Chapitre 23 : Le Collier des Lamentations

9 minutes de lecture

Je n’étais jamais allée chez Trent. Il occupait un petit studio en face de la gare. Son appartement était très chaleureux, terriblement spacieux, le tout décoré dans un style très moderne. Tous les meubles était noirs, les murs gris surplombés de tableaux rappelant d’une façon ou d’une autre l’Angleterre, et les appareils, tous dernier-cri. J’étais particulièrement sous le charme de son canapé d’angle situé juste en face du plus grand écran plat que je n’avais jamais vu !

Louis m’apporta un plateau repas qu’il déposa sur la petite table. Sans même prendre la peine d’examiner son contenu, je le repoussais le plus loin possible et l’oubliais aussi vite que je le pus. Le jeune homme soupira, le récupéra et disparut dans la cuisine.

- Je t’ai préparé des affaires. Tu devrais aller prendre une douche, souffla Trent.

Je fis mine de ne rien avoir entendu et me concentrais sur un documentaire animalier. Une nuit était passé, certes. Mais je n’en étais pas encore au point de lui pardonner son mensonge. Ou plutôt son non-dit. En tout cas, j’étais toujours en colère. Affreusement en colère. En plus de ça, il avait carrément saccagé ma maison. Qu’est-ce que je dirais à Cathy, moi ? Je préférais ne pas y penser pour le moment et me concentrer sur les images légèrement répugnantes d’un lion en train de dépiauter une pauvre gazelle. Allez savoir pourquoi, ça me donnait la nausée mais j’étais tout de même captivée.

- Je n’y comprends rien, grogna Louis.

Pour effacer sa présence, j’augmentais le volume de la télé, mais il grogna de plus belle. Je fis entendre mon mécontentement par un raclement de gorge mais les deux garçons ne me prêtaient aucune attention, préférant débattre sur l’absence totale d’information concernant ce fichu médaillon, et m’empêchant d’entendre quoique ce soit.

La voix de Joseph résonna dans ma tête, tel un murmure à peine audible. Comment pouvait-il faire ça ? Je secouais la tête frénétiquement. Je refusais de croire qu’il était capable d’une telle chose. La télépathie, non mais voyons ! Je devenais folle, c’était évident.

- Ils ne nous servent à rien tous ces bouquins !

Dans un élan surhumain, je tentais un regard par-dessus mon épaule. Louis tenait sa tête entre ses mains comme si ses deux parties du corps luttait l’une contre l’autre. Des dizaines de livres étaient éparpillés sur la table, tous entrouverts. Trent, debout, faisait les cents pas, faisant glisser son regard de l’un à l’autre. Il ne savait plus par où continuer. Ou par où commencer.

- Dans le vieux grimoire blanc, leur indiquai-je. D’après Jo.

La tête de Louis gagna visiblement le combat et il la laissa s’écraser contre la table dans un bruit assourdissant qui m’extirpa une grimace de douleur.

- Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? me demanda Trent.

Dans un haussement d’épaule je le maudissais en silence, l’assassinant de mon regard le plus évocateur tandis que Louis redressait les yeux vers moi, si lentement que je me demandais s’il y arriverait un jour. D’horribles traits noirs cernaient ses deux globes injectés de sang qui lui servaient d’yeux. Depuis combien de temps n’avait-il pas dormi ?

- Le grimoire blanc, murmura Trent avant que son visage s’illumine de mille feux.

Son visage bleui par les ecchymoses disparut le temps d’une seconde derrière son sourire gigantesque. Comment pouvait-il avoir tant d’énergie après s’être pris une raclée pareille ? Il avait fini par redevenir le Trent que je connaissais : insouciant et béat à souhait.

- Le Collier des Lamentations. Il s’agirait d’une sorte de pièce maîtresse qui permettrait au Voile de tenir en place, nous expliqua Louis qui tenait l’énorme livre.

Trent bondit, visiblement très enthousiaste et le lui arracha, avant de vérifier par lui-même ce qui y était inscrit.

- Le Voile ? demandai-je

- Le Voile qui sépare Tellusa de cet univers-ci et qui leur permet de coexister sans se détruire mutuellement.

Je le dévisageais perplexe. Louis plissa des yeux comme s’il cherchait à deviner mes pensées secrètes.

- Mais ça n’a aucun sens, continuais-je avant de lui laisser le temps de mener à terme sa tâche. Pourquoi Naïwenn aurait-elle volé ce qui permet de maintenir le Voile ?

Je n’étais certaine que de deux choses concernant Naïwenn. La première c’était qu’abandonner Jo avais été affreusement douloureux pour elle, au point où cela hantait mes rêves, et la deuxième, c’était qu’elle aimait par-dessus tout sa terre et son peuple. Elle ne l’aurait pas conduit à la catastrophe.

