Chapitre 11 (1/2) : L'invité évité
Les étudiants se tortillaient sur une musique dont j’étais bien incapable de définir le genre. Et alors que Joseph se déplaçait avec aisance, il m’était beaucoup plus difficile d’avancer, noyée parmi les fêtards.
J’arrivais tant bien que mal à la porte mais j’avais perdu sa trace. Je le cherchais, balayant l’horizon du regard mais il s’était littéralement volatilisé. Sans réfléchir je m’approchai de Sylvain et Holly. La langue de la jeune fille était toujours au fond de la gorge du garçon. Sans prendre le temps de prévenir de ma présence par un signe sonore quel qu’il soit, et, lancée dans mon élan, je boulai celle qui aurait due être ma pire ennemie :
- Pardon ! Lui lançais-je avant de reprendre. Vous n’auriez pas vu Joseph par hasard ? C’est un grand blond, vraiment très grand. Il vient de sortir.
Au moment même où je finissais ma phrase, je me demandai pourquoi je les avais interrogés. Il était évident qu’ils étaient trop occupés pour avoir vu quoi que ce soit
- Non désolé, me répondit Sylvain.
- Si. Moi je l’ai vu, corrigea Holly. Il est parti par là.
- T’es sûre ? lui demandai-je, cachant à peine ma suspicion.
- Oui ! Par là, je te dis.
A l’aide de son index, elle m’indiqua une petite rue reculée, plongée dans la pénombre. Sans même prendre le temps de la remerciais je m’élançai à la poursuite de Joseph.
La rue était vraiment étroite, plus encore que ce qu’il m’avait semblé. Des petits bouts de verre jonchés à même le sol, provenant des lampadaires, tous éclatés. Et, semblant perdue au milieu de cette rue désertée, un énorme container vomissait d’immenses poubelles. J’étais bien heureuse d’être trop épuisée pour que mon odorat fonctionne correctement.
J’avançais à grande vitesse, poussée par l’angoisse. Il aurait été plus rapide d’appeler Joseph mais à l’idée que quelqu’un d’autre me repère dans ces ténèbres je tressaillis. Soudain un frisson me parcourut le dos. Je fis alors volte-face, prête à tenir tête à mon agresseur, mais il n’y avait personne. Une ombre glissa sur la façade à mes côtés, une ombre à peine visible dans la pénombre. Elle était trop abstraite pour ressembler à quoi que ce soit de vivant. Elle se déplaçait d’une façade à l’autre à toute allure, semblant jouer avec moi. Mon cœur battait si fort que j’étais essoufflée.
Elle semblait maintenant décrire des cercles autour de moi, m’emprisonnant dans un courant d’air. Pourtant il n’y avait rien. Et la suivre du regard me donna le tournis mais il était hors de question que je la quitte des yeux.
Soudain un bruit sourd résonna derrière moi, et avant même que je puisse réagir, un homme m’avait tirée à lui, passé le bras autour du cou et plaqué sa main contre ma bouche. Je tentais de me débattre, cherchant à le frapper au ventre à l’aide de mon coude, mais rien. Il était trop fort pour moi, je ne pouvais rien faire.
- Calme-toi, me murmura l’homme sans que je ne reconnaisse sa voix.
Je me débattais comme je le pouvais, cherchant à libérer ma bouche pour hurler. Alors l’homme me souleva, risquant de m’étouffer, et me conduit derrière la poubelle. A l’idée de ce qui m’attendait, je me tortillais davantage, lui frappant avec de plus en plus d’ardeur les tibias, mais rien ne semblait l’atteindre.
- Je ne te veux pas de mal. C’est moi, Joseph.
Je me détendis aussitôt et il lâcha prise. Son regard était dur et froid. Je n’aimais pas ça.
- Tu m’as fait peur, je croyais que tu étais un…
- Cache-toi là, me coupa-t-il en désignant l’arrière du container. Ils arrivent. Attends mon signal et cours aussi vite que tu peux.
- Qui arrive ?
Sans prendre le temps de me répondre, il me poussa au sol et s’avança dans l’obscurité de l’allée.
Une jeune femme à la voix roque et un jeune garçon lui tenaient tête maintenant. J’espérais qu’ils ne m’aient pas remarquée dans l’obscurité, recroquevillée derrière ma poubelle. Je les observais mais ne voyais que des ombres fluettes perdues dans les ténèbres.
- Joseph, ça fait un bail ! annonça la femme comme s’ils étaient de vieux amis.
- Amélia. Mickael. Quel bon vent vous amène ?
- Tu n’es donc pas content de nous voir ?
Le jeune inconnu se mit à siffler tel un serpent avant de rire aux éclats. Son acolyte le fit taire par un claquement de langue qui résonnait dans la ruelle désertée.
- Où est-elle ? demanda Amélia, brisant le nouveau silence pesant qui avait envahi la rue.
- Je ne vois pas du tout de qui tu parles, avait répondu Joseph.
La tension était palpable, lourde. Ma bouche était pâteuse et ma gorge sèche, mais il m’était devenu impossible d’avaler ma salive. Je fouillais la poche droite de mon jean pour attraper mes clés de voiture et attendais le signal de mon frère, prête à bondir. Mais sans succès. Elles s’étaient volatilisées.
