Chapitre 12

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— On n'a qu'à faire une grève des pom-pom girls !

Stacy ne manque pas d'idées. Elle a de nombreux plans pour le futur, et me faire virer de l'équipe n'en fait pas partie. Quand elle nous explique son énième plan pour m'éviter l'exclusion, Rachel ne sait plus que penser, moi non plus d'ailleurs. Ça fait trois jours, je me suis faite à l'idée que c'était terminé.

— Stacy, c'est vraiment gentil, mais on devrait peut-être juste lâcher l'affaire, tu crois pas ?, dis-je en débloquant mon cadenas d'un geste las.

— Lâcher l'affaire ? s'insurge-t-elle, les poings sur les hanches. Hors de question. La moitié des filles détestent cette pouffiasse et je la laisserai pas gagner.

Je réprime un rire cynique. En fait ça n'a rien à voir avec moi, c'est plus personnel que ça, pas vrai ?

— Peut-être, mais l'autre moitié t'en fait quoi ?, demande Rachel, plus pragmatique.

J'ouvre mon casier et les laisse débattre. Je n'ai plus envie d'espérer. Elles se taisent soudain. Je sors la tête de mon casier et vois Jason débarquer avec le sourire. Stacy glousse. Tout sauf ça. J'ai pas encore eu le courage de lui parler depuis l'incident, et pour être honnête, ça m'arrangeait bien.

— Rachel, tu viens, je dois pisser, lance Stacy qui attrape le bras de notre amie.

Me faites pas ça. J'essaie de les retenir, mais elles s'en fichent. Elles pensent que c'est pour mon bien. Les pas de Jason résonnent dans le couloir désert. Je me fige, le souffle court. Deux options : fuir ou... fuir. D'un geste brusque, je referme mon casier et fais mine de ne pas l'avoir vu. C'est gros, mais on ne sait jamais, sur un malentendu...

— Tina... Attends, s'il te plaît.

Raté. J'inspire profondément et me retourne, un sourire crispé sur le visage. Mes yeux fuient les siens et se posent sur ses baskets d'un blanc immaculé. Il a dû en passer du temps à les nettoyer.

— Salut, Jason, dis-je d'une voix qui se veut détachée.

— Comment tu vas ?

— Hum, ça va...

Cette conversation est embarrassante et on le sait tous les deux.

— Content que... Que tu ailles mieux. J'étais inquiet après que tu sois partie vendredi, dit-il en se passant une main nerveuse dans les cheveux.

— Ouais, ta sœur m'a dit... Écoute, je suis désolée d'avoir pété un plomb pendant ta fête.

— Oh, c'est pas grave ! s'exclame-t-il en levant la jambe pour me montrer ses baskets, un grand sourire aux lèvres. Regarde, elles sont comme neuves !

Il s'arrête un instant avant de se lancer.

— Écoute Tina, moi aussi je voulais m'excuser pour vendredi soir en fait, commence-t-il, le regard fuyant. J'avais trop bu et je sais que j'ai grillé quelques étapes avec toi...

— T'as trop bu, j'ai trop bu, le coupé-je. T'as essayé de m'embrasser, j'ai vomi sur le tapis... On peut dire qu'on est quittes !

C'est bon, ça y est, tu peux t'en aller ! Il se met à rire. Je crois qu'il pense avoir retiré l'épine de nos pieds. Je commence à agir comme si on en avait fini, mais notre échange lui a redonné confiance. Il s'approche. Pas trop près cette fois, s'il te plaît... Il pose sa main sur mon casier et je colle mon corps sur le métal froid pour ajouter le peu de distance qu'il est possible de mettre entre nous.

— Tu sais... j'aimerais vraiment t'inviter à sortir un de ces soirs pour me racheter, propose-t-il avec un sourire faussement timide. On pourrait aller en ville et

manger un bout !

Je t'aime bien Jason, mais pas comme ça... Mes lèvres demeurent douloureusement silencieuses face à sa proposition. J'ai pas envie de te blesser, mais je veux pas le laisser espérer ce qui n'arrivera jamais.

— Jason, c'est gentil, mais...

J'hésite, et cherche mes mots avec précaution. Avant que je puisse terminer ma phrase, quelqu'un vient à mon secours, mais ce n'est pas ce que j'espérais. Celui qui marche vers nous croit surement briser la tension, mais il ne fait que l'augmenter.

— J'y connais pas grand-chose, mais ça ressemble à un non.

Les mains dans les poches, Elliot défit Jason d'un regard qui transpire l'arrogance. Le blond devient raide. Cette intrusion, il ne la tolère pas.

