Camarian se retrouva sur la pas de la porte tout à fait abasourdi. Son souffle était encore plus rapide qu’après sa montée des marches et il sentait le sang battre dans ses tempes. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu’il ne parvint à bouger, à redescendre lentement les escaliers, l’esprit blanc, rendu visqueux par la surcharge. Au palier du cinquième étage, il s’immobilisa dans la galerie ouverte. Pendant longtemps, son regard erra juste sur le ciel bleu, la main sur une des colonnes, ses pensées encore avec dame Érise.

Une expédition pour sauver Isaan ? Une folie sans doute, sauf qu’à cette idée une joie sauvage s’était ruée dans son cœur. Partir ! Rejoindre Isaan !

Il déplia la lettre, tant relue au fil des mois, à chaque fois qu’il s’était senti trop seul, document étrange à présent, comme souillé par l’intrusion d’Érise sur ces lignes personnelles.

Mon très cher Camarian, joyeux anniversaire.

Célébrer ta naissance est pour moi une grande joie. Nous les hommes, nous sommes encore caparaçonnés dans des normes de genre qui nous gênent pour exprimer nos sentiments. Ce n’est pas une chose que j’apprécie et pourtant je ne peux que reconnaître combien cela est ancré en moi. Pour cette raison, j'ai choisi l’écrit pour réussir à articuler mes sentiments.

Camarian, tu es pour moi un Ami, avec une majuscule. Ceci est dit.

La vue de Camarian se brouillait, il ne parvenait plus à lire la suite. Il décrocha du papier et se laissa dévaler l’escalier. Onze heures au Vi blanc. Isaan.

Il passa à son dortoir, vide à cette heure de la matinée. Sans cette convocation, il aurait lui aussi été à l’atelier à cette heure-ci, à apprendre son futur métier d’artificier. Des bacs et du coffre sous son lit, il tira et emballa quelques vêtements. Il changea ses scandales pour des chaussures de marche et, après un instant de songe, roula la lettre d’Isaan dans une chemise pour l’emporter. Au moment de repartir, il se souvint de la remarque de dame Érise à propos des vêtements d’hiver. Mieux valait obtempérer à l’étrange lubie de l’enseignante : il ajouta un chandail et des chaussettes à son balluchon, avant de le nouer et de quitter le palais royal en direction du rendez-vous.