Chapitre 13
Ce soir, ça fera deux semaines, pensé-je en me lavant les mains. Ce sera ma dernière heure de colle alors, j'imagine que je devrais me réjouir. Oui, mais non. Aujourd'hui, c'est aussi le dernier jour de ma suspension. Après ça, je saurai si je suis définitivement rayé du groupe. Je secoue les mains au-dessus du lavabo par paresse de les essuyer et regarde mon reflet éclaboussé.
Je veux pas savoir ce qui va se passer... mais ça va quand même arriver.
En sortant des toilettes, je me dirige vers mon casier sans prêter attention à ce qui se passe autour de moi. Est-ce que je pourrais encore m'asseoir avec mes amies ou finiront-elles par me snober ? Je compose machinalement le code de mon cadenas. Ce n'est pas de Rachel que je doute... J'ouvre la porte de mon casier et quelque chose en tombe pour heurter le sommet de mon crâne. Aïe ! Je me frotte la tête pour faire passer le désagrément, et me penche pour rattraper l'objet qui croit pouvoir me faire mal en toute impunité. C'est une cassette, et ce n'est pas la mienne. Avec une jaquette pareille, je m'en souviendrais si ça m'appartenait. « W.A.S.P. ». Je la retourne et trouve un post-it. « Amuse-toi bien ce week-end. PS : elle s'appelle « revient ». Si j'avais encore des doutes sur qui l'avait glissé ici, l'écriture de cochon les aurait retirés. Je décolle le papier et m'attarde sur la tracklist. « Animal (Fuck like a beast) » C'est vraiment charmant, Elli.
— Tina ! s'exclame Stacy, en courant vers moi.
Merde ! Je balance la cassette et manque de me coincer les doigts dans la porte en la fermant.
— Bah alors, tu vois des morts ?
Il y a quelques semaines, oui, mais plus maintenant. Qu'est-ce qui lui prend de trépigner de cette façon ?
— Désolée, j'étais ailleurs, dis-je en essayant de paraitre naturelle. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Je crois qu'on a trouvé une solution pour te garder dans l'équipe !
Sans me laisser le temps de répondre, elle m'attrape par le bras et m'entraîne avec elle. Je la suis tant bien que mal. Qu'a-t-elle encore inventé ? On arrive pas loin du secrétariat et elle me lâche enfin.
— Stacy, je dois aller en colle dans dix minutes !
— T'en fais pas pour ça, tu seras excusée. Tout ce que t'as à faire c'est jouer le jeu, ok ?
Mais jouer quel jeu ? J'ai trop envie de rester dans l'équipe, alors je fais ce qu'elle me dit, mais quand ce sera terminé, j'aurais certainement quelques questions à lui poser. On passe devant la secrétaire à qui elle ne daigne même adresser de salutation. Elle s'arrête devant le bureau du principal et frappe trois coups secs. Stacy entre sans attendre de réponse. Dans la pièce, j'aperçois Rachel et Rebecca, une amie de Ashley. Elles sont accompagnées par Jimmy et Mike, des premières années que je connais de vu. Lorsque je vois monsieur Hughes assis derrière son bureau massif et notre coach debout à côté, je comprends qu'ils m'attendaient.
— Ah, mesdemoiselles, vous voilà, lance le principal en nous invitant à nous asseoir d'un geste de la main.
Je m'exécute, jetant un regard interrogateur à Stacy qui me répond par un sourire énigmatique. Qu'est-ce qu'elle mijote ?
— Mademoiselle Adams ici présente, commence le principal en désignant Stacy, m'a fait part d'éléments qui viennent sérieusement remettre en cause le témoignage de mademoiselle Scott.
Mon amie opine. Lorsqu'elle est invitée à prendre la parole, elle se lève en affichant une mine solennelle.
— Je vous remercie d'avoir accepté de nous recevoir, principal Hughes. Elle se tourne vers nous, le regard affligé par des choses que je ne mesure pas encore. Comprenez que ce n'est simple pour personne de témoigner aujourd'hui.
Elle fait semblant de réfléchir à son discours, mais dans sa tête, il est déjà prêt à être récité.
