Chapitre 24 : un destin plus tragique encore
Un bruissement dans la serrure me fit sursauter : quelqu’un allait entrer.
En une fraction de seconde, j’enfilai le médaillon autour du cou en prenant soin de le dissimuler sous la chemise.
L’étranger luttait avec la serrure qui ne voulait pas lui obéir. Je profitai de l’occasion pour saisir un couteau tranchant et me dissimulai derrière la porte. Mon cœur battait si fort qu’il résonnait dans mon ventre. Je sentais le sang jaillir dans mes veines avec une puissance nouvelle, ce qui était étrangement agréable.
Après des secondes interminables de silence assourdissant, j’entendis un léger cliquetis. La poignée tourna et la porte s’ouvrit. A peine tout d’abord. Puis un souffle de soulagement et dans un grincement strident, elle s’ouvrit complètement. L’homme entra d’un pas décidé. Je ne lui laissais pas le temps de se retourner que je lui sautais dessus, l’arme en premier, les yeux clos par la terreur. Mais il bifurqua en un éclair, évitant l’impact. Et en une fraction de seconde, il me saisit la main et me plaqua contre le mur. Dans le choc, le couteau tomba, hors de portée. Sans même prendre le temps d’ouvrir les yeux, je lançais mon genou en direction de son entre-jambe. Mais il arrêta mon geste avec son pied.
« Oh, Jessy ! »
La voix dans ma tête me prise au dépourvu. Il desserra son emprise et j’osais enfin le regardais en face. Ses longs cheveux ébouriffés cachaient les trois quart de son visage, si bien que je ne pouvais que deviner ses yeux, ses magnifiques yeux qui me rassuraient. En les cherchant au milieu de tous ces fils blanc j’entrevis un léger sourire sur ses lèvres.
Je me jetais sur lui et le poussais violemment. Il ne bougea pas d’un millimètre, ce qui m’énerva davantage.
- C’était en quel honneur ça ? demanda Joseph.
- J’étais morte de peur, m’écriais-je. Cela t’aurait dérangé de donner des nouvelles ?
Il attrapa mon bras et me tira jusqu’à lui. Il dégageait une légère odeur d’essence et de fumé, qui cachait son parfum léger et fruité. La pesanteur sembla se dérober sous nos pieds.
Je voulais le repousser. Il me fallait de l’espace. De l’espace et beaucoup de volonté pour ne pas me laisser emporter. Mais, comme s’il avait deviné mes pensées, il renforça son étreinte, maintenant mon visage contre son torse, dans lequel son cœur semblait se calmer.
« Ne pars pas. »
- Arrête de faire ça, lui ordonnais-je.
- Quoi ?
Même si je ne pouvais le voir, j’étais persuadée que son visage était fendu par un sourire jusqu’aux oreilles.
- D’entrer dans ma tête.
« Tu parles de ça ? »
- Tu n’as qu’à le décider, ajouta-t-il.
- Je le décide.
Mon ton manquait cruellement de conviction, ce qui déclencha un petit rire chez Joseph qu’il tenta de dissimuler derrière un raclement de gorge. Mais je ne pouvais pas lui en tenir rigueur.
Un léger picotement autour du cou commençait à me gêner réellement. Je tentai une nouvelle fois de m’éloigner mais Jo me tenait si fort que je ne pouvais pas bouger et très vite, le picotement se transforma en une légère brûlure.
- Lâche-moi, s’il te plait.
- Ça ne me plait pas. Mais si c’est ce que tu veux…
Au premier relâchement de sa part je bondis le plus loin possible. Je ne pourrais pas résister à l’appel de ses bras s’il se tenait trop près.
Son regard s’assombrit. Il me défia quelques instants, avant de se détendre.
- Il n’est pas là, la demi-portion ?
La demi-portion ? Trent, probablement.
- Hum, répondis-je.
Joseph me regarda, l’air amusé.
D’un pas nonchalant il se dirigea vers le réfrigérateur, attrapa deux oranges avec lesquelles il s’amusa à jongler, et s’affaissa de tout son long dans le canapé avant de les avaler. Tout comme Trent, son visage relatait quelques traces du combat de la veille, mais rien de comparable. Juste quelques égratignures et un gigantesque cocard, qui lui donnait l’air encore plus sauvage qu’à l’accoutumée. Plus dangereux aussi.
- Un coup pour oui, deux coups pour non. Il est parti ? me demanda-t-il.
- Hum.
- Où ?
- Hum hum.
Il s’arrêta une minute pour me dévisager.
- Ce n’est pas une réponse correcte.
Il sonda ma réaction.
- Tu ne m’as laissé que deux choix de réponse, rétorquai-je dans un demi-sourire.
- Hum. Tu sais où ils sont ?
- Hum hum.
Il s’esclaffa et m’envoya un coussin dans la figure. