Chapitre 13 (2/2) : Sur les routes du passé
- Ah tu es là ! je t’ai cherchée partout ! grinça une voix dans mon dos, qui me sortit de ma contemplation.
Shin me dominait de sa hauteur, les bras en croix, le regard ferme. Le rouge de ses cheveux ressortait de manière significative dans la pénombre des souterrains.
- Je vois que tu as trouvé la salle d’entrainement. Qui t’a permis de venir ? demanda-t-elle hostile.
- J’ai entendu du bruit alors je l’ai suivi. Je suis désolée, je ne voulais pas paraître impolie.
Elle m’adressa un regard furibond avant de se poser juste à côté de moi, les bras autour des genoux et sembla admirer tout autant que moi ce fabuleux spectacle.
- Ils ont vraiment l’air de bien s’entendre, ces deux-là, fis-je remarquer.
Sans détourner les yeux une seule seconde je vis son visage se tordre dans une drôle d’expression. Je n’arrivais pas à déterminer si c’était du dégoût, de l’admiration ou un peu des deux.
- Ils sont comme père et fils, m’apprit-elle.
Un petit rire discret, remplit d’amertume, lui échappa.
- Pourquoi me cherchais-tu ? demandais-je, tendue.
Elle se leva d’un bon, paniquée. Apparemment, elle avait oublié le sens de sa venue.
- Thomas veut te voir, il t’attend.
- Thomas ? pourquoi ?
- Je ne sais pas, je ne fais que suivre les ordres, avoua-t-elle dans un geste d’impatience. Dépêche-toi !
Je me levai sans plus de questions et lui courrai après tant bien que mal puisqu’elle ne se souciait pas de savoir si j’arrivais à suivre son rythme effréné. Nous avions rejoint le hall, et franchi les marches du grand escalier pour atteindre le premier étage. De là, nous nous sommes engagées dans un somptueux couloir, tapis lui aussi d’une moquette rouge. Les murs étaient recouverts d’immenses tableaux, représentant différentes personnes. Sur l’un d’entre eux, je crus reconnaître Thomas et ma mère, assis l’un à côté de l’autre, dans deux énormes fauteuils dorés. Mais cette image me semblait irréelle.
Nous avons marché sur quelques mètres, plongées dans un lourd silence. Je me demandais bien ce que Thomas me voulait.
Perdue dans mes pensées, je ne m’étais pas rendu compte qu’elle s’était arrêtée devant une porte et je la heurtai.
- C’est ici, nous y sommes, dit-elle comme si elle n’avait rien remarqué.
- Shin ! qu’est-ce que vous faites là ? s’écria quelqu’un au loin.
Joseph s’était changé et nous avait rejointes. Il fixa Shin, visiblement agacé de la situation, mais évita mon regard.
- Bonjour Joseph ! m’exclamai-je, soulagée de le savoir à mes côtés.
Il ne me répondit pas. A croire, qu’à ses yeux, je n’existais plus. Allait-il m’ignorer encore longtemps ? Son mépris me transperçait comme des lames de verre. C’était à la fois douloureux et anesthésiant, paralysant toute autre émotion.
- Thomas l’a fait appeler, lui expliqua Shin qui s’était alors métamorphosée en chose fragile, prête à tomber si la tornade Joseph se mettait à souffler.
Ce fut assez drôle de voir ce changement de comportement et je dus me mordre la lèvre pour ne pas laisser apparaître de rictus.
- Je vais l’accompagner, grogna le garçon.
- Bien, lui répondit la jeune fille dans un sourire poli mais sincère, avant de rebrousser chemin.
Nous sommes restés, Joseph et moi, debout, devant cette porte. Il ne me regardait pas, ne me parlait pas. Il était énervé et je ne savais même pas pourquoi. Par peur d’envenimer davantage la situation, je fixais le sol et mordais l’intérieur de ma lèvre pour m’obliger à garder le silence.
Les secondes parurent durer une éternité mais la porte s’ouvrit enfin. Et à son seuil, Thomas nous accueillit avec un divin sourire, qui ne laissait pourtant transparaître aucune émotion.