Louis semblait partager mon scepticisme. Il haussa les épaules en signe d’ignorance.

- Ce n’est pas tout, nous coupa Trent qui continuait sa lecture en se déplaçant le long de la pièce. « Il serait saugrenu de croire que seul le Collier des Lamentations tiendrait le Voile au summum de son potentiel. Pour se faire, il lui faut la nécessaire présence d’un corps organique (la Larme) suffisamment puissant pour alimenter cette source d’énergie. Tout comme le Collier des Lamentation, ce corps organique revient à la charge du premier fils originel, autrement nommé, première lignée, qui prendra soin de garder ce secret. »

- Un être vivant ? m’offusquai-je.

- Un esclave, oui ! s’indigna Trent, qui n’arrivait pas à décrocher son regard du livre. Un esclave de ce foutu collier !

La nouvelle m’avait assommée. J’avais abandonné les garçons à leur débat, pendant que je relatais les faits devant la télé. Et Morphée avait fini par m’emporter.

Joseph hurla. Je tentais de le réveiller en secouant avec précaution son petit corps fragile, mais les ténèbres le retenaient. Je passai mes mains dans les petits filaments blancs, seul souvenir de sa magnifique chevelure brune.

- Joseph, maman est là. Tout va bien.

Il ouvrit les yeux, terrorisé.

- Ce n’est rien, le rassurai-je. Ce n’est qu’un cauchemar.

Il se redressa et se pelota dans mes bras. Je sentais ses larmes couler le long de mon cou. Je tentais de faire disparaître son angoisse en lui inspirant la plénitude, sans effet. Il attrapa ma main et me fit partager son souvenir.

Une odeur de roussi chatouilla mes narines. L’odeur désagréable me sortit d’un rêve apaisant, comme je n’en avais pas fait depuis longtemps. Un souffle d’air chaud passa sur ma peau et la brûla, ce qui me fit crier. J’ouvris les yeux. Je ne reconnaissais pas les lieux. Des flammes d’un rouge flamboyant consumaient tout autour de moi. Je me redressais et une douleur insoutenable provenant de mon bras électrisa tout mon corps. Encore à semi-inconscient je l’examinais. Mon bras était recouvert de cloques, tout comme une partie de mon torse. Seule la surface de ma peau protégée par le Collier des Lamentations avait été épargnée. La douleur, atroce et aigüe, atteignait mes organes. Je me redressais et contemplai l’abominable spectacle. Des corps calcinés et méconnaissables gisaient à mes côtés. Tout avait était consumé, décimé, comme si une bombe avait explosée. A mes pieds, une auréole de terre me fit comprendre que j’étais à l’origine de la détonation.

Le spectacle de désolation disparu et je me retrouvai de nouveau dans la chambre du petit garçon. Je refoulais ma panique, la rendant invisible.

- Est-ce que je vais les tuer ? me demanda-t-il, dans un sanglot sans larmes. Je vais tous vous tuer ?

- Non, mon chéri, lui répondis-je. Bien sûr que non. Ce n’était qu’un cauchemar.

Je priais silencieusement pour que cela soit vrai.

Il me fallut le son des carillons pour que je me réveille et comprenne que les deux garçons m’avaient laissée seule, sans que je ne m’en aperçoive. Alors d’un geste je saisis la télécommande et me noyai dans un nouveau silence. Je n’étais pas certaine d’avoir compris ce souvenir. Il était si horrible et dur, qu’il devenait déjà flou. Joseph avait rêvé de la fin du monde, c’était tout ce dont je me souvenais.

Je me concentrais sur les sons alentour, ceux qui provenaient de la rue. Je reconnus tout de suite la musique du voisin, horrible soit dit en passant, et les klaxons dans la rue, le train sur le départ, les voyageurs pressés et les annonces de la « dame SNCF », les chiens aboyant, les chats miaulant…J’attendais le bruit de la porte du hall et les pas dans l’escalier, les pas lourds. Mais rien. Les deux comparses ne semblaient pas vouloir rentrer.

En grognant de fureur, je me redressais, éblouit par le soleil au zénith. La tête me tournait. Trop pour que j’arrive à retrouver un semblant d’équilibre alors, en titubant, je rejoignis la cuisine. Le plat que Louis m’avait préparé était entouré de cellophane et déposé là, sur le bar, bien en évidence.

Des œufs brouillés et de la confiture. Mon petit déjeuné préféré.

Un mot y était joint :

On est parti chercher des infos ailleurs.

