Chapitre 20
Au fur et à mesure, le groupe se disperse à tous les coins de la salle et j'atterris devant la borne de mon enfance. Concentrée devant l'écran qui clignote, je détruis les envahisseurs qui descendent en rang. Mes mains survolent les boutons quand j'entends Elliot qui cherche à me déconcentrer.
— Trop lente !
Je fais une fausse manœuvre et manque un extraterrestre qui se rapproche dangereusement de mon vaisseau. Par chance, je reprends le dessus sur ma partie. Un sourire de gagnante au coin des lèvres, je lève brièvement les yeux vers lui.
— Tu essaies de me déstabiliser ? Quelqu'un aurait-il du mal à accepter sa défaite ?
Tout doucement, il s'approche et se glisse derrière moi. Quand je crois que je suis assez forte pour garder mon sang-froid, sa main se pose sur ma hanche et il murmure à mon oreille :
— Nan, j'oserais pas... Ce serait vraiment mesquin de ma part.
Il se colle contre moi et à ce moment-là, je me retrouve débordée face aux lignes d'aliens qui s'accumulent toujours plus vite. Le game over qui m'a guetté jusque-là finit par tomber. Frustrée, moi aussi je donne un coup dans la machine, moins violent que le sien. Son sourire s'étire avec malice.
— Bah alors, faut pas t'en prendre à la borne.
— T'as raison. C'est à toi que je vais m'en prendre, dis-je en menaçant de le frapper.
On sait que je ne le ferais pas mais il lève les mains en l'air en signe de reddition.
— C'est bon, c'est bon. Je m'excuse, dit-il en riant avec moi.
Je réalise à ce moment-là que c'est peut-être la première fois qu'on se retrouve comme ça en public. Même si on se cache à moitié, ça fait que je suis à moitié libérée. On échange un sourire complice. Lui aussi l'a remarqué, je crois. Je le devine à la façon qu'il a de me regarder comme s'il me voyait pour la première fois.
— Il fait un peu chaud. Tu veux sortir fumer ?
Je hoche la tête et le suis vers la sortie. On se met en retrait au bord du parking. L'air humide tranche avec la chaleur oppressante de l'arcade bondée. Elliot sort un joint de la poche de son blouson et n'attend pas pour l'allumer. Il inspire quelques bouffées et m'en propose, mais je décline poliment son offre. Espiègle, j'ajoute ceci :
— Je voudrais pas perdre une nouvelle partie à cause de toi !
— Oh, allez, c'était de bonne guerre, nan ?
— Peut-être... Sauf que moi, je n'ai pas fait exprès de te faire perdre.
Il me dévisage avec amusement avant qu'on éclate à nouveau de rire. Son joint entre les doigts, il avance vers moi et son regard s'attendrit lorsqu'il replace mes cheveux que le vent a déposés devant mes yeux.
— Je m'attendais pas à te voir ce soir. Je suis content que tu sois là.
Quand il dit cela, je me rappelle tout ce que j'ai passé la soirée à oublier. Toutes les raisons qui ont conduit Nath à m'inviter. Mon regard s'attarde dans les flaques à nos pieds.
— Ouais je... Nath m'a invité... J'hésite un instant avant de reprendre. Je suis désolée pour ce qui s'est passé aujourd'hui. Je veux dire, à la cafet.
— T'en fais pas pour ça. Ils s'y sont mis à trois et ils ont même pas réussi à me faire mal.
À toi peut-être. Il remarque que je ne suis plus tout à fait là et me demande comment je vais. Je fais semblant de rien mais je ne le trompe pas, il me connaît trop bien maintenant.
— Rachel t'en veut toujours, hein ?
Rachel, mon cœur se resserre à la simple évocation de ce nom. Si seulement il n'y avait qu'elle. Je revois le visage désorienté de Jason qui n'arrêtera plus de me hanter. Sans m'en apercevoir, je replace le col de mon t-shirt pour m'assurer qu'il couvre mes marques. J'aimerais pouvoir lui raconter, mais je sais qu'il deviendrait fou s'il savait ne serait-ce que la moitié. Je souffle et finis par confier :
— Je crois que je perds le contrôle Elliot.
