Chapitre 9 (2/2) : Résonnance 

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J’avais quitté la maison sans prendre le soin de la fermer à clé, dévalant les rues à toute allure. Les images se bousculaient dans mon esprit, accompagnées de sons et de questions, le tout dans une douleur atroce.

Qui était-elle ? Qui était Joseph ? Mais qu’est-ce qui m’arrivait ?

J’avais alors accéléré, espérant les faire disparaître à jamais. Et sans que j’en prenne totalement conscience, j’avais traversé la moitié de la ville, et j’étais arrivée au cimetière, mon petit cimetière.

Il avait été soigneusement nettoyé : toutes les branches, les racines et les feuillages sauvages avait disparus, laissant apparaître une allée ovale de petits cailloux rouges. Comme si je m’étais absentée durant une éternité. Mes jambes entrèrent en mouvement sans même que j’ordonne quoi que ce soit, et mes pas me dirigeaient vers le fond du cimetière. Au passage, j’ai pu observer que, bien que le lieu de repos éternel ait repris fière allure, des tombes de ci de là étaient brisées, scindées en deux, laissant apparaître une énorme fente. Et je sentis un frisson me parcourir.

Je me stoppai devant une tombe qui m’était familière : celle de Naïwenn. Mon cœur semblait avoir disparu, poussée par une rage aveugle, et le sol se déroba sous mes pieds. Des hurlements fracassants déchirèrent mes entrailles alors que je m’écroulais de tout mon long sur la pierre tombale, noyée sous un tsunami de larmes. Elle avait menti sur son identité et elle était morte. Je n’arrivais pas à savoir, à ce moment-là, ce qui m’était le plus douloureux.

J’attendais là, couchée sur le froid, à moitié paralysée, que les dernières forces m’aient abandonnée. Une sensation de vide avait rempli mon esprit. Je sentais le vent glacial glisser sur ma peau, alors que la dernière larme coulait sur ma joue.

- Jessica !

Joseph était là, debout, l’inquiétude gravée sur son visage. Il avait les mains tendues, un pied légèrement en avant, comme s’il se préparait à s’élancer pour m’empêcher de faire une bêtise.

« Je n’ai pas rêvé, c’est bien elle n’est-ce pas, c’est ma mère ? »

J’avais formulé cette pensée comme s’il pouvait m’entendre, n’ayant pas la force de parler. Je vis le garçon ouvrir la bouche mais il se ravisa. Et à ma grande surprise, comme pour me répondre, il fit un léger signe de tête. C’était bien elle. Naïwenn, ma mère, Margot Lucas. J’étais perdue !

- Tu n’as pas rêvé, avait-il chuchoté, les yeux fixés au sol. C’est un souvenir. Mon souvenir. Tu ne devais pas voir ça.

Je jetai un regard vide au garçon avant de poser mes yeux sur le reste du cimetière. Joseph se détendit, s’approcha de la tombe et s’agenouilla à mes côtés.

- Il est mieux comme ça, hein ? avait-il dit, tout en me souriant tendrement alors que sa main venait me caresser la joue. C’est fini les buissons derrière lesquels tu crois te planquer. On le retrouve comme au bon vieux temps.

Joseph examina mon corps tout entier, recroquevillé sur la pierre tombale. L’insistance de son regard m’aurait normalement dérangée, comme sa main sur mon visage, et mes joues seraient en feu. Sans compter le fait que je venais de comprendre que je m’étais préalablement tapée l’affiche de manière magistrale. J’avais vraiment cru qu’il ne me remarquerait pas, cachée derrière le buisson ? C’était stupide. J’étais stupide. Mais mon cœur semblait mort. Aucune émotion n’avait survécu en moi et c’était mieux ainsi.

Il reprit d’une voix plus douce encore qu’un petit garçon qui tente de vous réconforter :

- On doit y aller, tu ne peux pas rester là. Tu vas finir par attraper froid.

« Je ne peux pas, pensais-je, je ne peux pas bouger. »

Il secoua de nouveau la tête, déposa sa veste en cuir sur moi, passa son bras autour de ma taille et dans un grognement souleva mon corps. Je me blottis contre sa poitrine, focalisant mon attention sur son rythme cardiaque, lent, rassurant et tout devint noir.

Un mouvement brusque réveilla mon esprit et je me demandais comment j’étais arrivée jusque dans ma chambre. Je me levai en tentant de compresser mon cerveau qui semblait danser dans mon crâne. Je m’apprêtais à descendre, fixant l’escalier qui s’était dédoublé, quand j’aperçus à travers la porte entre-ouverte Joseph, étendu sur le matelas de mon père, la tête au pied du lit, fixant le cadre suspendu.

En traînant des pieds, j’entrai à mon tour. Je m’étalai dans le fauteuil sous la fenêtre, et ramenai mes jambes contre ma poitrine, pour y poser ma tête.

- Je ne comprends rien à ce qui se passe.