— Tu ferais mieux de te mêler de tes affaires, crétin ! lâche-t-il en serrant les dents.

Elliot hausse les épaules et le provoque en jouant les innocents.

Oh, je suis désolé. T'avais l'air en galère, alors je voulais juste t'aider un peu. Mais peut-être que je me trompe.

Barre-toi... Leurs regards se croisent et je crois voir des étincelles en sortir. Au centre de cette rivalité mal placée, je me sens forcé de calmer la situation.

— Les gars, c'est bon, intervins-je en regardant l'un puis l'autre. Jason, merci pour tes excuses, mais dois vraiment y aller alors...

Je ne termine pas ma phrase, j'ai trop envie de me dégager de mon casier. La main de Jason m'empêche de bouger, mais il ne voit pas qu'il est en train de me bloquer, trop occupé à se demander à qui donner la priorité. Finalement, l'urgence de mon inconfort le force à trancher.

— Tina, je tiens vraiment à me racheter. Je veux vraiment être là pour toi, dit-il d'une voix étranglée d'émotion refoulée.

Il me fait de la peine, mais Elliot ne me laisse pas le temps de m'émouvoir. Narquois, il lance :

— Écoute, Jason, si Tina ne veut pas sortir avec toi, tu devrais peut-être te faire à l'idée, nan ?

Jason retire sa main, mais ce n'est pas pour me laisser partir. Il se tourne vers Elliot et c'est lui qui se met à le défier.

— On peut savoir ce que ça peut te foutre que je sorte avec elle ?

Elliot n'est pas impressionné, il s'approche pour montrer qu'il n'a pas peur de s'imposer.

— ça me fait rien.

Tu mens.

— En revanche, que tu ne saches pas t'arrêter quand une fille te dit qu'elle n'est pas intéressée, ça tu vois, ça me fait sérieusement chier.

Il continue d'avancer. Ce n'est pas de Jason qu'il veut se rapprocher et quand le blond finit par le remarquer, il éclate. Il bouscule Elliot qui doit reculer.

— Reste à ta putain de place, Myers.

Mon cœur martèle ma poitrine et je le sens battre dans mes tempes. J'ai pas envie que ça s'accélère, alors je m'interpose entre les deux garçons.

— Ça suffit, les gars, vous êtes ridicules !

J'appuie mon regard sur celui d'Elliot pour lui faire comprendre que là, ça ne m'amuse plus ses conneries. Il s'en fiche. Ce qui se joue ici ne me concerne plus. Entre les deux, c'est devenu personnel. Dans ses yeux, il n'y a plus d'étincelles rieuses, juste de la noirceur, et ça me fait presque peur. Un silence étire le temps

avant qu'Elliot ne se décide à répondre.

— Et qu'est-ce que tu comptes faire ? Me frapper ? Il s'arrête et rit avec cynisme. Nan, tu préfères frapper les filles toi, pas vrai ?

Jason se fige. Le visage décomposé, ses poings se serrent si fort que ses jointures blanchissent. L'accusation d'Elliot résonne dans le couloir désert, lourde de sens. Mon regard oscille entre les deux garçons, incrédule. De quoi il parle ?

— Qu'est-ce que tu racontes, Elliot ?, demandé-je d'une voix tremblante.

Un rictus amer déforme les lèvres d'Elliot.

— Demande-lui. Demande-lui ce qu'il a fait à Mary.

— La ferme, Myers. Tu ne sais rien !

Jason secoue la tête, le regard fuyant, mais Elliot continue d'appuyer sur une plaie qui n'a pas cicatrisé.

— Moi je crois au contraire que j'en sais plus que je devrais.

Soudain, dans un geste brusque, Jason se jette sur le garçon qui l'a trop provoqué. Il le pousse à terre et se met à le frapper. Je me précipite sur lui pour l'arrêter. Elliot a les bras sur le visage comme quelqu'un a trop souvent l'habitude de se faire tabasser. Une voix au fond du couloir le tire de sa rage.

— Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?!, s'exclame un surveillant qui passe par là.

Il court pour les séparer, mais Jason s'est déjà relevé. Elliot reste à terre et l'homme ne tarde pas à le ramasser.

— Toujours dans les bons coups, monsieur Myers.

Il attrape Elliot par le col et demande à Jason de le suivre. À les voir s'en aller comme ça, j'en viens à douter de qui a attaqué qui. « Tu préfères frapper les filles, toi, pas vrai. » Ce n'est pas le Jason que je connais. J'en fais quoi de cette information maintenant qu'ils sont partis ?

