous avions traité n’avaient pas hésité à venir sur place. Ces gars, pourtant habitués à de rudes négociations, nous avaient proposé un tiers de plus qu’escompté.

Cette découverte inespérée avait été la seule de ma vie de chercheur d’or. Jamais, avec Ryan, nous n’avons retrouvé tel filon. Trois ans plus tard, je m’étais blessé à une épaule, mon corps, usé, avait mis du temps à se rétablir. J’en avais profité pour acheter un terrain au bord de l’Ethel Lake afin d’y construire un chalet, Ryan et Janet avaient fait de même. Nous étions inséparables. Requinqué, j’avais passé mon brevet de pilote puis avais retrouvé mes vieux réflexes de charpentier en construisant ce qui allait devenir ma cabane au Canada.


J’expliquai à Caroline qu’avec mes amis nous avions ouvert un centre touristique basé sur la découverte de la nature l’été et les randonnées à chiens de traîneaux l’hiver. Les alentours de l’Ethel Lake se prêtaient à merveille à ces activités et, dès la première saison, le succès avait été au rendez-vous. Depuis, l’affluence ne s’était jamais démentie. Une partie de mon travail, en dehors de l’organisation des excursions, consistait à aller chercher puis ramener les clients avec mon hydravion, mode de déplacement fréquemment utilisé là-bas. Je lui dis aussi que toute bonne volonté était la bienvenue afin d’aider à la prospérité de notre petite entreprise.


Nous arrivâmes à Sanguinet, je garai la voiture et filai acheter de quoi manger. Caroline ne voulut pas m’accompagner, je me doutai que mes dernières paroles tournaient dans sa tête. Je redémarrai puis, plus loin, bifurquai sur le chemin de Sabas. À l’endroit où l’asphalte prend fin, une barrière nous empêcha d’avancer plus. Nous décidâmes alors de cacher la bagnole et de finir à pied. Là, sous le couvert de la forêt, elle me posa une question.

– Vous me proposez du travail ?

– Un appel du pied non dissimulé, j’en conviens. Tant reste à faire et…

– Et nous serions ensemble.

– Oui.

L’étang se dévoila au bout d’un sentier de sable. Un écrin d’eau bardé d’une ceinture d’arbre. Serrés en gendarmes, les pins formaient une barrière horizontale, on devinait par endroit des trouées comme autant de veines amenant la vie. Sous le soleil de cette fin d’après-midi, les bleus se mélangeaient, aquarelle de couleurs perturbée au gré de la profondeur. De-ci de-là des taches sombres indiquaient les passages à éviter pour rejoindre la cabane de pêcheur. Planté sur des échasses au-dessus de l’eau, l’abri me rappela le mien ; cent mètres nous en séparaient. Du bord, je le devinai propice à des journées sans fin, en cela, je compris l’attirance de Caroline pour cet endroit, j’y fus, moi aussi, soumis.

– Mettons-nous en sous-vêtements pour traverser. Vous êtes grand, vous pourrez porter nos pantalons et nos tee-shirts afin de ne pas les tremper. Ne vous inquiétez pas, vous aurez pied.

Sur l’instant, elle mit en application sa phrase, je la regardai se déshabiller puis fis de même. Elle nagea jusqu’à l’abri alors que je marchais sur du sable. Arrivée, elle tira sur une corde, une échelle de bois descendit à notre niveau.

L’intérieur se résumait au plus strict nécessaire. Une table, une chaise, une planche servant de couchage. Je fis un bond trente ans en arrière lorsque j’avais découvert la cahute de ma mine. Je rigolai et, face au sourire interrogateur de la fille de la plage, je racontai mon épopée canadienne.

À la nuit tombée, nous nous serrâmes têtes-bêches sur la couchette. Doigts croisés sous mon crâne, je l’écoutai respirer dans le calme absolu. Après de longues minutes de silence, elle parla.

– Marc, je vais venir avec vous.

Un sourire béat étira mes lèvres. Je m’endormis avec.

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