Il ne bougea pas d’un pouce, si bien que je n’étais pas sûre qu’il m’ait entendue. Il scrutait le tableau comme s’il pensait y découvrir le plus grand secret de l’univers. De ma place je l’observais et je le trouvais beau, d’une beauté insaisissable. La plupart des gens ne devait voir en lui que des cheveux blancs et tout un tas de piercings. Mais j’avais dû finir par m’y habituer parce que je n’y prêtai plus aucune attention. Je ne voyais rien d’autre à part ses traits ronds, ses yeux bleus et ses cils longs et noirs que je lui enviais jalousement. Le tout me semblait délicat, parfait, fragile.

- Qu’est-ce qui vous est arrivé ? demanda-t-il soudain. Vous aviez l’air si heureux.

Il tourna la tête et me regarda. Je plongeais dans son regard bleu et sentit une sensation de quiétude me porter, malgré ce que je m’apprêtais à lui avouer. Cette sensation me dérangeait mais je ne pouvais plus décrocher mes yeux des siens.

- C’était le jour de notre sixième anniversaire, à Elisa et à moi. D’habitude, la journée nous était consacrée et papa et maman se réservaient la soirée pour fêter la saint Valentin.

Une expression de dégoût passa, le temps d’une seconde, sur son visage. Je poursuivais, en détournant mon regard vers l’extérieur :

- Mais ce jour-là, j’étais malade. Ce n’était rien, qu’un petit rhume. Mais maman était très inquiète. Alors elle est sortie pour passer à la pharmacie et Elisa a voulu l’accompagner. Elles attendaient pour traverser sur un passage piéton et…Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé. C’était un règlement de compte je crois. Il y a eu des coups de feu, des balles perdues.

Ma voix se brisa. Je raclais ma gorge pour refoulais un sanglot et repris :

- Elisa n’est plus jamais rentrée et maman, pas vraiment non plus.

- Je suis désolé, me répondit-il.

Il s’était redressé, assit sur le bord du lit.

- Qu’est-ce qui lui…

Je n’arrivais pas à prononcer les mots.

- Elle s’est suicidée, m’avait-il coupé d’un ton blanc.

Je le dévisageais, incrédule. Je n’étais pas surprise par le geste de ma mère : ce n’était pas dans l’ordre des choses de perdre son enfant et je n’imaginais pas la souffrance que cela avait dû être pour elle. Mais la réaction de Joseph, elle, me dérangeait.

- Et toi, ça ne t’a rien fait du tout ? avais-je demandé, estomaquée par une telle apathie. C’était quand même ta mère, non ?

Sa mère ? J’avais prononcé cette idée à haute voix, pourtant ça ne me choquait pas. J’étais davantage dépitée, comme si, au fond de moi, je l’avais toujours su mais que je n’avais pas voulu le voir.

- Pourquoi est-elle partie selon toi ?

Surprise par la question, il me fallait quelques secondes pour réfléchir. Joseph, quant à lui, attendait patiemment une réponse, les bras croisés et les sourcils relevés.

- Eh bien, je suppose que c’était trop douloureux de vivre ici dans cette maison avec tous ces souvenirs, avais-je répondu un peu hésitante.

- Et pourquoi ne t’a-t-elle pas emmenée ?

Une pointe me transperça la poitrine. J’essayais de cacher ma voix tremblante par plusieurs raclements de gorge.

- Je crois…je crois que c’était trop dur pour elle de me voir. En me regardant, elle devait voir Elisa et ça…

- C’est n’importe quoi. Elle est partie parce qu’elle ne savait faire que ça.

Je ne sus pas quoi répondre. A ce que j’avais cru comprendre, elle l’avait abandonné lui aussi et il ne s’en était jamais remis. Il était probablement en colère mais il n’avait pas crié. Après autant d’années, tout était resté à vif, sanglant.

- Bon il faut que j’y aille moi ! avait annoncé Joseph, après avoir tapoté les coussins et s’être levé d’un bon.

Je lui emboitais le pas.

- Attends, j’ai encore des questions ! avais-je réussi à prononcer, essoufflée, alors que je lui courais après dans l’escalier.

Il se stoppa net, si bien que je faillis lui foncer dedans, fit volte-face et, les bras dans les poches, m’adressa un regard interrogateur.

- Thomas et Louis, ce sont mes frères aussi ?

Il afficha une expression de surprise.

- Bien sûr que non ! m’avait-il répondu comme si j’étais la dernière des imbéciles.

- Qui sont-ils alors ?

- Reste en dehors de ça, avait-il balancé par-dessus son épaule alors qu’il avait repris sa course effrénée.

- S’il te plait…

Il s’arrêta de nouveau, pointa son index devant mon nez et murmura :

- Ça ne te concerne en rien. Si tu veux un petit conseil, arrête de te poser des questions, ça vaudrait mieux pour toi.

Puis il reprit sa marche, attrapa sa veste qui trainait sur une chaise et saisit la poignée de la porte d’entrée.

- Et ne t’approche plus de nous, c’est un ordre, avait-il balancé sur son épaule avant de claquer la porte derrière lui.

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