Prologue : Elydris, 40 ans plus tôt

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Bien sûr, tout a une fin.

Son mariage avec Alexander, la mise en place d’une confédération unie des sept royaumes…tout cela avait changé les choses. Les Enfants de Tellusa avaient cessé de craindre la mort, l’éternité s’offrant à eux dans un havre de paix. Pourtant, c’était salvateur de se savoir mortel : cela donnait plus d’importance à la vie, au temps latent, aux moments partagés, heureux ou non, à ceux qu’on aimait. Mais Naïwenn l’avait oublié. Ils l’avaient tous oublié. Et la vérité, maintenant, la frappait avec la violence de la certitude : tout avait une fin, même elle.

Le poison lui brûlait la gorge ; c’était atrocement douloureux mais ses sens mouraient déjà, chacun leur tour. Les informations lui arrivaient péniblement : l’odeur des sapins, la brume inlassablement accrochée à leurs branches, les voix des membres de l’Escorte au loin, l’amertume du chagrin de Louis sur sa langue, sa peur qui lui laissait une drôle de sensation dans la poitrine.

C’était étrange ; elle ne pensait pas qu’elle en serait encore capable. Elle avait toujours pensé que c’est cela qui disparaitrait en premier : cette hypersensibilité, cette empathie, son héritage, le secret de son sang, cette capacité si étrange qui la rendait à la fois monstrueuse et pourtant bien plus humaine que la plupart des tellusiens eux-mêmes.

Louis la maintenait à la surface. L’eau glissait sur son corps dans une danse apaisante. Naïwenn avait toujours aimé l’eau. C’était la seule chose qui arrivait à la protéger du monde extérieur, de son agitation, de ses mensonges et de ses faux-semblants. Mais l’eau, là, n’était pas une amie. Ni une ennemie. Elle n’était plus qu’un mal nécessaire, l’outil d’une mort volontaire.

Prise dans une sorte de brouillard, Naïwenn vivait la suite, comme plongée dans un rêve. Il lui sembla que Louis glissait une boîte dans son corsage : la boîte ; celle qui contentait le Collier des Lamentations. Elle avait du mal à mobiliser ses souvenirs mais il lui semblait que c’était de cela qu’il s’agissait.

- Le Vieux Sage m’a donné ça pour toi, lui apprit-il

Il lui sourit cependant qu’une larme coulait sur sa joue. Il ne devait pas pleurer. Naïwenn tenta de lever une main pour le consoler mais elle refusa de bouger.

- Alors c’est à lui que je l’avais laissée. J’avais oublié.

Sa voix n’était plus qu’un murmure à peine distinct. Les cris des hommes à leurs trousses parvenaient jusqu’à ses oreilles. Ils n’avaient plus beaucoup de temps.

- Tu as pensé à tout, comme toujours, nota Louis. Pour ton fils…

Elle avait froid. Terriblement froid. Et Elle avait mal. Le souvenir de ses yeux était atrocement douloureux. Il la détesterait, elle le savait mais elle tenta de se convaincre que c’était peut-être mieux ainsi. « Puisse-t-il me haïr jusqu’à oublier ses propres maux. » A cette pensée, les larmes de son ami coulaient, se mêlant aux siennes. Beaucoup de larmes. Trop de larmes.

- Je te confis mon frère. Prends soin de lui.

Elle n’était pas sûre d’avoir prononcé les bons mots. C’était difficile d’ouvrir la bouche, d’articuler, de pousser le moindre son hors de sa gorge.

- J’y compte bien, rit-il.

Un rire amer, plein de tristesse.

Il y eut un bourdonnement dans ses oreilles. Elle n’entendait plus rien, sinon les battements sourds de son cœur. Ils allaient bientôt cesser, elle le savait. Elle n’avait pas peur, pourtant. Elle avait eu si peur de mourir mais elle n’avait plus peur, enivrée par la beauté de Tellusa qu’elle devinait à peine dans la nuit.

Naïwenn ne remettrait jamais les pieds dans sa Cité, son rire ne s’envolerait plus dans le vent, son parfum de rose ne se mêlerait plus à celui de la forêt, de la neige, de l’orage ou des chaleurs étouffantes en été. Elle ne verrait plus le ciel se tinter de rose, vert et bleu lors des nuits claires, elle ne foulerait plus jamais ce sol sur lequel elle était née, elle avait appris à marcher, était devenue une femme, une épouse, une reine puis une mère. Elle quittait son foyer, tous ceux qu’elle avait aimés et celle qu’elle était.

Le nuage blanc qui lui brouillait la vue s’intensifia au moment même où les gardes arrivaient. Louis déposa un baiser sur son front.

- Adieu, ma reine, lui dit-il. Adieu, mon amie.

Elle lui sourit une dernière fois. Il allait lui manquer. Tellement. Son sourire lui manquerait, sa capacité à la rassurer, sa patience, sa douceur. Mais que c’était réconfortant de savoir qu’il serait là pour Joseph, comme il avait été là pour son père ! Celui-ci n’éprouvait de l’affection que pour peu de personne. Elle doutait même qu’il ne l’ait jamais aimée mais si elle était certaine d’une chose, par contre, c’est qu’il considérait Louis comme un père. Cet amour-là l’empêcherait de sombrer dans ses ténèbres et viendrait un jour où Jo en aurait besoin lui aussi, c’était inéluctable.

Louis la lâcha. Dans un geste tendre, le visage déformé par la douleur, il la poussa pour l’éloigner de la berge. Elle sentit l’eau qui l’entourait, l’enveloppait, l’emmenait. Elle avait froid. De plus en plus froid.

Dans un dernier éclair de lucidité, elle vit les gardes de l’Escorte arrêter Louis. Il y avait tellement de choses qu’elle aurait aimé lui dire mais elle ne le pouvait pas : même ses pensées disparaissaient ; elle n’arrivait plus à les formuler.

Elle ferma les yeux et laissa son corps se noyer. Elle abandonna. Bientôt, elle verrait un nouveau monde.

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