— Lâche prise.
Dans ta bouche, ça semble toujours si facile.
— Je fais que ça, lâcher prise.
— Essaie encore alors.
Il pose ses mains sur mes joues et approche son visage du mien. Son souffle caresse mes lèvres avant de m'embrasser tendrement. Il n'y a plus que nous et ce néon qui clignote paisiblement au-dessus de nos têtes. Je ferme les yeux pour faire vivre ce moment un peu plus longtemps, puis, il se retire doucement de notre étreinte. Je l'observe et je sais pas pourquoi, il y a tout qui remonte.
— J'y arrive pas... murmuré-je, la voix brisée par un sanglot qui ne se laisse pas réprimer.
Dans son regard, il n'y a ni jugement, ni colère, pas même de frustration. Il pourrait se dire qu'après tout ce temps, je le fais exprès, mais non.
— Tina, je tiens énormément à toi, et je veux pas te forcer à faire quoi que ce soit que tu ne veux pas. Sa main trouve la mienne et il la serre affectueusement.
Mais, t'es pas seule, ok ? Regarde autour de toi...
Je suis son doigt qui pointe vers la salle de jeu. À travers la vitre, j'aperçois les visages souriants de ses amis. Même si je connaissais déjà Nath et Justin, ils m'ont tous acceptée avec eux sans poser de question, ni faire montre de la moindre hésitation. Il resserre ses doigts sur ma main.
— Nath et Justin t'adorent, ils parlent souvent de toi, et David et Abby sûrement si tu leur laisses le temps de te connaître, souffle-t-il en parcourant le chemin de mes larmes sur ma joue. Et moi, bah... Je serais toujours là, mais tu le sais déjà.
Je sais pas ce que j'ai fait pour mériter une place dans ta vie, Elli. Son visage exprime toute l'affection qu'il me porte, mais le mien s'obstine à n'y répondre qu'en secret. Plus que du réconfort, je vois bien que ce qu'il me dit, c'est pour qu'enfin je puisse me libérer de mes peurs, mais dans mon silence, je laisse ma lâcheté me paralyser. Une fois de plus. Un jour, ce sera la fois de trop. Combien de temps voudras-tu encore de cet amour clandestin ? Plus loin, une voix nous appelle.
— Qu'est-ce que vous foutez ? On vous attend pour faire un billard !, s'écrie David qui ne se doute de rien.
Elliot se détache de moi et se tourne vers David avant d'écraser son mégot. Je sens un élan d'urgence en moi, ne voulant pas laisser notre échange ici.
— Elli, l'appelé-je doucement en agrippant la manche de son blouson pour le retenir un dernier instant. On a le match de basket vendredi soir. Ça me ferait plaisir si tu venais me voir... suggéré-je en minaudant.
— Tu sais que c'est pas mon délire de voir des mecs jouer à la ba-balle. Il secoue la tête, taquin. Tu m'en demandes beaucoup.
— Oui, mais j'aurai mon uniforme...
Il lève un sourcil, intéressé.
— Celui avec la jupe très courte ?
— Celui avec la jupe très courte.
— D'accord, d'accord, dit-il en riant. Je ferai une exception pour toi. Il lève son doigt pour poser sa condition. Mais seulement si j'ai le droit de la soulever après le match !
Je souris et me mets sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue fraîchement rasée.
— T'as plus besoin de me demander pour ces choses-là.
Il glisse un clin d'œil.
— Je préfère demander. On ne sait jamais !
Il passe son bras autour de mes épaules et dépose une bise sur mes cheveux avant qu'on retourne enfin à l'intérieur.
— Bon, on se le fait ce billard ou pas ?, s'exclame-t-il en se frottant les mains, prêt à affronter ses amis.
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