Chapitre 9 (1/2) : Résonnance 

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Je me retrouvais devant le portillon en acier forgé qui, tout d’un coup, semblait avoir pris de l’importance. C’était le même que celui présent dans mon rêve. Tout était identique.

J’examinais la façade rose du pavillon de mes parents et m’attardais sur les vieux volets en bois marron, qui auraient bien eu besoin d’un petit coup de neuf. Alors que je traversais le petit jardin pour atteindre la porte, je passai à côté de la niche de Gaspar. Mon père m’avait demandé de m’en débarrasser mais je ne m’étais pas résolue à accepter sa disparition.

Gaspar était un petit chien avec lequel j’avais grandi, et qui s’était éteint à l’âge de 20 ans, durant son sommeil, six mois plus tôt. Une belle vie en somme. Petite, je passais des heures à lui parler de ma mère comme je l’aurais fait chez un psychologue.

Ma mère. Ayant pris les voiles peu après mes six ans, sans dire quoi que ce soit, son souvenir n’était qu’une silhouette vague dans une robe mauve qui me disait qu’elle m’aimait, le visage larmoyant, tandis qu’elle claquait la porte derrière elle pour ne jamais revenir. Pourtant, je me souvenais à merveille de son énorme sourire tendre révélant de magnifiques dents blanches, de sa peau douce, et de sa façon de nous parler avec une infinie douceur.

Alors pourquoi me semblait-elle soudain si étrangère ?

Je chassais ces idées noires de mon esprit. J’ouvris la porte, et me dirigea directement dans la cuisine, je mourrais de faim ! Un petit post-it avait était placé sur le frigo :

Jessica,

J’ai dû sortir faire des courses. J’en ai pour un petit bout de temps. Je rentre vers 19h.

Cathy.

Je l’attrapai pour le relire encore une fois, ouvris le frigo à l’aide de mon coude, saisis une boite au hasard, et me servis un verre d’eau pour faire passer un doliprane. Je traversais le salon pour m’étaler dans le canapé d’angle, dans lequel il était « strictement interdit de manger » et ouvris la boite avec précaution : des tomates.

J’enfilais le tout en moins de cinq minutes devant un dessin animé dont je ne comprenais absolument rien, avant de retourner dans la cuisine, balancer le Tupperware dans l’évier et avancer Cathy en faisant la vaisselle. Et puis je m’étais résolu à rejoindre ma chambre, où des dizaines de tas de cours jonchaient à même le sol. J’en saisis un, m’affalai sur le lit et entamai la lecture.

Je regardais mon réveil : 15h30. J’examinais tour à tour le tas de feuilles sur mon lit et celui sur le sol. J’en avais encore pour plusieurs heures.

Mes vêtements collaient mon corps moite de sueur. Avant de me remettre à étudier la structure des acides gras, je décidais de passer à la salle de bain pour me rafraichir. Je me dirigeais vers le couloir et aperçu la porte sur laquelle trônait une petite pancarte « salle d’eau ». Je m’y dirigeai, m’assurant de ne pas regarder la porte à ma gauche, tout en me demandant comment il était possible de craindre une pièce à ce point.

Après avoir attaché mes cheveux lisses et ternes en une queue-de-cheval haute, je m’aspergeai le cou d’eau froide et m’arrêta pour examiner mon visage. Ma peau pâle, presque lugubre, associée à ma blondeur pouvait facilement faire croire que je venais davantage du nord, de Scandinavie peut-être. Mes fossettes saillantes étaient rouge feu, certainement à cause de la fièvre encore légèrement présente et mes paupières étrangement gonflées semblaient écraser mes yeux verts. Je n’étais pas une fille que l’on pouvait qualifier de jolie, surtout à ce moment précis, et le manque cruel de formes féminines n’aidait pas franchement les garçons à me remarquer. Comment pouvais-je en vouloir à Sylvain d’avoir préféré Holly ? De toute façon ce n’était pas comme si nous étions follement amoureux l’un de l’autre. On s’ennuyait, on voulait essayer et on a échoué. C’était tout.

Mais pas avec Alec. Cela avait été différent avec Alec. Je l’avais aimé dès le premier regard. Je crois qu’il m’aimait lui aussi, à sa façon, même s’il ne s’était jamais rien passé, s’il n’avait jamais rien tenté. Et puis il avait disparu du jour au lendemain, sans raison, sans un mot. Lui aussi. Tout avait changé après ça, tout m’avait semblé vide et froid, comme si le monde entier était mort, ou plutôt comme s’il continuait de tourner sans moi.

Tout en trainant des pieds à l’idée de me replonger dans la biochimie, j’aperçu la porte entrouverte de la grande chambre grise, qui aurait pu être qualifiée de chambre d’amis plutôt que de suite parentale, tellement la présence de mon père se faisait remarquer par sa rareté. J’allais la refermer quand un énorme cadre, au-dessus du lit, attira mon attention. Je franchis alors le seuil de la porte et m’aperçus que cela faisait une éternité que je n’y avais pas mis les pieds.

La photo de mariage de mes parents servait de tête de lit. Elle semblait avoir été prise un beau jour d’été dans un parc. Mon père portait un costume gris clair qui mettait en avant ses cheveux blonds et soyeux et son sublime regard bleu. Ma mère, quant à elle, était parée d’une gigantesque et traditionnelle robre blanche ornée de paillettes. Cela contrastait à merveille avec ses cheveux noirs corbeau et son regard envoûtant. Les deux époux se regardaient tendrement, un sourire gigantesque sur les lèvres. Je restais suspendue à cette image, la bouche ouverte de stupéfaction. C’était elle, Naïwenn. Belle et gracieuse, tout comme dans mon rêve.

« Ce n’est pas possible, ce n’était qu’un rêve, tentais-je de me rassurer alors que l’angoisse grandissait dans mes entrailles. Ce n’était que le fruit de mon imagination. »

Malgré moi une image me revint, celle du médaillon vert qu’elle portait autour du cou. Après une petite seconde d’hésitation, je me mis à fouiller les placards dans l’espoir de ne pas le retrouver. J’avais retourné deux commodes sur les trois, avait découvert des sous-vêtements de mon père, des chemises, des pantalons et même quelques billets, mais rien qui n’avait appartenu à ma mère. Alors, je me dirigeai vers le dernier meuble, celui près de la fenêtre. Je posai mes mains sur les poignées et sentis mon corps frémir. Avec délicatesse cette fois, j’ouvris le premier tiroir et découvris des dentelles.

Je soufflai un bon coup et soulevai avec précaution les premiers tissus. Rien. Je m’attaquai au second tiroir, qui fut lui, rempli de boites mystérieuses, probablement des bijoux. J’attrapai la plus grosse, et allai m’assoir sur le vieux fauteuil en cuir noir adossé à la fenêtre, les jambes tremblantes. Après avoir soufflé pour refouler l’angoisse, je l’ouvris. Il était là. Un énorme médaillon en argent, orné d’une grosse pierre verte au centre, probablement une émeraude.

Mon cœur s’emballa, emporté par une vague d’angoisse. Je refermai la boite, la reposai, et partis en courant, des images frappant mon esprit : ma mère sur le hamac alors qu’Elisa l’accaparait, son air affolé, son expression déconfite…et son sourire si douloureux dorénavant.

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