Chapitre 22 : Premier arrivé, premier servi

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Les deux garçons m’avaient poussée dans une berline noire stationnée devant l’entrée, avant d’y grimper à leur tour. Louis conduisait beaucoup trop rapidement pour les routes de campagne, mais contrairement à Ellie, sa conduite à lui, n’avait rien d’effrayante.

Ils n’avaient pas dit un mot, ni l’un, ni l’autre, excepté pour m’indiquer qu’on se dirigeait vers la maison. Mais ça, je l’avais déjà compris. J’avais dû attendre d’être à quelques pâtés de maison pour entendre leur voix de nouveau.

- On a un problème. Il devrait déjà y être, lâcha Jo, brisant un silence lourd et angoissant.

Le blondinet, affalé dans son siège, se plongea de nouveau dans un mutisme profond.

- C’est eux. Ils l’ont suivi, ajouta-t-il au bout de quelques instants.

Il grommela quelque chose d’incompréhensible tout en agitant ses doigts sur l’accoudoir, ce qui ne faisait que me stresser davantage.

Louis se gara juste devant mon pavillon, sans couper le moteur. De la lumière émanait de la fenêtre de la cuisine. C’était étrange. A cette période de l’année, personne ne devait être là. Cathy était retournée chez les siens pour les fêtes de fin d’année et mon père était en mission espionnage quelque part en Europe.

Je m’apprêtais à descendre quant Joseph me saisit par le bras.

- Toi tu restes là, m’ordonna-t-il.

- C’est chez moi ici, tu as besoin de moi pour entrer. Et puis je sais où est le médaillon, ça ira plus vite.

Je me dégageais de son emprise et me tournai vers la porte. Il m’attrapa l’épaule et m’obligea à pivoter pour le regarder.

- C’est trop dangereux ! Retiens-la s’il-te-plait, demanda-t-il à Louis en sortant de la voiture. Ce n’est pas eux.

- Qui, alors ? demanda Louis.

- Je ne vais pas tarder à le savoir.

Joseph m’adressa un regard glacial que je n’arrivais pas à percer. Je le vis soupirer discrètement en m’adressant un léger sourire de coin. Un drôle de sourire, de ceux qui ne colle pas avec le reste, de ceux qui annonce un mauvais présage. Je ne baissais pas les yeux, ne le voulais pas, ne le pouvais pas. C’était comme si quelque chose me retenait.

« Fais-moi confiance. »

Sa voix avait résonné dans mon esprit.

- Qu’est-ce que tu as dit ? lui balançais-je.

En guise de réponse il m’adressa un clin d’œil et claqua la porte derrière lui.

Je tentais tant bien que mal de me persuader que ce n’était que le fruit de mon imagination. Il ne pouvait pas pénétrer mes pensées. Cette idée me faisait froid dans le dos. Comment une telle chose aurait pu être possible ? Bon, effectivement, avec eux j’allais de surprise en surprise, mais là j’étais à la limite du pensable, même pour moi.

Je regardais des ombres bouger à vive allure au travers les carreaux de la maison. J’en vis une d’abord qui se déplaçait tellement vite que je la perdis l’espace d’un instant. Puis une seconde et une troisième. Je me concentrais davantage sur la scène mais les mouvements étaient bien trop rapides pour mes yeux. C’est un bruit de vitre cassée qui me fit comprendre ce qui se passait, celle de la cuisine, et un corps qui passait à travers : Trent.

Après avoir ébouriffé ses cheveux, il se redressa. En titubant d’abord, il rejoignit la porte avant de se jeter littéralement dans la maison en poussant un hurlement qui devait, je pense, davantage avoir pour but de le motiver que d’effrayer ses adversaires.

Louis avait ouvert sa fenêtre, ce qui laissait arriver jusqu’à nos oreilles les bruits de vaisselle brisée, de vitre éclatée et d’autres meubles anéantis à mesure que les combattants se retrouvaient littéralement encastrés dedans.

Je connaissais le sentiment que cette scène déclenchait et qui grandissait en moi. C’était de la colère. De la rage. Un tourbillon de flamme qui emporte tout sur son passage : la peur, la faiblesse et la raison aussi. Je voulais sortir. Il fallait sortir.