Rien. Je n'en ferai rien car je ne sais pas quoi en faire. J'ignore qui a raison, ni qui a tort, qui ment et qui dit la vérité. En revanche, ce que je sais, c'est que ces deux-là se bouffent le nez et je crois que c'est insensé. Ils sont programmés pour se détester, c'est la conclusion que j'en fais en fin de journée.

Quand je m'installe en salle de colle, je suis amer. Je sors mes affaires et jette un œil sur les quelques élèves éparpillés dans la pièce. C'était les mêmes lundi et mardi, et ça le sera certainement encore demain, à quelques exceptions près. Je me penche sur ma lettre, mais le stylo refuse d'écrire pour moi. Devant ma table, quelqu'un fait crisser les pieds métalliques de sa chaise. C'est qui encore ce couillon ?, demandé-je sans prendre la peine de regarder.

— Alors comme ça on fait des bêtises ?

La chair de poule se repend sur ma peau quand j'entends sa voix. Je décolle mon visage du bureau et vois Elliot s'installer à califourchon sur la chaise devant moi.

Je ne lui accorde pas mon sourire.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Ce que je fais de mieux, finir mes journées en colle.

— C'est à cause de Jason ?, demandé-je, renfrognée.

— Partiellement. En fait, j'ai failli m'en tirer, mais je pouvais pas me résoudre à te laisser seule ici avec... ces gens ! Il s'arrête et toise les élèves qui, pour la plupart, sont ses amis.

Je comprends le sarcasme. Il s'attend à ce que je ris, mais à la place, je soupire et m'enfonce dans ma chaise. Je n'ai pas encore digéré sa scène et il le sait. C'est pour ça que tu es ici, pas vrai ? C'est plutôt malin de sa part de profiter d'un endroit dont il sait que je ne peux pas m'échapper pour venir me parler.

— Écoute, Tina, pour avant, je...

Je secoue la tête et l'empêche de continuer. J'ai pas envie qu'on se dispute et je sais que cette discussion risque d'y mener.

— Laisse tomber, ok ? C'est... sans importance.

Il opine sans savoir s'il doit être déçu ou soulagé, et fait ce qu'il fait de mieux. Non, ce n'est pas finir ses journées en colle, c'est faire comme si de rien n'était. Je reprends ma lettre là où je me suis arrêté. « Chère Ashley. » En deux heures de colles, c'est tout ce que j'ai été fichue de coucher sur le papier. Fais un effort, tu peux bien baratiner un truc. Les minutes s'égrènent lentement, et chaque mot qui noircit la page est le résultat d'une lutte acharnée. Je fais une pause entre chaque lettre. Elliot lance des coups d'œil en arrière et quand je le vois faire, il se retourne en jouant les innocents. Au bout de la troisième fois, ça devient un jeu.

C'est bon, je suis pas fâchée. Tu peux arrêter ton numéro, murmuré-je pour que lui seul puisse m'entendre.

— Quel numéro je te prie ?

Le visage rieur, je roule les yeux.

— D'ailleurs, j'ai pas eu le temps de te le dire mais... il balance sur sa chaise et se penche sur mon bureau. Ça te va bien les cheveux relevés, tu sais.

On dirait qu'il me courtise comme la première fois et ça me fait rougir malgré moi. Il bascule encore un peu pour se rapprocher.

— C'est moi qui te fais rougir comme ça ?

Je détourne la tête et croise les bras sur ma poitrine.

— Il en faut plus pour me faire rougir.

Un rictus en coin déforme sa bouche.

— Ouais, je me fais une bonne idée de ce qui te fait rougir, tu sais.

Je relève un sourcil pour lui montrer que je ne me laisse pas impressionner.

— Tu veux dire ce que tu m'as fait vendredi ?

Ce jeu l'attire trop et sa chaise se déséquilibre. Il ne s'attendait pas à ce que j'en parle ici. Quand sa chute devient inéluctable, il tend la main pour se rattraper à mon pupitre, en vain. Son corps s'écroule misérablement à mes pieds et le bruit du métal qui tombe sur le carrelage réveille le surveillant qui piquait du nez.

— Monsieur Myers, cessez d'ennuyer ceux qui essayent de se montrer discipliné.

Il se relève et son visage se couvre de toutes les teintes de rouge. Les souvenirs l'ont tellement déstabilisé qu'il ne répond même pas. Je me penche en avant pour lui chuchoter :

— C'est moi qui te fais rougir comme ça ?

