Camarian remontait lentement ce flot humain. Des participants avaient les cheveux aussi blancs qu’Élise, d’autres étaient dans la force de l’âge, aucun ne semblait aussi jeune que Camarian. De nombreux visages lui étaient vaguement familiers, paysans amis de ses parents, artisans croisés au palais, et même des membres de la cour royale dont il pouvait retrouver le nom sans avoir en général échangé un seul mot avec eux. Centraux et Borduriers marchait côte à côte, discutant avec un enthousiasme détendu en circulant sous le tâchetage de lumière projetée par les arbres. Le cortège avait des allures de carnaval.

Tous étaient donc réunis pour Isaan ? Sa popularité n’était plus à prouver, mais de là à motiver autant de gens, de tant d’horizons différents, Camarian était surpris. Dame Érise avait certainement aussi sa part. Elle bavardait aussi bien avec les Borduriers qu’avec les Centraux, et son influence paraissait plus grande que Camarian ne l’aurait cru. Il mourrait d’envie de l’assaillir de questions, sans toutefois oser pas fendre la foule et s’imposer.

Camarian était loin d’être aussi sollicité. Certains le saluaient, Camarian répondait en quelques mots sans savoir quoi dire pour nouer une vraie conversation, et on s’éloignait. Il se sentit vite mal à l’aise, seul parmi tous ces gens. Se lier à autrui n’était pas son fort.

Il n’avait jamais eu qu’un seul véritable ami et à présent ses craintes se confirmaient : bien que Camarian n’eut personne d’autre au monde, il n’était pour Isaan qu’un ami parmi d’autres. Isaan avait pu partir sans Camarian, sans personne, avec l’aisance de ceux savent pouvoir se faire de nouveaux amis où qu’ils aillent. Au contraire, les semaines écoulées depuis avaient rongé Camarian au bout de son endurance. Ce jour-là, zigzaguant ainsi entre tous ces semi-inconnus, il se sentit perdre pied, englouti dans l’intense solitude des milieux de foule. Il songea à rebrousser chemin. Tout ceci lui semblait absurde. Où allait-on ? On marchait pour l’instant sur la grand-route sans se poser de question, guidé par les pavés, suivant les ornières, mais quiconque savait-il vraiment où trouver Isaan ?

Pour l’instant, il continuait à scruter le groupe pour trouver à qui s’adresser. Il reconnut un certain Sir Jeia, qui dirigeait d’une main de fer les jardins royaux. Une Dame Milt, à la peau caramel, qui coupait des arbres dans la forêt nord. Un Sir Markon, aux cheveux d’un roux intense et à la réputation d’être fou en amour…

Tout aussi remarquable visuellement, mais d’une façon bien plus ingrate, le jeune Luno marchait avec eux sous une capuche, cachant et protégeant sa peau craquelée et poudreuse. Presque tous les membres de sa famille étaient affligés de cette tare repoussante.

Il y avait là aussi un Sir Nelm connu pour avoir trahi son frère dans une affaire de succession, une Dame Camelia se réclamant incapable de manger ce qu’elle n’avait pas préparé elle-même… Des excentriques, pour beaucoup.

Et enfin Dame Lucienne, qui n’avait jamais travaillée de sa vie… comment imaginer qu’elle serait utile à cette expédition ? Elle dépensait des sommes folles pour plaire à d’autres dames riches, qui ensuite lui avançaient de l’argent pour la flatter à leur tour.

Parmi ces gens naissaient des discussions pleines de séductions, les uns paradant par leur charme, d’autres par leur verve, d’autres enfin se bornant à rougir et à n’exceller qu’en tant que public.

Sans aucun camarade dans le groupe, malgré tant de visages familiers, Camarian demeurait seul. Ce vide bondé lui pesait. La troupe maintenait une cadence soutenue et il s’essoufflait à naviguer dans le cortège, les jambes de plus en plus lourdes, le cœur de plus en plus faible. Si Isaan n’avait pas été en jeu, il aurait déjà renoncé et rebroussé chemin.

Alors il découvrit Diana.