Les épreuves de l'Epine Jour II
Pour la première fois, je découvre le visage de la personne. Des cheveux blancs en chignon, le nez et les lèvres en finesses ainsi que des joues creusés. Son sourire affectueux m’apaise.
— Vous aussi vous souriez. Signe que la transformation est en bonne mouvement. Buvez l’eau de vie.
— Merci Madame.
— Je suis la Tisseuse de Paix. Ici, vous avez la possibilité de vous exprimer. J’ai bien conscience de votre corps qui souffre. Si le Maître ainsi que les Censeurs vous punit c'est parce qu’une âme putride gît tel un parasite. De vos neurones à votre sang, tout est pourris. Il sera normal de résister, de lutter, c’est humain. Hors, à votre sortie, vous serez quelqu’un d’autre. Une unique pièce d’une rare beauté, d’une vigueur inouïe.
— Je peux donc vous posez librement mes questions ?
— Je suis celle qui t’autorise en quarante-huit heure à révéler les secrets uniquement si tu me poses les bonnes questions. Tu n’as pas de limite pour ces dernières.
— Je doute, j’ai peur et pourtant, ce que je désirais depuis ma greffe, depuis le début des effets secondaires, être libre de toutes souffrances. Sergio est venu par mon oncle, j’ai vite accepté la carte des services sans penser à tout ça….
— On va démarrer par le bain d’eau chaude. Ça va te permettre de te détendre, reformuler tes souvenirs avec le Maître.
Je la suis pour me plonger dans le premier, un bassin rectangulaire en pierre. L’eau est effectivement bien chaude. La femme s’installe sur le fauteuil de mousse verte, elle me donne du savon ainsi qu’un gant de toilette noir.
— Ferme le voile et racontes-moi ce que ta chair veut vomir. Tu seras enfin délivrer d’un premier poids.
Je termine de me laver que le haut jusqu’à mon visage avant de mieux m’installer. Mes oreilles capte une douce musique puis ma voix :
— Sergio durant le premier court rendez-vous dans un café, m’avait donné un carnet à remplir pour le second entretien. Durant la première semaine, j’ai donc écris pour la première fois toute ma vie, mes rêves, mes deuils, mes perditions. Puis, un message de sa part. Je pensais enfin donner le carnet sauf que non.
— Quel message ?
— Premier service, Hôtel Bel Sol, jeudi dix-neuf heure. Tu demanderas au bar.
Je tremble rien que de revenir à ma première soirée où c’était trop tard. Où j’aurais aimé prier Roberto de revenir…Pourtant je me rappel de sa menace déguisée, du fait que je n’échoue jamais, que je refusais de paraître affaiblie. Je raconte donc comme dans un rêve plus limpide.
«
— Je suis entrée comme on plonge dans l’eau froide, d’un seul coup, sans réfléchir, parce que si j’attendais une seconde de plus sur le trottoir, j’allais fuir. Le hall était propre, calme, trop calme. Le genre d’endroit où chaque pas résonne, où tu te sens de trop dès que tu bouges. Je tenais ma veste fermée sur moi, même si Sergio m’avait écrit exactement quoi porter : « Pas de soutien-gorge. Jupe noire. Top à fines bretelles. Boucles d’oreilles simples. Talons. » Il avait même mis « Je sais que tu seras belle. Ne me déçois pas. »
Mes mains tremblaient. J’avais l’impression que tout le monde voyait ce que je faisais là. Qu’ils savaient. Je suis allée jusqu’au bar, la gorge sèche.
— Bonsoir… Je cherche un client. Il… il a réservé sous un nom, je crois.
Le barman m’a regardée à peine deux secondes, puis il a dit :
— Nom du monsieur ?
J’ai dû forcer ma voix pour ne pas bégayer.
— Charles Delorme.
Il a juste hoché la tête, comme si ça arrivait tous les jours. Il m’a indiqué une table au fond, derrière une plante en plastique. Un homme en costume bleu foncé m’y attendait déjà. Il sirotait quelque chose d’ambre dans un verre à pied. Quand nos regards se sont croisés, il a souri étrangement. Un sourire qui disait je sais pourquoi tu es là.