Je suis vite remercié pour ma blague. Par-dessus son épaule, il lance son stylo que je me prends en pleine tête. Il vise mieux que ce que sa dégaine laisse penser. On rit chacun de notre côté et ça dur jusqu'à la fin de l'heure. Il m'envoie un mot, je lui jette un stylo, puis c'est à mon tour de lui écrire. Quand ça sonne, je suis presque triste que ça se termine. Je rassemble mes affaires et quitte ces murs austères. À côté de la porte, un poster me rappelle bien faire mes devoirs. Dehors, le soleil rase le bâtiment et Elliot marche quelques mètres devant moi.

— Tu me suis ? demande-t-il sans se retourner.

— Nan, je n'oserai pas. T'es trop bizarre.

On continue de marcher en faisant semblant de s'ignorer. Sur le terrain que je longe, j'aperçois Jason courir. Je m'arrête un instant et passe mes doigts entre le grillage. « Demande-lui ce qu'il a fait à ta chère Mary. » Sais-tu ce que tu dis ou bien est-ce ton aversion pour ce garçon qui te fait tirer trop de conclusions ? Je lui ai fait confiance jusqu'ici, je peux bien lui laisser une chance de me raconter. Lorsqu'on est assez loin pour ne croiser personne, je le rattrape.

— Elliot, attends moi.

À deux pas de son van, il s'arrête pour me laisser le temps d'arriver. Je commence à lui parler de l'incident avec Jason, mais il m'arrête.

— Écoute, je suis désolé... c'était stupide.

— Très, mais c'est pas de ça que je veux te parler.

Ma bouche est pâteuse et j'ai du mal à déglutir. Je serre la bandoulière de mon sac à dos et le repositionne avant qu'il ne glisse de mon épaule qui s'affaisse.

— Est-ce que... Est-ce qu'il frappait Mary ?

Il baisse les yeux pour ne pas m'affronter quand il m'annonce sa vérité.

— Ouais, enfin... je crois.

— Quoi ? Comment ça tu crois ? Tu peux pas balancer un truc pareil parce que tu crois.

Il passe sa langue sur ses lèvres gercées avant de les mordre.

— Ouais, bah lui il m'a bien dénoncé aux flics parce qu'il croyait.

Je souffle. Je vois dans les yeux d'Elliot que ce n'est pas mal intentionné. La mort de Mary les a tous les deux retournés et chacun cherche un coupable là où il peut le trouver, mais leur rivalité mal placée, je ne compte pas m'en mêler.

— Écoute, Elliot. Je sais pas ce que tu penses avoir vu ou entendu, mais je connais Jason depuis longtemps. Il peut être arrogant et quand il s'agit de se battre,

c'est certainement pas le dernier à se lever mais..., je m'arrête pour peser chaque mot. Mais jamais il frapperait ses amis et encore moins Mary.

— Si tu le dis !, lâche-t-il en haussant les épaules.

Ce n'est pas la réponse qu'il espérait, mais je crois que c'est celle qu'il attendait. Il me tourne le dos et ouvre la porte de son van pour y monter. C'est ça la dispute que je voulais éviter.

— Elliot, te vexe pas s'il te plait.

Il passe la main sur le front et reste appuyé contre la paroi cabossée.

— Je me vexe pas, Tina.

— Alors qu'est-ce que c'est ? Dis-moi ?

Il se retourne enfin et pose sa main sur mon épaule.

— Écoute, tu le connais depuis plus longtemps que moi et je comprends. C'est ma parole contre la sienne, t'as aucune raison de me croire plus que lui. Son visage

s'adoucit. Mais promets-moi juste que tu feras attention.

— T'en fais pas, je suis assez grande pour me défendre toute seule !

— ça j'en doute pas.

Il me sourit affectueusement et joue avec une mèche de mes cheveux. Finalement, il se détache car il est l'heure de s'en aller. Il grimpe dans le véhicule et démarre le moteur.

— Je t'aurais bien déposé, mais c'est pas une bonne idée, hein ?, lance-t-il par la fenêtre conducteur.

Je secoue la tête. Pas sûre que mon père apprécie, en effet.

— Merci de m'avoir tenu compagnie ce soir, Elli.

— C'était un plaisir ! D'ailleurs... je n'ai rien prévu après les cours cette semaine, alors qui sait, je pourrais bien trouver d'autres moyens de venir t'embêter !

Il me fait un clin d'œil et allume l'autoradio. Je le regarde s'en aller. Tu n'es pas comme les autres.

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