- Bonjour Jessica, je suis contente de te voir. Joseph.
C’était la première fois que j’entendais la voix de celui qui, me semblait-il, devait être mon hôte. Et que je me tenais si près. Il était beau. Il avait le teint pâle mais pas trop. Ses cils étaient encore plus longs que ceux de ma mère, du moins, dans mon souvenir. Il était beau. D’une beauté froide et insaisissable.
- Votre Majesté, le salua le garçon à mes côtés.
Je tournai la tête dans un geste vif et l’interrogea du regard. « Votre Majesté, vraiment ? » Joseph haussa les sourcils sans pour autant lâcher Thomas des yeux.
- Ne restez pas là, entrez ! Asseyez-vous !
Nous nous tenions désormais dans un immense salon, rempli de plantes. Au centre de la pièce, il y avait deux canapés en cuir noir, de chaque côté d’une petite table. Un bureau en bois perçait sous une montagne de documents et cotoyait un petit meuble où jonchaient une théière et d’innombrables journaux.
Joseph saisit une chaise, un journal, et se posa à côté du meuble. Thomas m’invita à m’assoir sur l’un des canapés, tandis qu’il s’installa dans l’autre.
- Tu veux boire quelque chose ? Joseph, s’il te plait !
Il ne me laissa pas le temps de répondre. Joseph, qui avait abandonné sa lecture, était déjà en train de nous servir une tasse de thé. Je saisis la mienne et la posa sur la table. J’étais bien trop nerveuse pour avaler quoi que ce soit.
- Je suis content de voir que tu vas mieux, dit enfin Thomas, après avoir avalé une gorgée. Je tenais à m’excuser de t’avoir mis dans un tel état. Je ne pensais pas que cela te rendrait malade. En théorie, tu ne devais rien sentir…Mais tu n’es pas un simple Homo sapiens, c’est sûrement à cause de cela...
« Homo sapiens ? Qui parle comme ça? Il est vraiment étrange ce garçon. En même temps, ce n’était pas une nouveauté. A quoi je m’attendais ? Il ne pouvait pas vivre ici, diriger tout le monde au doigt et à l’œil, se faire appeler Majesté et être normal. »
Je chassais de mon cerveau ces idées qui venaient de je ne sais où et qui s’emballaient à un rythme inquiétant, et tentais de me concentrer sur l’instant présent.
Un sourire narquois passa sur les lèvres de Joseph qui avait rejoint sa place et dépliait avec soin son journal, comme s’il avait lu dans mes pensées. Il le fit claquer pour mieux l’ouvrir et se plongea, une nouvelle fois, dans les dernières informations.
- Je ne comprends pas. La fièvre…c’était à cause de vous ?
- En effet. Enfin, Joseph pour être exact. Disons qu’en fouillant dans ton esprit à la recherche d’informations, il a mis en alerte ton système immunitaire. Mais si cela peut te réconforter, sache qu’il ne faisait qu’obéir à mes ordres. J’en suis désolé.
- Je ne comprends pas. Comment pouvez-vous faire ça?
- La véritable question, c’est comment as-tu fait pour aller mieux ?demanda Thomas, d’un ton accusateur qui n’aurait trompé personne.
Je lançais un regard à Joseph qui me le rendit. C’est lui qui m’avait guéri cette nuit-là, à l’hôpital, après m’avoir rendu malade. Mais Thomas semblait faussement ignorer cette partie de l’histoire. Et apparemment, Joseph ne tenait pas à ce qu’il soit au courant des détails. Alors je décidais de garder le silence moi aussi. De toute façon, je n’étais pas sûre d’avoir compris quoi que ce soit.
- Tu dois sûrement te demander pourquoi je t’ai fait appeler, n’est-ce pas ? reprit le garçon en face de moi.
- Oui, avouais-je, la voix tremblante.
- J’ai une histoire à te raconter : notre histoire. Il est temps que tu saches la vérité. Ou du moins, ce que j’en sais.
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