Je me suis approchée. Mes jambes étaient lourdes, mais mes talons claquaient comme une provocation.
— Mademoiselle Ramos ? Marta Ramos ? a-t-il demandé en se levant.
— Oui.
— Charles Delorme. On m’a parlé de vous. Asseyez-vous.
Je me suis assise sans un mot. Il ne m’a pas proposé à boire, ne m’a pas demandé comment j’allais. Il me regardait. Droit dans les yeux. Comme s’il m’évaluait. J’ai croisé les jambes par réflexe, et j’ai senti son regard glisser jusque-là.
— Vous êtes plus jeune que je ne pensais, a-t-il dit doucement. Et plus hésitante. C’est votre premier rendez-vous ?
J’ai hoché la tête. J’aurais pu mentir, mais je n’en avais pas la force. Il a souri un peu plus.
— Il faut bien commencer quelque part.
Il a sorti une carte magnétique de sa poche. L’a posée devant moi, lentement, face contre la table.
— J’ai réservé la chambre 212. On sera mieux là-haut pour parler. Et je préfère que ce genre d’échanges reste discret. Je suppose que Sergio vous a expliqué.
Il savait. Il savait que si je refusais, Sergio le saurait aussi. Alors j’ai pris la carte. Et j’ai souri. Ou en tout cas… j’ai fait semblant.
Je suis entrée dans la chambre sans poser de questions. Les rideaux étaient tirés, la lumière tamisée comme pour couvrir les ombres. Tout semblait prêt. Comme si je n’étais qu’un chapitre dans un livre déjà lu.
Il n’a pas attendu longtemps. Il m’a effleurée comme on soulève un voile. Il n’y a pas eu de violence, en tout cas. Mais chaque geste portait en lui une autorité glacée, une certitude. Il savait ce qu’il faisait. Moi, j’avais oublié ce que je voulais.
Je me suis laissé faire. Pas par désir. Par absence. Je suis sortie de mon corps et j’ai regardé de loin. Une fille qui répondait par des oui à des phrases basses. Une fille qui respirait à peine pour ne pas déranger l’air. Une fille qui pensait à autre chose. À l’eau, peut-être. À la danse. À une chanson de Roberto qu’elle ne chanterait plus jamais.
Il m’a tenue, déplacée, dirigée. Il a dit mon prénom comme un code, pas comme un prénom. Il m’a prise dans le silence, et j’ai donné tout ce qu’il attendait. Par peur. Par instinct. Pour ne pas déclencher ce qu’il aurait été capable de faire si je disais non.
Quand ce fut terminé, il s’est levé sans un mot et s’est dirigé vers sa veste. Il en a sorti une enveloppe blanche, mince, parfaitement lisse. Il me l’a tendue sans me regarder.
— Tu la donnes à Sergio, ce soir. Sans l’ouvrir.
J’ai pris l’enveloppe. Elle était légère. Mais j’ai senti son poids dans ma main comme une pierre mouillée.
Je me suis rhabillée lentement. Mon haut froissé, mes jambes encore nues sous l’air froid. Il ne m’a pas dit au revoir. Il m’a juste laissé sortir. J’ai quitté la chambre avec l’enveloppe contre ma poitrine. J’aurais voulu hurler. Mais j’ai marché jusqu’à l’ascenseur. Une marche après l’autre. Comme si tout cela m’était familier. Et peut-être… que ça l’était devenu.
Je suis sortie de l’hôtel. L’air du soir me glaçait les bras. Je ne savais pas où poser mes yeux, ni même mes pas. L’enveloppe contre moi me semblait vivante, comme si elle vibrait à travers le tissu. J’ai appelé Sergio. Il a décroché avant la troisième.
— Alors ?
Sa voix. Tranchante et calme. Comme s’il savait déjà. Je n’ai pas répondu tout de suite. Il a attendu.
— Tu l’as l’enveloppe ? a-t-il repris.
— Oui.
— Bien. Tu ne la gardes pas. Tu vas au club Marbre. Il y a une boîte aux lettres noire, à droite de l’entrée du personnel. Tu la glisses dedans. Et tu ne poses pas de questions.
Je ne savais même pas où c’était. Le nom sonnait comme une menace feutrée. Marbre. Froid. Lisse. Silencieux.
