Chapitre 18

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Je quitte finalement mon siège et marche dans le couloir qui mène à la sortie. Je passe devant l'entrée du gymnase dont s'échappe le son d'un ballon qui rebondit au sol. Ses semelles crissent sur le parquet ciré tandis qu'il s'entraîne à faire des paniers. Ses cheveux blonds en bataille et le front en sueur, il s'acharne avec une féroce détermination.

J'ai pas été seule avec Jason depuis sa dispute avec Elliot, et après ce qui s'est passé aujourd'hui, j'ai encore moins envie que ça arrive. Je me fais toute petite quand je passe devant la porte maintenue ouverte par le seau du concierge.

— Tina !, m'appelle-t-il, la voix posée.

Il trottine vers moi, essuyant son front avec le col de son maillot bleu. Même en fin de journée, les choses parviennent à empirer. Je peux plus l'éviter, alors je soupire et marche à sa rencontre avec un demi-sourire. Un silence s'étire le temps qu'il remplace ses cheveux qui tombent dans ses yeux.

— Salut, Jason, me contenté-je de dire en grattant nerveusement ma nuque.

— Comment tu vas ?, demande-t-il pour trouver une porte d'entrée à notre conversation.

— Ça va.

C'est toujours aussi passionnant de discuter avec toi, dis-moi. Jason s'agite. Il manipule sa montre et presse fébrilement les boutons. Finalement, il se jette à l'eau.

— Tu sais, tu ne m'as toujours pas dit quand on pourra sortir ensemble.

Je pensais que la première fois aurait suffi, Jason. Faut croire que non, il trouve le moyen de sourire en lançant ça.

— Ouais, je sais, réponds-je, la voix vacillante. J'ai beaucoup de travail en ce moment après les cours, tu sais.

Il croise les bras et acquiesce. Ma réussite lui tient à cœur, évidemment.

— Oui, c'est normal. Je comprends, dit-il avant que son visage ne se fasse brusquement plus préoccupé. Tina, je vais pas tourner autour du pot, annonce-t-il en s'approchant de moi. Stacy m'a dit qu'Elliot te tourne autour et franchement, ça me plaît pas.

Je frissonne quand je l'entends prononcer son nom. Il me fixe de toute sa hauteur, attendant ma réponse. Malheureusement, elle ne sera pas ce qu'il espère.

— Oh, pitié, pas encore !, répliqué-je en détournant les yeux pour noyer le poisson.

— Tina, on s'inquiète !, dit-il avec un désespoir sincère dans le regard. Tu n'es plus la même depuis quelque temps !

Je peux plus jouer la carte Mary, pas vrai ? Je suis pas certaine de devoir rougir de ce changement. Il n'est pas parfait, mais je me préfère qu'avant. Ce qu'il a fait à la cafétéria en revanche, j'ai du mal à le digérer.

— Oh, tu t'inquiètes, vraiment ? En attendant, c'est pas moi qui jette à terre un pauvre type qui n'a rien fait !, répliqué-je, les poings serrés.

— J'essayais de te protéger Tina.

Me protéger ? Je peux plus l'entendre ce discours à deux balles. Et les premières années que tes amis rackettent, qui les protègent, dis-moi ? J'en ai marre de cette sympathie à géométrie variable.

— Mais me protéger de quoi ? C'est moi qui lui ai rentré dedans putain !

— Bien sûr, c'est un hasard s'il était là.

— On était à la cafétéria à la même heure que tout le monde, bien sûr qu'il était là ! Je souffle. Je sais pas pourquoi je m'acharne à discuter avec toi.

— Regarde la vérité en face !, dit-il tandis qu'une veine lui déforme le front. Il est tout le temps dans les parages. Il te suit de loin, lorgne sur toi comme...

Comme quoi ? Ses épaules tombent. Je suis pas comme eux. Je suis plus comme eux, alors quand il me regarde avec ces yeux, j'ai de nouveau mon ventre qui fait des nœuds. Je sais que c'est le souvenir de Mary qui le rend comme ça, mais s'il refuse de voir la vérité qui le fait souffrir, la plaie ne guérira jamais.

— Comme une proie, Tina. Mary l'était et maintenant, c'est toi !

Il semble confus quand il parle, comme s'il était au bord de la rupture. Malheureusement pour lui, mon empathie disparaît car son entêtement m'exaspère trop. Je tourne ma langue autant de fois que ma mère me l'a appris car je n'ai pas envie de le blesser, mais quand je romps le silence, ma voix éclate dans le gymnase qui accueille notre dispute.