- On sait qu’elle est là. Tu ne pourras pas la protéger continuellement, tu sais ? Cela fait des mois que tu nous empêches de l’approcher, ça a assez duré, siffla le garçon.
- On veut juste la récupérer. Dis-nous où elle est et je te promets qu’il ne t’arrivera rien, expliqua la jeune femme.
- Je n’ai pas peur de toi, rétorqua Joseph.
- Vraiment ? Pourtant tu devrais.
Un léger craquement se fit entendre.
« Cours ! »
La voix de mon frère résonna dans ma tête. Avant même que je ne comprenne ce qu’il venait de se passer, mes jambes se mirent en mouvement, me soulevèrent et m’élancèrent vers les lumières qui émanaient de la maison d’Ellie.
Je pouvais sentir les corps de Joseph et d’Amélia en mouvement, cherchant à atteindre l’autre tout en évitant les coups. Je m’efforçais de ne pas y songer et accélérai autant que je le pus. Mais ce ne fut pas suffisant. Mickael, qui s’était lancé à ma poursuite, me saisit le bras et, en voulant me ramener à lui, me projeta au sol. Je m’écrasais sur un tapis de verre.
Le jeune garçon, me saisit par le col à l’aide de sa main droite et me souleva avec vigueur. Et lorsque mon visage fut à sa hauteur, il élança son autre main et son poing vint s’écraser contre ma joue. Le coup fut si violent qu’il en lâcha prise et je m’écroulais de nouveau au sol. J’avais envie de vomir. Un gout de sang avait rempli ma bouche.
Mickael s’approchait de nouveau, lentement, un rictus aux lèvres que je devinais malgré la pénombre. Mais cette fois-ci, je ne le laisserais pas m’attraper. Je le laissais s’approcher suffisamment. Et il se penchait maintenant pour m’atteindre. Alors je lançai mon pied avec le peu de forces qu’il semblait me rester. J’avais frappé à l’entre-jambe. Dans un cri de douleur, le jeune garçon s’était écroulé au sol. J’attrapais un bout de verre, et m’élança de nouveau vers la lumière.
Je trébuchais, cherchant à avancer malgré les vertiges. Mais mon adversaire s’était déjà relevé. Bien trop vite.
- Où vas-tu comme ça ?
Il se tenait déjà derrière moi. Il m’attira à lui, cherchant à m’étouffer. Alors sans prendre le temps de réfléchir, je balançai mon coude qui vint lui écraser les côtes. Je fis volte-face et le frappai à la joue à l’aide de mon arme. L’éclat de verre s’insinua sous l’œil. Le sang giclait mais le voir s’échapper ainsi ne me dégoutait pas.
De l’excitation. Voilà ce que je ressentais. Je restais là, en face de lui, aux aguets. Je le regardais souffrir. A l’attente du prochain coup que je lui donnerai.
Le jeune garçon était roux, les cheveux en bataille. Il était à peine plus grand que moi. Je ne pouvais lui donner d’âge tellement son visage était déformé par la douleur. Il hurlait à présent.
Quelqu’un me tira en arrière. Il me souleva comme si je n’avais été qu’une plume et m’emmena vers la sécurité de la lumière. L’homme, me posa au sol.
- Louis !
- Ça va ? tu n’as rien ?
Je ne l’avais pas entendu arriver. Je le dévisageais, pas certaine qu’il soit réel.
- Jessy, ça va ? s’enquit-il de nouveau, en se baissant pour pouvoir sonder mes yeux.
Encore choquée, je secouai la tête nerveusement.
- Oui, oui… Joseph ! Il est là-bas !
- Je m’en occupe, ne t’inquiète pas. Prends ça, m’avait-il ordonné en me tendant des clés. Attends-nous à l’intérieur et surtout ferme à clé. Tu as compris ?
- Mais…
- Fais ce que je te dis !
Il me poussa légèrement en direction d’une grande Berline noire puis disparut, à son tour, dans les ténèbres.
Mon cœur éjectait avec violence le sang dans mes veines gonflées. C’était une nouvelle sensation. Mon cerveau semblait mieux oxygéné. J’avais soudain l’impression de pouvoir tout accomplir, d’être plus forte, plus rapide. Comme si rien ne pouvait m’atteindre.
J’aurais voulu y retourner moi aussi. J’aurais pu, j’en étais persuadée. Mais Joseph m’avait demandé de me mettre en sécurité. Et Louis aussi. Après un dernier coup d’œil vers la ruelle, et à contre cœur, je m’élançais vers la voiture, tout en appuyant sur le bouton de la commande. Un bruit résonna. J’entrai rapidement dans le véhicule à la place du conducteur, bloquai les portes à l’aide de la fermeture automatique, mis le contact, et m’installai à l’arrière.
Mon corps tout entier tressaillait. J’avais l’impression d’attendre depuis une éternité. Soudain deux ombres sortirent de l’obscurité et s’élancèrent vers ma position. Le temps que je comprenne qu’il s’agissait de mes camarades, ils avaient déjà atteint la voiture. Louis agita sa main dans ma direction tout en pinçant les lèvres. Sans que je ne sache comment, les portent s’ouvrirent.
Louis prit le volant et démarra en trombes.
- Elle n’est plus en sécurité ici. Je sais que tu n’aimes pas cette idée mais il faut qu’elle vienne avec nous, avait-il fini par dire à Joseph, qui le fusilla du regard.
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