— Pourquoi là ?
— Ce n’est pas à toi de savoir. Dépose point.
J’ai fermé les yeux. J’ai inspiré.
— Et ensuite ?
Il y a eu un silence. Puis :
— Ensuite, tu me dis.
— Dire quoi ?
— Ce que tu as ressenti.
Son ton a changé. Il est devenu presque tendre. Presque. Comme un piège que l’on ouvre avec du miel au bord des lèvres.
— Ce que ça t’a fait. Ce que ton corps disait. Ton regard. Ton dégoût, peut-être. Ton obéissance, sûrement. Je veux tout entendre.
Je suis restée muette. Il a continué, plus bas :
— Parce que je veux te connaître. Jusqu’au bout. Même ce que tu veux cacher. Même ce que tu n’oses pas penser.
Je regardais les phares des voitures comme on fixe l’eau d’un fleuve avant de tomber dedans.
— Tu m’écris si tu veux. Ou tu me dis demain. Mais n’oublie pas ce que tu as ressenti. C’est ce que tu es, Marta. C’est ce qui m’intéresse.
Puis il a raccroché. J’ai regardé l’écran, encore allumé. Puis l’enveloppe.
Et j’ai marché. Vers un lieu que je ne connaissais pas encore. Vers une histoire que je n’avais pas choisie. Vers le club.
L’adresse est arrivée en SMS quelques minutes plus tard. Aucune explication. Juste :
"Boîte noire. À droite de la porte du personnel. Club Marbre. Ne sois pas vue."
J’ai marché jusqu’à l’endroit, sans trop réfléchir. Mes jambes avançaient seules, comme si mon corps avait pris l’habitude de répondre à la place de ma volonté.
Le bâtiment était presque invisible. Une façade neutre, sans enseigne, juste un mot en lettres effacées sur une plaque de métal : Marbre. Le genre de lieu qui n’existe que pour ceux qui savent.
Je l’ai trouvée. La boîte noire. Posée à hauteur d’épaule, vissée au mur. Elle ne semblait pas appartenir au service postale. Ni à personne d’autre d’ailleurs.
J’ai glissé l’enveloppe dedans. Sans bruit. Elle a disparu comme si elle n’avait jamais existé.
Je suis restée un instant là, devant. Figée. Puis j’ai reculé. Loin du mur. Loin de la boîte. Loin de l’idée que j’avais peut-être participé à quelque chose que je ne comprenais pas du tout.
J’ai sorti mon téléphone.
"C’est fait.
Je l’ai déposée.
Mais honnêtement, je ne comprends pas.
En quoi ça va m’aider ?!"
Le message est parti. Trois petites bulles sont apparues presque aussitôt.
Je suis restée là, au bord du trottoir, les bras croisés contre moi, attendant une réponse qui viendrait peut-être. Ou pas.
Mais au fond, ce soir-là, je savais une chose, ce n’était pas à moi de comprendre.
C’était à moi d’obéir. Les trois points ont clignoté à peine quelques secondes plus tard.
Puis son message est arrivé, sec. Mesuré. Insondable.
"Ce n’est pas censé t’aider.
C’est censé te révéler."
J’ai relu la phrase deux fois. Trois puis six. Rien ne s’éclairait. Je venais à peine de fermer la porte de mon chambre à l’école. L’air intérieur me semblait étranger. Tout était calme, trop calme, comme un décor suspendu.
La douche froide m’avait lavé de mon rôle. Une qui me dégoutais. J’en m’en voulais et espérer que ce soit la dernière fois. Sauf qu’a ma sortie, un message de lui.
"Je vérifierai le contenu demain matin.
S’il me convient, je te donnerai d’autres noms.
D’autres rendez-vous.
C’est sur la bonne voie Marta."
Aucune émotion dans les mots. Mais je ne lui ai pas répondu. Pas cette fois.
J’ai juste fixé l’écran jusqu’à ce qu’il s’éteigne tout seul et jusqu’à que la nuit m’enveloppe. «
Je termine par ce mot et je ressens comme de l’huile. Je veux me tourner sauf qu’elle refuse pour masser mes épaules, mon cou et le début de mon dos. Avant de terminer par déposer un linge à la lavande.
