Chapitre 18 (1/2): Le Président
Joseph avait fini par fuir, encore, en lâchant quelque chose comme « je crois que ce n’était pas une bonne idée. Je m’étais juré de ne plus les utiliser ». Il avait claqué la porte en me laissant me débattre avec une nouvelle crise d’angoisse. Mais il m’avait, tout de même, laissé un sac à porté de main.
Je détestais ces crises. On avait toujours l’impression de mourir. Et finalement non, on ne mourrait pas. Il était un temps, et je ne me souvenais même plus ni comment, ni pourquoi, elles faisaient parties de mon quotidien. Elles étaient dues à l’adolescence probablement. Ou Alec, peut-être bien.
Je me souvenais trop bien de lui, de la souffrance qu’il m’avait laissée et dont j’avais oublié l’origine, comme une cicatrice indélébile. De sa disparition aussi, du jour au lendemain, sans prévenir, sans raison. J’en avais conclu qu’il avait tout simplement cessé de m’aimer et qu’il avait préféré partir. Tout le monde part un jour, de toute façon.
Je chassais vite son image de mon esprit avant de replonger une nouvelle fois dans l’obscurité des souvenirs. Sans succès. Je m’attardais sur le petit-déjeuner que Shin m’avait apporté.
C’est elle qui s’occupait de cette corvée depuis que Joseph s’était littéralement volatilisé. Elle déposait un plateau, toujours trop garni, et venait le récupérer quelques heures plus tard. La plupart du temps, je ne mangeais rien. L’appétit, lui aussi m’avait abandonné.
Je m’étais tellement concentrée sur mes souvenirs que j’avais fini par perdre le fil du temps mais ce matin-là, et je ne sais pas pourquoi, la même question revenait sans cesse : Noël était-il déjà passé ? J’aurais bien été incapable de dire combien de temps au juste j’étais restée cloitrée ici, combien de jours s’étaient écoulés. Mais ça n’avait pas vraiment d’importance jusqu'alors.
Ellie, comme si elle avait fini par sentir quelque chose, s’était acharnée à m’envoyer message sur message, si bien que je n’arrivais plus à me concentrer. Et, comme je ne répondais évidemment pas, elle m’avait appelée encore et encore. Combien de temps quelqu’un peut-il s’acharner ainsi, sans réponse aucune ? Je ne lui avais pas laissé le temps de répondre. Tellement agacée par la sonnerie, j’avais du la changer au moins trois fois. Et lorsque c’était devenu trop insupportable pour moi, j’avais fini par l’éteindre et le « perdre » au fond de la penderie.
Je l’aurais bien rallumé. Mais à l’idée de voir tous les messages et d’entendre sa voix paniquée sur le répondeur, je préférais l’oublier encore un peu.
Alors que je m’épanchais sur Ellie et le fait que, cette fois-ci encore, je lui causais ouvertement beaucoup de soucis et que très bizarrement j’en ressentais une sorte de satisfaction égoïste, Louis frappa à ma porte.
- Alors du nouveau ? Avait-il demandé dans un sourire splendide.
Il arborait toujours un sourire splendide alors qu’il me posait inlassablement la même question. Je me demandais bien pourquoi. C’était probablement pour me paraître plus agréable mais ça ne servait pas à grand-chose. Comme les choses n’avançaient plus, quand bien même elles avaient avancé un jour, je me contentais, habituellement, de lui lancer un regard assassin. Ou, au mieux, de grogner quelque chose.
Mais ce jour-là, je n’ai rien fait de cela. Je n’ai rien fait du tout.
- Je vois, avait-il fini par dire en me lançant un regard empli de compassion. J’ai une idée. Viens avec moi, je vais te montrer quelque chose.
- Je ne suis pas certaine que Joseph apprécierait.
Rien que le fait d’entendre son nom semblait le combler de bonheur, ou de satisfaction tout du moins. C’était assez étrange de voir ça.
- Je ne sais pas à quoi il pense, reprit-il, en se frottant la tête. C’est un bon garçon, tu sais. Mais il est comme ça, à toujours agir sous le coup des émotions, sans réfléchir aux conséquences.