— Sa proie ?! Mais c'est quoi ton problème à la fin, Jason ?

Ses mâchoires se resserrent sous le poids d'une colère qu'il aimerait canaliser. C'est trop tard. Il attrape mes épaules et me secoue doucement pour me faire revenir à la raison.

— Tu ne vois donc rien ?!, s'exclame-t-il, presque désorienté.

Son emprise me déstabilise. J'ai besoin de lutter pour retrouver mes esprits et parvenir à mettre un point final à cette querelle qui a déjà trop duré.

— Écoute, j'en ai rien à foutre de ce mec ok ? Mais là, c'est toi qui me fais peur et je... je commence à croire qu'il est moins taré que toi !

J'attrape ses mains pour m'en extraire mais sa poigne se resserre et il me pousse violemment contre le mur froid qui me glace dans un frisson d'effroi. Il n'a pas aimé la comparaison, je crois.

— Est-ce que ce taré t'a fait du mal ?, demande-t-il en laissant jaillir une rage que je ne lui connais pas. Hein ? J'ai besoin de savoir !

Je suis trop choquée, alors je ne sais plus parler.

— Dis-moi !, exige-t-il en appuyant ses mains sur mes os qui pourraient craquer.

Je me débats, proteste et mon pouls s'accélère dangereusement pour me dire que c'est le moment d'avoir peur.

— Jason, arrête !

Ses mains tremblent et les mots sortent de sa bouche dans un discours biscornu dont même lui ne comprend plus la portée. Je sens ses doigts s'enfoncer un peu plus dans ma peau sans que je puisse me dégager.

— Mary, dis-moi !, s'écrie-t-il soudain, pressant mon corps contre la cloison tandis que la réalité s'estompe dans son regard. J'ai besoin de comprendre !

Je gigote désespérément entre ses bras trop musclés pour moi avant d'enfin crier :

— Arrête, tu me fais mal, putain !

À ce moment-là, il est frappé par un éclair de lucidité et relâche immédiatement sa prise. Il recule d'un pas, pétrifié. Le corps encore vacillant, il contemple avec la même stupeur que moi ce qu'il vient de faire. Tandis que je demeure tétanisée par la peur, des larmes se mettent à couler sur ses cernes violacés.

— Je... Tina, je suis désolé, chuchote-t-il, la voix brisée par le dégoût qu'il s'inspire.

Je tire mon t-shirt pour observer la marque que ses doigts ont laissée sur moi. Maintenant je le sais. Tes bleus, ils avaient bien la forme de ses mains.

— Ne m'approche plus jamais...

Le visage déformé par le désespoir, il tend doucement la main pour m'atteindre. Je fais un pas de côté, effrayée qu'il puisse à nouveau me toucher. Il insiste.

— Je suis désolé, vraiment, si tu savais.

Le souffle court, je repousse sa main d'un geste vif avant de hurler enfin :

— Ne t'approche plus jamais de moi, Jason !

Ses lèvres tressaillent et sa voix éraillée tente de se frayer un chemin dans le silence qui nous oppresse, mais ses pleurs furent la seule réponse qu'il parvint à m'offrir. J'ai fait un second pas de côté et cours dans le couloir qui m'est interminable. Parfois, je me retourne car je crois l'entendre derrière moi, mais il n'est plus là. Dehors, j'enfourche mon vélo et mes mains tremblent sur le guidon.

Je presse sur les pédales et m'en vais à toute allure. Je suis tellement pressée qu'en tournant, je fais déraper mes pneus sur le bitume. Je vois plus rien avec les larmes qui noient mon regard mais je ne m'arrête pas de rouler. Encore et encore, je pédale à m'en décoller les poumons. Dans mes oreilles, le vent siffle mais il ne parvient pas à me distraire de ces images que mon cerveau recrée. Je me déteste de ne pas l'avoir cru, pour lui, mais aussi pour Mary.

Arrivée devant ma maison, je jette mon vélo dans l'allée sans même le ranger. Ma chambre est devenue le seul but que je peux me fixer, loin de ce chaos que je peux plus supporter. Pourtant là-haut, les hurlements continuent de déchirer mon esprit. Les jambes affaiblies, je tombe sur mon lit, le corps secoué par des sanglots infinis.

« Tu ne sais pas de quoi il est capable. » Maintenant, si, et j'aurais préféré ne jamais le voir.

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