On a préféré te laisser dormir.

Tu es en sécurité ici, mais ne bouges pas, ok ?

T.

(Ps : Le Collier des Lamentations, finalement ce n’est pas terrible comme nom !)

Le petit smiley qui accompagnait le message me fit sourire. Mais, en roulant des yeux, je me ressaisis : il était hors de question que je lui pardonne si facilement.

En oubliant les hauts-de-cœur que la vision de la nourriture avait déclenché, je saisis une petite bouchée et l’emmena à ma bouche. C’était d’abord difficile de mâcher mais bientôt les forces revinrent et le dégout disparut, si bien que je dévorais, et l’assiette, et la moitié du frigo, sans même faire attention à ce que j’attrapais : du lait, des tomates, du pâté…tout y passait.

Une fois suffisamment rassasiée, je me dirigeais vers la salle de bain. Trent avait déposé mon jean préféré avec ma chemise à carreaux fluo et mon débardeur vert.

Les affaires dégageaient une odeur familière : celle du jasmin. Cathy utilisait toujours le même adoucissant pour la lessive.

Je m’arrêtais une seconde pour plonger mon visage dans cette odeur, et les souvenirs remontèrent à la surface : Cathy en train de cuisiner ses pancakes, le bruit de ses talons qui claquaient à chaque pas qu’elle faisait, son sourire si délicat qui contrastait avec son regard si inquiet, la voix de mon père dans son bureau, en pleine conversation téléphonique en je ne sais quelle langue, ma chambre…Ces souvenirs était encore trop douloureux. Personne ne m’avait rein dit mais cela me semblait évident. Une fois qu’Alec aurait le collier, il n’aurait plus besoin de moi. Alors, les membres de l’Escorte viendraient, comme ils l’avaient fait pour Trent. A la maison, ils sauraient où me trouver. Je ne pouvais pas rentrer, pas maintenant. Et le sac que Trent m’avait balancé, remplit de toutes mes affaires, n’avait fait que valider cette idée.

J’étais resté sous la douche de longues minutes, pour être sûre d’avoir chassé toute odeur de transpiration, mais les deux garçons n’étaient toujours pas là. Je jetais un regard rapide vers le téléviseur mais une fulgurante migraine me fit comprendre que ce n’était pas une super idée. Alors faute de mieux, je m’installais sur la table de la salle à manger et me plongeais dans les lectures abandonnées par les garçons, comme un tas de tout autre chose : des crayons, une loupe et bien sûr, le fameux collier.

Une abomination.

Une fois que mon cerveau me fit entendre qu’à la prochaine ligne incompréhensible il exploserait, je décidai, vaille que vaille, d’étudier d’un peu plus près le pendentif imposant.

L’énorme pierre verte qui le surplombait était taillée en forme de larme. Et les gravures sur le métal semblaient représenter des dizaines de petites fleurs en tout genre semblables à celles de mon tatouage. Jo m’avait donné le nom de chacune d’entre elle mais je ne m’en souvenais pas. Chassant son visage qui avait pris vie dans mon esprit, je passais mon doigt sur ces minuscules reliefs reliés entre eux par une liane qui s’entremêlait en une sorte de bosse immonde au dos du médaillon.

- Jo…, soufflai-je

Mes efforts étaient vains. Il était bel et bien ancré dans mes pensées, comme incrusté. Je me demandais où il avait bien pu passer. Il s’était sauvé comme un voleur pour éloigner Holly mais il ne nous avait plus donné signe de vie. A cette idée mon esprit s’emballa : et s’il était blessé ? Et si Holly l’avait tué ? Pour chasser la boule qui écrasait mes entrailles, je m’efforçais de le visualiser de nouveau dans sa boîte en verre, affrontant Louis. Il était si rapide, si fluide, si fort… C’était impossible qu’Holly prenne le dessus. Inimaginable.

Une sensation particulière sous mon index m’extirpa avec soulagement de mon imagination qui m’entrainait à toute vitesse. Quelque chose s’emblait inscrit. En attrapant la loupe de l’autre main, je forçais sur mes yeux pour essayer de voir quelque chose. Ce qui, si on oubli l’insupportable douleur qui s’était immiscée dans mon front, eût l’effet souhaité :

Comme une larme à l’océan, un Homme au monde.

Cette phrase me semblait familière mais je n’arrivais pas à me rappeler d’où je la tenais. Pourtant, je savais la réponse évidente.

J’écrivais ces mots sur un bout de papier pour être sûre de ne pas les oublier et pour pouvoir exposer ma trouvaille lorsque les garçons reviendraient.

Annotations

Vous aimez lire L.O.Khâli ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0