Louis haussa les épaules en retrouvant un gigantesque sourire. Puis, m’adressa un léger signe de tête. Je saisis un croissant qui avait l’air succulent, et bondis hors de la pièce. Sortir et prendre l’air, voilà ce dont j’avais réellement besoin.
Louis m’avait conduite dans une sorte de bibliothèque, remplie de livres, de tableaux et de tout un tas de bibelots qui ne servaient manifestement à rien.
- Peut-être que si tu te replongeais un peu dans notre histoire, cela t’aiderait. Des images reviendront probablement.
Je n’y croyais pas le moins du monde mais au moins j’en apprendrais davantage sur eux. Et sur cette dimension parallèle. Selon leurs écrits, cela faisait plus de trois mille ans qu’ils vivaient en parfaite harmonie avec la nature. Il ne semblait pas connaître les difficultés que nous autres, terriens, rencontrions depuis quelques temps. Pas de pollution, pas de dérèglement climatique, pas d’espèce en voie d’extinction et aucune maladie non plus. Pas une.
Pendant des heures, je lisais, absorbée par leur récit, leurs vies. Je voulais tout savoir de leur histoire, tout comprendre. Je passais en vitesse l’historique de la création que Thomas m’avait déjà raconté.
J’essayais de m’imprégner des paysages, tous plus fantastiques les uns que les autres, de l’immense sensation de paix qui en réchappait, en essayant d’en saisir toute la complexité. J’étais ébahie par un tel spectacle : la technologie et la nature. C’était un mariage magnifique. Il nous paraissait, à nous, si difficile à construire. Mais Elidrys en était la parfaite représentation. Sur une double page, on pouvait voir une gigantesque bâtisse, un château en pierres taillées, entouré d’un jardin de centaines de couleurs différentes. Comme la Citadelle. Des montagnes se dessinaient derrière, sur lesquelles une forêt gigantesque, à l’aspect sauvage, était sortie de terre. Un petit ruisseau passait à quelques centaines de mètres, devant la grande porte. Sur le dessin, il y avait des paysans représentés. Ils travaillaient dans les plaines qui entouraient la bâtisse. Mais ils ne ressemblaient en rien aux paysans que l’on peut croiser dans nos livres d’histoire. Ils semblaient assistés par des dizaines de petits robots, comme ceux que j’avais vus en arrivant ici. C’était ces petits outils qui se chargeaient du plus gros travail.
Et puis, je m’attardais sur les lignées, les sept royales. Et là, Thomas ne m’avait pas tout dit. Il avait pris soin de garder pour lui le plus important. Chacune d’entre elle possédait une capacité, un don. C’est cette particularité qui différenciait les rois et reines du reste du peuple. Ça, leur immortalité et ce vert très particulier qui habillait leur regard. D’ailleurs, on les nommait Enfants de Tellusa tandis que le reste de la population, des Homo Sapiens avec une espérance de vie sensiblement identique à celle des terriens, étaient les tellusiens. J’appris aussi que tout contact entre Enfants de Tellusa et tellusiens était prohibé, et que toute infraction entraînait l’exclusion de ces derniers hors de Tellusa. Ils devenaient alors des renégats. Seuls les Prudes, tellusiens ayant subi le Baptême, pouvaient communiquer directement avec les immortels.
Sans m’en rende compte, j’en étais déjà à Thomas et Naïwenn. Ils étaient les seuls héritiers de la septième famille, et leur don à eux, à nous, était l’hypersensibilité. Dans certains livres, je trouvais même le terme d’empathie.
La Famille du Président était en fait la sixième famille ; les mnésiques : ils possédaient une maîtrise des souvenirs. Mais sa mère, héritière de la première lignée, était une télékinesiste.
Les autres, je ne retenais par leur nom alors je n’y prêtais pas davantage d’attention. Mais chacun d’entre eux avait une capacité particulière : illusionnistes jouant avec la réalité ; apothicaires qui semblaient capable de comprendre le langage des plantes comme personnes ; sentinelles dont les sens étaient aiguisés comme leurs lames de combat ; télékinésistes et Iryônin qui, à ce que j’en comprenais, étaient particulièrement habiles pour manipuler les chakras de leurs victimes ... Bref, cela en faisait de véritables dangers.
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