Chapitre 8

10 minutes de lecture

Sans échanger un mot de plus, on part en courant. On tente de fuir les lampadaires qui voudraient nous surveiller. Je m'accroche à sa main qui me guide vers l'obscurité. Nos pas résonnent sur l'asphalte et se mêlent aux appels de Stacy et Rachel. Mon nom sans cesse crié n'est bientôt plus qu'un murmure étouffé par le vent. À la lisière de la forêt, un rideau de feuilles se referme derrière nous. C'est un point de non-retour.

Entre les arbres et les buissons, la terre amortit nos pas désormais ralentis. La panique laisse place à l'euphorie. J'ignore où il m'emmène, mais je m'en fous. Chaque battement de mon cœur me rapproche de l'inconnu dont je n'ai plus peur. C'est peut-être l'herbe et l'alcool, mais du bout des doigts, je caresse une liberté inespérée. Unis dans cette échappée clandestine, on est des fugitifs de l'ordinaire. Le monde peut bien s'effondrer, nous avons trouvé refuge dans le regard de l'autre.

— Tu crois qu'ils nous ont vus ? demande-t-il.

Je secoue la tête, occupée à reprendre mon souffle.

— Où est-ce qu'on va comme ça ?

Son regard se pare d'espièglerie.

— Tu le sauras... quand tu le sauras !

Il me lâche son habituel clin d'œil. Je tente de le faire avouer, mais il refuse de plier. On continue de marcher. En chemin, l'écho de nos rires nous suit à la trace. Après plusieurs minutes, j'aperçois les remous scintillants du lac qui bercent le reflet des étoiles. Les contours d'une maison se dessinent à proximité. Lorsqu'on l'atteint enfin, Elliot s'arrête pour me faire face.

— Bienvenue dans mon repaire secret.

C'est encore plus pourri que sa baraque. Le bâtiment est marqué par l'usure du temps. Les lambris jadis blancs ont perdu leur patine d'antan. Les fissures déchirent le bois et des touffes d'herbe trouvent leur chemin à travers les interstices. Autour de la bâtisse aussi, la végétation s'est emparée du moindre recoin et les arbres se penchent sur elle pour la protéger.

Elliot pousse la porte qui grince pour nous inviter à entrer. Je tousse, attaquée par la poussière que nos pieds soulèvent. On devine sans difficulté que le lieu est abandonné. Je trébuche sur une bouteille vide. Presque abandonnée. Je crois que c'est le refuge de fêtes clandestines. J'avance le long de l'étroit couloir recouvert de tapis encore moelleux. Au bout, les rayons de la lune tapissent les murs délavés du salon. Le mobilier est défraîchi, tout droit sorti d'une époque que même ma grand-mère n'a pas dû connaître. Si je fais abstraction des dégâts du temps et des canettes qui jonchent le sol, c'est quasiment accueillant.

Elliot s'approche de moi d'une démarche féline. Ses yeux brillent d'une lueur que je reconnais. Il glisse une main le long de ma taille et attire mon corps contre le sien. Son autre main vient caresser ma joue avec une douceur que je ne lui aurais pas soupçonnée. À quelques centimètres l'un de l'autre, nos visages se frôlent. J'ai la gorge nouée d'appréhension et de désir.

Il n'attend plus que mon signal, un geste pour sceller nos lèvres à nouveau, mais quelque chose en moi résiste et se plaît à le faire languir. Un sourire mutin étire mes lèvres lorsque je détourne la tête, rompant l'étreinte avant qu'elle ne débute. Elliot me lance un regard interloqué auquel je réponds par un haussement d'épaules ingénu.

— Alors, tu ne me fais pas visiter ?

Il met quelques secondes à comprendre que je le mène en bateau et je crains un instant de l'avoir vexé. Rapidement, un sourire taquin fend son visage.

— Ok, ma belle. Tu veux jouer ? Alors, on va jouer.

D'un geste théâtral, il m'indique le couloir d'où nous venons. Je m'y engage d'un pas assuré et le suis jusqu'à...

— La cuisine !

C'est ce que je pensais. Placé au centre de la pièce, les bras grands ouverts, il m'en présente les qualités comme si j'allais l'acheter.

— Spacieuse, robuste, énonce-t-il en s'approchant du vieux plan de travail. Solide, malgré le poids des années, comme vous pouvez le const'.

Il se coupe lorsque la porte du placard qu'il vient d'ouvrir lui tombe dans les mains. Il me fixe brièvement sans savoir quoi improviser. Finalement, il repose la portière cassée.

— C'est modulable !

— Vous m'en direz tant !, répondis-je sans sortir de son jeu.

On éclate de rire et il m'entraîne vers d'autres pièces. Ensemble, on se lance à la découverte de cette maison prisonnière du temps qui passe. Je me perds dans un labyrinthe de couloirs, guidée par sa voix. Dans chaque salle, je trouve d'autres souvenirs qui me racontent ce passé oublié. Je m'arrête devant un vieux buffet fissuré. De vieilles photos cachées derrière une vitre brisée témoignent du passage de ses occupants, il y a fort longtemps. J'en prends une en main. Dans cent ans, c'est tout ce qu'il restera de nous aussi ; des clichés ravagés par la poussière.

— Bouh !

J'ai entendu le parquet grincer.

— Bien tenté, mais c'est raté.

— Sérieux ? Même pas un tout petit peu ?

Je secoue la tête et repose le cadre.

— Même pas un peu !, dis-je en quittant la pièce, insolente.

Je continue ma découverte. Je traverse le salon, puis la vieille salle à manger où une nappe drape encore la table ouvragée. À son extrémité se dresse un vieil escalier branlant. J'avance jusqu'à celui-ci et monte prudemment les marches qui semblent prêtes à rompre à tout instant. Encore ivre, je m'agrippe comme je peux à la rampe instable. Arrivée en haut, je me tourne, pensant trouver Elliot dans mon dos. On dirait qu'il s'est volatilisé.

— Très drôle ! Je sais que tu te caches pour me faire peur !, lancé-je, persuadée de le trouver derrière la première porte que j'ouvrirais.

Aucun signe de sa présence lorsque j'avance. Je suis seule. Plongée dans l'obscurité du couloir, un léger frisson d'inquiétude me parcourt.

— Elliot, allez... C'est plus drôle, balbutié-je pour fendre le silence.

Aucune réponse ne me parvient. Les secondes s'écoulent plus lentement et mes mains moites glissent sur les poignées de portes que je me risque à pousser.

Soudain, un craquement. Puis un second et mon cœur tente de s'extraire de ma poitrine. Ça vient de la pièce à ma gauche. Ne fais pas ta chochotte. Je me risque à entrer. La chambre est dépouillée de presque tout son mobilier. Au centre, un matelas est déposé, entouré par davantage de restes de fin de soirée.

— Elliot…?

Ma voix se fait timide. La porte claque derrière moi. Un cri d'effroi s'échappe de ma poitrine et je me retourne pour voir mon assaillant qui rit face à ma peur.

— On fait moins la maline, Moore !

Mon cœur bat plus fort que jamais et je dois reprendre le souffle qu'il vient de me couper.

— Putain Elliot, tu m'as fait peur !

— C'était le but.

Adossé contre la porte, les bras croisés, il me gratifie d'un sourire en coin, satisfait de son petit jeu. Il s'avance doucement, le regard brûlant.

— Alors, Moore, on a peur des fantômes ?

Sa voix n'est plus qu'un murmure. Sans me quitter des yeux, il passe sa main autour de ma taille.

— Dans tes rêves, Myers !

D'un geste vif, il comble l'espace qui nous sépare encore et presse son corps contre le mien. Sa bouche frôle mon oreille.

— Dans mes rêves, on est déjà bien plus loin que ça... chuchote-t-il d'une voix rendue rauque par le désir.

Fascinée par ses yeux qui aimeraient me déshabiller, j'ai le souffle coupé. Tout me dit de reculer. Mais tu continues de m'attirer. Ses gestes sont des promesses. Je veux croire qu'elles sont vraies. Dans ma tête, une douce musique me dit de ne plus hésiter. Je ne veux plus lutter. J'agrippe sa nuque et scelle nos lèvres qui depuis trop longtemps se cherchent.

«Tonight we'll find a dune that's ours... »

Nos lèvres se dévorent. Ses doigts se referment sur moi et on bascule sur le matelas. Au-dessus de moi, ses cheveux caressent mon cou. Chaque baiser devient plus profond, plus avide. Son parfum est le plus doux des poisons. Le seul que je veuille goûter. Dans l'obscurité de cette chambre désaffectée, plus rien n'existe, si ce n'est ce moment volé. Mes mains s'impatientent et je commence à parcourir son corps fiévreux. Je retire sa veste et la fait valser au pied du matelas.

— Entreprenante, dis-moi.

— T'as rien vu encore.

Je me penche en avant et pince sa lèvre entre mes dents avant de l'obliger à rouler sur le dos. À califourchon, je prends le contrôle de la situation. Commence alors une danse sensuelle. Mes hanches ondulent langoureusement contre son entrejambe qui durcit à chacun de mes mouvements. Ses yeux se ferment et il se retient de jurer. Du moins, il essaie.

— Tina, putain...

Ce n'est pas une plainte. Il m'attrape par la taille pour m'avoir plus près de lui. Encore plus près. J'agrippe l'ourlet de son t-shirt et le passe au-dessus de sa tête.

Quand je dévoile son torse tatoué, il est moins confiant que je l'aurais imaginé. Le dragon sur son épaule tente de me raisonner. Je sais que je vais me brûler. Je pose ma bouche sur sa peau marquée d'encre. Un gémissement s'échappe et sa main agrippe mes cheveux pour me forcer à prolonger mes baisers. Son cou, le creux de sa clavicule, aucune parcelle ne saurait rester ignorée. Il empoigne mes hanches et y laisse la trace du démon qu'il porte au doigt.

