L’heure du rendez-vous approchait quand il arriva au Vi blanc. Une petite foule bigarrée était assemblée là sur le gravier jaune et discutait à voix basse. De fréquents coups d’œil éteint jetés à la personne sur le rebord de pierre autour du Vi, adossée debout à l’immense paroi de verre. Dame Érise s’était changée depuis leur entrevue et portait désormais une immense robe pourpre à jupons. Sa silhouette contrastait avec la végétation à l’intérieur.

Le Vi blanc était ainsi nommé parce qu’il avait perdu une partie de sa transparence et semblait couvert d’un perpétuel voile de brume. Cela ne perturbait pas encore son écosystème intérieur, mais des rumeurs couraient qu’il faudrait peut-être bientôt l’ouvrir pour entretien… Une première au cours du siècle.

Contre la paroi translucide, Dame Érise attendait les bras croisés les derniers arrivants. Elle repéra Camarian alors qu’il se trouvait encore à trente mètres, lui adressa un hochement de tête et prit alors la parole d’une voix au volume impressionnant :

« Mes amis, je suis heureuse de vous voir arrivés. Nous voilà face à ce premier pas.

Vous savez pourquoi nous sommes là. Moi, je sais que certains d’entre vous ont encore des doutes. Ils se demandent pour quelle raison ils doivent se lancer dans cette aventure, pourquoi se donner tant de peine. Nous avons tous nos vies qui nous attendent, exigeantes... Vous renâclez déjà, murmurez vos doutes. Vous sauveriez le jeune Isaan, certes, mais vous, qui sauvera votre quotidien ?　

Eh bien je vous le dis : des trésors fous vous sauveront. Ne demandez pas comment, n’essayez pas d’imaginer ce que nous trouverons de l’autre côté des limites : allons-y tous ensemble ! Plongeons dans un deuxième monde d’où nous reviendrons grandis. La réalité toujours exiguë doit toujours être élargie ! L’univers des possibles est bien trop vaste pour la faible capacité de l’esprit humain : renoncez à tout prévoir, acceptez de découvrir !

Vivez plus grand ! Pensez plus vaste ! Allez !

Un aussi beau cortège que le nôtre ne passera pas longtemps inaperçu, alors sans plus attendre, partons ! Mettons-nous en chemin, ô mes courageux. Tout avancera d’un bon pas et vous serez de retour avant que nos proches ne puissent s’inquiéter. Mais pas avant d’avoir fait un voyage qui les rendra muets d’admiration ! »

A ces mots, dame Erise leva les bras au ciel et la foule, à ce signal, poussa un rugissement enthousiaste. Elle les modéra toutefois rapidement pour limiter le bruit. Camarian se demanda si l’expédition avait bien l’aval de la famille royale.

Dame Erise sauta à terre. Il y avait une cinquantaine de personnes sur le parvis, et quand elle partit par la route ouest, toutes se mirent en branle à sa suite. Camarian hésita, seul figé dans le flot.

Il était perplexe. De nombreux visages lui étaient familiers : des gardes du château, la grande bibliothécaire, des paysans, des artisans… Tous harnachés pour le voyage, tous semblant en savoir plus que lui. Dame Erise avait dû préparer tout cela depuis des semaines.

Mais où pouvaient-ils bien tous partir ? Où allaient-ils chercher Isaan, et pourquoi y avait-il besoin d’être si nombreux ? Camarian leur emboîta le pas pour ne pas être distancé et se mit en quête d’un visage familier pour le renseigner. Bientôt, la troupe s’enfonça sous le couvert des arbres. La hâte de Dame Élise donnait à Camarian l’impression de faire quelque chose de mal, sans cerner au juste quelle loi ou quelle morale la tutrice royale leur faisait enfreindre.