Trent fit un nouveau vol plané à travers la porte cette fois, et s’écrasa sur la vielle niche, qui se trouva complètement disloquée sous le choc.

- Bordel, mais qu’est-ce qui se passe là-dedans ?

Louis grogna quelque chose en remuant frénétiquement sur son siège. Je le vis hésiter à se détacher pour bondir à son tour, puis se raviser et hésiter encore.

- Ils détruisent ma maison ! Louis !

- Je n’en sais rien ! cria-t-il.

Cela ne lui ressemblait pas de crier ainsi. Pour la première fois depuis que je le connaissais il m’apparut effrayant. Il se retourna d’un coup sec et m’adressa un regard glacial qui me pétrifia sur place :

- Je ne sais pas ce qui se passe, ok ! Alors tais-toi ! S’ils ont besoin, ils appelleront !

- D’accord.

D’accord ? Je n’étais pas d’accord du tout. Mais son regard était si froid que je ne pouvais rien dire d’autre. J’aurais bien rajouté un : « ça va, pas la peine de crier sur moi » mais non, ça ne me semblait pas être une super idée non plus.

A chaque nouveau bruit qui parvenait à mes oreilles je tentais de deviner quel objet en était la cause. C’est comme ça que j’en étais arrivée à supposer qu’il en était fini du living-room, de l’horrible horloge héritée d’une vielle tante, du vase en céramique joliment fleuri et déposé dans l’entrée, des cadres suspendus dans la salle à manger… Au regard de la violence du combat dont j’étais l’impuissante spectatrice, j’étais bien heureuse de savoir mon père et Cathy quelque part ailleurs. Un léger soulagement apaisa quelque temps l’incendie qui gagnait en puissance dans mes entrailles. Mais le répit fut de courte durée.

- Trent ?

La voix affolée de Louis me rappela à la réalité. Le jeune garçon s’était retrouvé une fois de plus dans mon jardin, sans même que je ne sache comment. Enfin, il n’y avait pas d’autre fenêtre éclatée, c’était déjà ça.

Comme pour essayer de rassurer mon chauffeur qui faisait maintenant des bons, Trent se redressa sur ses jambes et lui adressa un sourire. Enfin je crois que c’était un sourire. Une grimace peut-être. Le sang qui recouvrait son visage ne me permettait pas de le distinguer très clairement.

- Everything’s fine !

- Ça n’a pas vraiment l’air, lui fit remarquer Louis, qui semblait s’être un peu apaisé.

Trent agita la main, comme pour nous dire : « C’est de la pacotille ! ». Je le vis lancer un regard à l’intérieur avant de nous sourire de plus belle. Il se baissa un instant, posa ses mains sur ses genoux comme s’il cherchait un appui, souffla un grand coup.

- Let’s go !

Il fit un léger signe de tête et s’élança de toutes ses forces en criant, de plus en plus fort.

- Qu’est-ce qu’il fait là ? avais-je enfin osé demander.

A l’instar de Louis, je me sentais moi aussi plus apaisée. Je ne comprenais vraiment rien à mes sentiments.

- Qui ?

- Trent.

- Il est des nôtres.

- C’est un Enfant de Tellusa, lui aussi ?

Louis ne quittait pas la maison des yeux et ne s’attardait pas à me répondre. Il restait à l’affut, perçant la scène de ses yeux noirs, attendant le moindre petit signe pour bondir.

Je l’imitais mais je ne voyais rien.

Après la rage, l’inquiétude. C’était nouveau. Moins violent, plus paralysant.

Il fallait que je me ressaisisse. Il était hors de question que je reste une minute de plus enfermée dans cette voiture sans rien faire. Je cherchais la poignée pour sortir mais elle était bloquée. Après avoir visualisé mon objectif, je me levai d’un bon pour atteindre l’ouverture automatique des portes. Mon doigt l’effleura mais Louis me repoussa et je m’affalai dans le siège. Après avoir fait le tour de toutes les options qui s’offraient à moi, j’admis dans un grognement que j’étais bel et bien coincé dans ce satané engin.