— Cela fait des années qu'Ashley se montre odieuse et personne n'a jamais rien dit.
Jusqu'ici, nous sommes d'accord, mais où veut-elle en venir ? J'ai déjà dit au principal pourquoi je l'ai frappé, et ça ne l'a pas vraiment touché.
— Mais maintenant que Tina risque d'être renvoyée de l'équipe, nous ne pouvons plus garder nos langues liées. Tina est la seule à avoir osé se dresser contre l'injustice d'Ashley, et aujourd'hui, c'est à notre tour de nous unir contre l'injustice subit par celle qui n'a fait que nous défendre.
Quelle belle tirade tu nous as préparée là, Stacy. Je reconnais à ses talents d'oratrice que c'est bien la sœur de Jason. Cependant, ça ne suffit pas à convaincre le principal qui demeure méfiant.
— Oui, je comprends, mademoiselle Adams. Venez-en aux faits.
— Bien sûr, monsieur Hughes.
Elle laisse la place à Rebecca qui fuie tout le monde du regard. D'habitude, elle est plutôt fière comme fille, même si elle reste en retrait.
— Ashley... Sa voix se brise, mais je la connais assez pour savoir qu'elle joue la comédie. Elle relève la tête, faussement déterminée, et affronte le principal en le fixant droit dans les yeux. Elle a passé plusieurs années à me persécuter et à me martyriser.
Martyriser ?! C'est un peu exagéré, non ? Mais si ça me permet d'échapper à l'exclusion...
— Quand je ne faisais pas ce qu'elle voulait, elle me frappait, d'autres fois, elle m'enfermait dans le placard à balais.
C'est dans le club de théâtre que tu aurais dû tenter ta chance. Les traits du principal changent, il est atterré de s'être ainsi fait manipuler par le joli visage d'Ashley. Qui manipule qui pourtant. Rebecca recule et laisse à nouveau la place à Stacy.
— Si personne n'a jamais rien dit, c'est parce que nous avions tous peur. Peur des répercussions. Peur d'être encore plus martyrisé pour certains, et peur d'être la prochaine victime pour d'autres. Elle se décale pour me mettre en lumière, ce que Tina a fait, c'était pour nous défendre d'années de violence, d'insultes affreuses et de coups qui laissent des traces que même le temps ne pourra pas effacer.
Je la vois qui s'arrête et baisse les yeux. Elle n'irait pas jusqu'à faire semblant de pleurer quand même ?
— J'ai bien conscience que la violence n'est pas la voie à suivre, mais sa blessure guérira. Les leurs, beaucoup moins.
À ce moment-là, Rebecca chuchote quelque chose aux deux garçons qui restaient de côté. Ils avancent timidement vers le bureau et Rebecca les encourage à remonter leurs manches d'une voix doucereuse. Jimmy tremble comme une feuille lorsqu'il dévoile ses bleus, mais ce n'est pas d'Ashley qu'il a peur. C'est une mise en scène savamment orchestrée, et les deux guignoles qui nous servent de figure d'autorité se laissent berner. Je vois monsieur Hughes se décomposer. « Grand Dieu, que vont penser les parents d'élèves si ça se sait ? », voilà ce qu'il se dit. Le père d'Ashley a beau être en mesure de le soudoyer, ça ne sera jamais assez pour affronter le mécontentement d'une armée de parents. Il souffle lourdement et me regarde.
— Mademoiselle Moore, est-ce que c'est la vérité ?
Mes amies se tournent aussi et tous les regards se braquent sur moi en attendant ma réplique. « Tout ce que t'as à faire c'est jouer le jeu, ok ? » C'est tellement borderline. Mais cette mascarade, c'est pour moi qu'elles l'ont orchestré. Je veux pas être viré...
— Hum, oui. C'est... la vérité.
Je devrais être heureuse d'avoir ma revanche sur Ashley, mais quand je prononce ces mots, je me sens sale. C'est bas, même pour nous, et je crois qu'après ça, je devrais aller me confesser. Principal Hughes pose ensuite les yeux sur la personne la plus innocente de cette pièce.
