Marie Delblauw attache son vélo à la grille et attrape le bouquet de fleurs du jardin dans le panier, devant le guidon. Ses frisettes blondes volètent dans l’air frisquet, et ses souliers du dimanche font crisser doucement le gravier des allées. Une fois à destination, elle arrange les fleurs dans un vase et entame la conversation :

« Bonjour mon Antoine !
Tu vois, je suis venue seule, j’ai laissé les enfants chez la voisine.
J’ai l’impression qu’ils grandissent à vue d’œil. Tu te rends compte, Régis fait sa grande communion l’an prochain !
Voilà, il faut que je t’explique : je crois bien que je suis amoureuse. Il s’appelle Etienne, il a dix ans de plus que nous, il est veuf avec une grande fille. Catherine, elle s’appelle. Elle a besoin d’une nouvelle maman, comme nos petits ont besoin d’un papa. Et Etienne est très gentil avec eux, courageux ... c’est un fils de fermier, il sait s’occuper des bêtes et des champs. Et il nous fait rire avec ses bêtises ; il fait des grimaces en tortillant sa moustache…
Je t’aime mon Antoine, mais il faut bien que je pense à nos enfants, à notre ferme… »

Marie redresse la plaque « À notre cher Papa » qui a toujours tendance à se mettre un peu de guingois. Un dernier signe de croix, et puis elle souffle un baiser à la photo d’Antoine incrustée sur le marbre gris.

Marie et Etienne auront trois autres enfants ensemble. Jusqu’à ce qu’elle quitte sa ferme, en 1990, elle préparera un grand repas chaque premier janvier, où seront invités tous les enfants, y compris Catherine. Au fil des ans, les enfants se sont mariés, ont eu des enfants à leur tour. Et tout ce petit monde se retrouvera chaque Jour de l’an, chez Marie Delblauw.