La colère s’invita de nouveau. Et décampa aussi vite qu’elle était venue. Mais ce va-et-vient complètement inutile m’inspira.

- La Police ! m’écriai-je.

- Et qu’est-ce que tu comptes leur dire ? m’interrogea le conducteur.

Sans prêter aucune attention à la mise en garde de mon soit disant garde du corps, je fouillais toutes les poches de mon jean à la recherche de mon téléphone. Puis celles de ma veste. Rien.

- Un problème ?

- J’ai oublié mon portable à la Citadelle.

Un sourire moqueur passa sur le visage du garçon, juste l’espace d’une seconde, avant que sa concentration face de nouveau disparaître toute émotion. Même mes râles ne semblaient pas l’atteindre

- Arrête de ruminer et écoute plutôt, m’ordonna-t-il.

- Je n’entends rien, grommelais-je.

- Oui, justement.

La porte de la maison claqua et le portail grinça.

- Holly ? murmurais-je.

- Couche-toi !

Avant même qu’il ait fini sa phrase, j’étais déjà à plat ventre sur la banquette. La panique avait déclenché un bourdonnement dans mes oreilles, qui rendait les bruits alentours sourd. Je sentais le sang affluer avec violence dans mes veines.

Un moteur ronfla et la lumière des phares se refléta dans le rétroviseur. La voiture partit en trombe, nous dépassant sans même se rendre compte de notre présence. J’attendis de voir Louis se redresser et me faire signe avant de l’imiter.

A peine ma ceinture attachée, Trent me balança un énorme sac à la figure et s’installa dans la voiture. Je lui lançais un regard de coin, à peine visible. Le garçon était en sueur bien qu’il grelotait au point de faire trembler toute la voiture. Du sang coulait de son nez, de ses oreilles et sur ses yeux sans que je n’arrive à en deviner la provenance.

- Vas-y, souffla-t-il à Louis, en essayant de s’attacher tant bien que mal. Je l’ai.

- Et Jo ?

- Il fait diversion.

Leurs voix étaient indistinctes et trop faible pour que je sois sûre d’avoir compris tous les mots.

Dans un silence plutôt apaisant, nous avions repris la route. Mais, à peine, je m’étais rendue compte que nous avancions de nouveau que le conducteur coupa le moteur et descendit. Il ouvrit ma portière, m’enveloppa dans une vieille couverture qui sentait le renfermé, passa son bras autour de ma taille et me souleva.

Nous pénétrions dans un immeuble, à deux pieds de la gare, et il me porta jusqu’au dernier étage. Trent, qui crachait ses poumons, se débâtit avec la serrure, alluma la lumière qui me brûla les yeux, et dirigea Louis vers la chambre. Arrivée à destination, il me déposa sur le lit, m’aida à sortir de cette horrible couverture et me laissa me reposer.

Cependant, je n’arrivais pas à fermer l’œil. Alors, après avoir regardé les heures passées, je m’étais résolue à me lever. J’ouvris la porte avec précaution, pour ne réveiller personne. Louis dormait à même le sol, dans un duvet, auprès de la grande table où trônait le désiré collier.

De la lumière émanait de la cuisine. Je m’y dirigeai. Une tasse de chocolat, voilà ce qui me ferait le plus grand bien. Trent était debout, le visage encore ensanglanté. Il semblait fasciné par la tasse de thé qu’il tenait entre ses mains écorchées.

Je m’approchai de lui, et m’assis sur le plan de travail. Il posa sa tasse et me prépara ma boisson, sans même que nous échangeâmes un mot. Puis il reprit sa position, et son observation silencieuse.

- Alors toi aussi, tu es un des leurs ? demandais-je en soufflant sur le chocolat, légèrement trop chaud.

- Pas vraiment.

- Comment ça, pas vraiment ? On ne peut pas être « pas vraiment » un Enfant de Tellusa, je te signale.

- Si on peut. Il suffit de ne l’être qu’à moitié.

Le ton du garçon était détaché, vide. Ça ne lui allait pas du tout. Cette nouvelle facette de sa personnalité me dérangeait. Il ne ressemblait plus du tout à celui que je connaissais.