— Tu te sens sale d’offrir ton corps en échange d’argent que récupère le Maître. Tu aurais pu refuser sauf que tu t’es abandonné. Le sexe n’est que sale si on n’aime pas sa peau. Au fond, avec tes anciens relations, je ressens une libertine. La greffe a donc déséquilibrée le système. Par les Lavements, tu vas exfolier l’ancienne toi, aimer ce que tu deviens.
— La peur de l’échec autant que de faire de la peine à lui…en plus, de perte le contrôle…pourtant, je dois rester nue, pour tout ici. Pourquoi ? Nicolas a parlé que vous avez tous passé par ces étapes-là.
— Nudité est le signe d’une vulnérabilité surtout marqués. Si on assume d’encaisser nos failles, les regards, on en ressort plus fort. On pense à nos objectifs.
— Vous priez quoi ? Nicolas pense que je suis l’élue….
— Le Culte de la Rose Noire ou le Cercle de la Rose Noire est dès l’origine fondé par Nicolas, le grand Maître. On se réunit pour trouver la paix, échanger nos doutes. Il t’a sans doute parlé des premiers greffés ?
— Oui…ils ont échoués…
— Ton cœur est un bijoux de technologie. Beaucoup ont échoués, des expériences pour qui voulaient trouver la Lumière. La Rose Noire est le signe de la beauté dans la souffrance. Toi, tu seras celle qui nous guidera, celle qui est l’exemplarité.
— Où sont passés les autres ?
— Dans la terre.
— Et vous êtes combien ? Comment vous m’avez choisi ? C’est quoi les rôles ? J’ai déjà passé le juge, les chants….
— Une cinquantaine. Des Réveilleurs pour les prières et les Censeur pour la discipline. Moi puis il y a aussi les Gardiens pour donner à manger et à boire. Seul le grand Maitre sait pourquoi tu es celle afin attendu.
— Vous vous réunissez souvent ?
— Cela dépend pour quoi. On discute une fois par mois, lieu qui est secret. Pour un nouveau membre ou toi, c’est le grand Maître qui donne une date.
— Sergio lui est le Maître aussi…est-il au courant de ma santé ? Je pense comprendre pourquoi mes humeurs sont stables, c’est lui qui me donne mes médicaments. Même le cardiologue, ou l’hôpital ne semble s’inquiété que je suis pas le protocole….
— Le Maître est le second.
— Vous avez donc aussi reçue des fouets ?
Pour toute réponse, elle se place de l’autre côté, en face et retire son tissue. Des marques sont sur ses cuisses et le dos. Bon, c’est donc horrible ce que je subis mais tout le monde est bien passé…Elle se rhabille pour cacher sa culotte et revient dans mon dos, à genoux...
— En quoi étant votre élue, si jeune, pourrait-je vous être utile ? En quoi, serais-je un exemple ?
— Vous avez des failles, plus profonde que nous tous déjà adultes. La jeunesse force le respect. Enfin, seul le grand Maître vous donnera précisément tout vos missions. Trente cinq ans qu’on vous attend. Je peux déjà vous féliciter, vous êtes la seule qui a passé les premières tests. Les autres sujets ont échoués à la Répétition des Plaisirs.
— Ils ont été obligés de donner du plaisir ?
— Le trois quart des jeunes femmes. Le reste de garçons. Ces derniers ont été mise à la chasse pour prouver leurs rivalités autant que des parcours de survies.
— Sous la coupe de Sergio ?
— Sergio vous est réservé. Bien, on va reposer la langue et l’Esprit. Continuez de vous rincez, ensuite on ira au petit bassin de poissons.
— Les poissons comme dans les instituts ?
— Oui, pour vos pieds. Ils méritent du soin.
— J’en prenais aussi pendant mes cours de danses.
Soit, ces jours suivants seront bénéfiques pour me ressourcer. Je saisi mieux le cœur du Culte et je m’en sens, plus en paix que jamais. Je vais leur montrer que je suis puissante, résistante. Réduire les frappes pour être plus consciente de mon environnement. L’élue ? C’est déjà une chance d’être en vie après tant de mois difficiles.
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