— Mademoiselle Williams, soutenez-vous aussi ce témoignage ?
Rachel garde la tête baissée, mais elle elle acquiesce timidement de la tête.
— Sachez que ces témoignages sont loin d'être isolés. Beaucoup d'autres n'ont pas osé s'exprimer. Mon frère a été témoin lorsque Tina a frappé Ashley. S'il vous fallait d'autres éléments pour vous prononcer, il se tiendra prêt à vous raconter ce qu'il sait.
Mentionner son frère n'était pas nécessaire pour convaincre le principal. C'est un luxe qu'elle se paie car elle en a les moyens, et ça lui donne encore plus de poids. Monsieur Hughes se lève.
— Très bien, tranche-t-il. Mademoiselle Moore, vous réintègrerez l'équipe dès lundi.
J'inspire sur ses mots. À ce moment-là, il m'a semblé avoir cessé de respirer pendant deux semaines. Les regards s'éclairent, mais mes amies ne peuvent pas se montrer trop heureuses après toute la souffrance qu'elles ont étalée. Il se penche vers mademoiselle Sanchez qui ne dit rien. Ce qui vient d'être raconté se serait passé sous ses yeux, alors elle a plutôt intérêt à se faire petite. Il s'adresse à elle à voix basse et Stacy lance un sourire en coin à Rebecca.
— Il faudra trouver une remplaçante au poste de capitaine dans les semaines à venir si nous envisageons de... vous savez.
On nous invite à quitter le bureau et je me presse vers la sortie. Avant de quitter la pièce, Stacy se permet une dernière liberté.
— Je sais que ce n'est pas le moment et surtout, n'y voyez pas d'intérêt mal placé de ma part, mais je tenais à vous rappeler qu'après le décès de Mary, j'avais soumis une candidature au poste de capitaine...
L'homme lui sourit. Il est idiot à ce point ?
— Je vous remercie, mademoiselle Adams. Ce sera étudié en temps voulu, mais vous faites bien de nous le rappeler.
Dans le couloir, les filles ne masquent plus leur joie, et elles sautillent pour célébrer cette victoire qu'on n'a pas méritée. J'ai obtenu ce que je voulais, alors pourquoi je me sens si mal ? C'est d'Ashley qu'on parle, je devrais pas avoir de pitié, mais la vérité, c'est qu'on ne vaut pas mieux qu'elle. J'ai laissé mes amies salir sa réputation, raconter des horreurs sur elle. Des choses qu'elle n'a jamais faites. Tout ça pour quoi ? Pour ne pas perdre ma précieuse place. À ma place, aurais-tu hésité, Ashley ? Stacy me bouscule.
— Bah alors, pourquoi tu fais cette tête ? On a gagné bordel, tu restes dans l'équipe !
Je masque mon désarroi, néanmoins je vois que ça l'agace que je ne sois pas plus excitée. Je pensais que ce serait la première à m'abandonner si le vent tournait, pourtant si je tiens debout, c'est grâce à elle.
— Hum, est-ce que... Est-ce que c'est bon ? On peut... On peut y aller ? Demande Mike de sa petite voix chevrotante.
Bien sûr qu'ils peuvent partir, ils ne servent plus à rien. Je regarde ma montre, moi aussi je dois m'en aller. Il me reste trente minutes de colle. C'est mon dernier rendez-vous avec Elliot et je ne compte pas le manquer, pas après ce qui vient de se passer. En partant, je remarque que Rachel n'a toujours rien dit. Qui ne dit mot consent... pas tout à fait si je regarde attentivement ton visage. Un mal pour un bien se dit-elle sûrement. On s'arrange avec notre conscience pour que la vérité soit plus agréable à regarder.
J'entre dans la salle comme une habituée et Elliot... n'est pas venu. Non, je ne suis pas déçue... Je suis surprise, c'est tout. Il a passé la semaine à se faire punir pour me tenir compagnie. Non, je ne suis pas déçue... Il devait avoir mieux à faire, c'est vendredi soir. Non, je ne suis pas déçue...
Si...
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