On intensifie les mouvements de nos bassins et il dépose d'innombrables caresses sur mon corps tremblant, avant de glisser ses mains sous ma robe. Je m'embrase, et il agrippe ma poitrine à travers mon soutien-gorge. Un soupir lascif quitte le seuil de ma bouche pour s'échouer à son oreille. Je le sens sourire contre mes lèvres et il se paye le luxe de me taquiner entre deux baisers.

— On dirait que quelqu'un a du mal à se contenir !

Désireux de poser lui aussi ses lèvres sur ma peau, il retire la robe sous laquelle ses mains se sont égarées. Il recule pour me regarder. J'essaie de cacher les marques qui strient ma peau, mais il retire mes bras, laissant la lune me frapper de son éclat. Mes défauts, il ne les voit pas.

— Tu es magnifique, dit-il avant de m'embrasser une fois de plus.

Je me sens rougir. Il se perd dans mon cou, encore vierge de nos péchés, et y dépose un millier de baisers. Animés par cette flamme qui nous consume tous les deux, on s'abandonne dans notre secret. Le désir prend le dessus sur toute retenue. Mon corps tremble plus fort tandis que ses doigts continuent d'avancer entre mes cuisses. Il sourit au contact de ma peau humide.

— Déjà ? J'ai même pas encore commencé...

Je ne me laisse pas impressionner. Je pose une main assurée mais douce sur son entrejambe dure. Il sursaute dans un éclair de plaisir inattendu.

— Tu es mal placé pour parler !

Il se mord la bouche pour étouffer son plaisir, puis me contemple. Il ne sait plus si c'est vraiment moi. À deux doigts de franchir un pas, on se regarde une dernière fois. Après ça, tout changera. Après ça, tout se bousculera. Je veux pas y penser, laisse-moi t'aimer pour une nuit. Je noue mes bras autour de son cou et défais nos entraves. Il sait que j'ai fait mon choix. Son sourire s'étire sous mon oreille et ses doigts s'aventurent plus bas, jusqu'à s'introduire en moi. J'enterre mon visage dans ses cheveux pour amoindrir le son de mon plaisir. À mon tour, je traverse la fragile barrière de ses vêtements. Ma main douce se faufile dans son caleçon et saisit son membre qui se languit. Il jette sa tête en arrière et ses cheveux glissent sur ses épaules.

L'ombre de notre union danse sur les murs tandis que nos yeux se parent de notre extase. On devient esclave de nos caresses. Mes paupières se ferment et je ne sens plus que nos mains qui s'affairent à satisfaire l'autre. La réalité se trouble. Son odeur me garde ancrée, mais c'est l'ivresse que je cherche. Je suis droguée.

Dans l'urgence de ce besoin qui exige d'être comblé, nos gestes deviennent saccadés. On n'arrive plus à se taire. Nos chairs trempées de sueur se confondent. Mon corps se resserre sur ses doigts. Je sens ses jambes convulser contre moi, tandis que la même vague est sur le point de nous emporter. Il nage à contre-courant pour me laisser le temps de le rattraper et dans un dernier geste, nos voix s'élèvent à l'unisson dans un ultime cri de passion qui signe notre libération.

À bout de souffle, on reste un moment paralysés l'un contre l'autre. J'ai la tête qui tourne. Mes dernières forces suffisent seulement à contempler mon épuisement. Je finis par m'allonger sur le matelas, mais hors de ses bras, j'en conserve l'empreinte dont je me languis déjà.

Elliot reste assis au bord du lit. Je crois qu'il réalise seulement ce qui vient de se passer. Est-ce qu'il regrette déjà ? Je me relève et pose ma main sur son dos.

— Ça va ?

Essoufflé, il hoche la tête qu'il garde baissée. Finalement, il me sourit.

— Tu me dois... il s'arrête, sa respiration est entrecoupée. Tu me dois un caleçon propre, Moore.

Elliot se met à rire et j'attrape le coussin derrière moi pour le lui lancer. Il rattrape l'objet sans difficulté pour me l'envoyer sur la tête. Ce n'est pas son genre de regretter. Il est trop tôt pour ça.

C'est l'euphorie de l'après, alors on joue comme des gamins. Nos rires se mêlent et comblent le vide laissé par nos soupirs qui se sont tus. Bercés par l'obscurité, on se laisse tomber, apaisés. Dehors, il ne fait plus totalement nuit, mais on continue de parler. Mes paupières aimeraient se fermer. Je ne veux pas dormir. Je m'accroche à sa voix pour rester encore un peu avec lui. Par moments, je force mon éveil et acquiesce à son histoire que je ne comprends plus.

Il voit que mes efforts sont vains. Lorsque je l'abandonne enfin, sa main trouve la mienne sous la couette. Nos doigts s'entrelacent et son souffle termine de me bercer.

— Bonne nuit, Tina, murmure-t-il avant de partir avec moi.

______________________________________________________________________________________________________
Note de Pixel : Je me mets à plat ventre et demande votre clémence… Je suis à chier pour écrire ce genre de scène, alors tout conseil sera apprécié. <3

Note de Pixel 2 : Vraiment désolée pour le retard de publication. J'ai eu des semaines un peu agitées T___T

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Mlle Pixel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0