- Moi aussi je suis un hybride, précisa-t-il. Mi Enfant de Tellusa, mi terrien.

La tasse glissa de mes mains et s’éclata au sol. Le bruit de verre brisé réveilla Louis qui bondit jusqu'à nous. Son regard passa sur le garçon, puis sur moi, avec une lenteur extrême. J’étais estomaquée par cette nouvelle et Trent toujours obnubilé par sa tisane, si bien que ni lui ni moi n’avons bougé le moins du monde. Louis roula des yeux tout en soupirant. Il disparut et revint au bout de quelques secondes avec une pelle et un balai.

Je me ressaisis et l’aidai à ramasser les éclats de porcelaine, tout en laissant mon esprit s’agiter. Les questions s’affolaient dans mon cerveau mais aucun semblant de phrase ne sortait de ma bouche.

- Mais…toi…Jo…

- Joseph m’a sauvé. Thomas m’a recueilli et avec Louis, ils m’ont élevé. Les aider, c’est le moins que je puisse faire.

C’était trop. Mes tempes étaient en feu, et je perdais le contrôle de la situation. Un sentiment étrange s’empara de moi. Un sentiment que je ne connaissais pas. Ce n’était pas vraiment de la colère mais cela avait le même goût. C’était moins violent mais tout aussi brûlant. C’était comme si tout allait trop vite, que ça m’emportait malgré moi. J’étais comme prisonnière d’un torrent, qui venait de je ne sais où et qui finissait sa course dans un endroit tout aussi inconnu. Il fallait que je me calme. Il fallait que je me calme.

Je n’étais pas sûre de vouloir en savoir davantage. Trent se tourna vers moi, sonda mes yeux avant de m’expliquer calmement :

- Je vivais sur la côte anglaise dans un petit village tranquille avec mes grands-parents maternels. Ma mère étant morte en couche, ils étaient la seule famille que je n’avais jamais connue. Mais je n’étais pas le plus facile des petits garçons. Un jour, Amélia et les autres ont attaqué, sous les ordres du Président. La principale mission de l’Escorte, ici, sur Terre, est de faire disparaître toutes preuves de l’existence des Enfants de Tellusa…Ils cherchaient à me tuer. Mais comme souvent, je n’étais pas à la maison.

Il s’arrêta une seconde, prisonnier de son souvenir.

- Il y avait des flammes gigantesques. On pouvait les voir à plus d’un kilomètre. J’ai accouru et j’ai retrouvé mes grands-parents inconscients sur le gazon. C’est Joseph qui les avait sauvés. Et puis, il avait laissé la maison brûler pour effacer toutes traces de mon existence. Comme ça, ils n’étaient plus en danger. Il leurs a aussi effacé la mémoire. Pour eux, je n’avais jamais existé.

- C’est cruel, soufflais-je.

- Non. Amélia me croyait mort, je devais disparaître. C’était le seul moyen pour qu’ils ne souffrent pas.

Son sourire enfantin avait fait son retour, ce qui ne collait pas à la situation et m’agaçais au plus haut point. A croire que je ne savais pas ce que je voulais ! Je lâchai les morceaux de tasse que je tenais. Trop, c’était trop. Maintenant c’était de la colère. De la colère et de la souffrance confondue.

- Alors tu savais ? Depuis le début tu savais qui ils étaient et ce qu’ils me voulaient ? lui demandais-je en me relevant, pour lui faire face. Tout ce temps tu n’as fait que mentir.

C’était davantage une supplication qu’une affirmation. Il redressa la tête et plongea son regard dans le mien :

- Jo m’a envoyé pour te protéger, se défendit-il.

Ma main brisa l’air et claqua sa joue déjà bleue. Je mordais ma langue afin d’étouffer tant bien que mal ma colère. Je m’imaginais bondir sur Trent, le saisir à la gorge et serrer. Serrer de toutes mes forces. Alors je le sentirais se débattre, suffoquer. Et je resserrerais mon étreinte davantage pour le sentir agoniser. Et, au vu de son état, cela semblait facile. Un peu trop.

En sentant les larmes monter, je fis volte-face et courus m’effondrer dans la chambre.

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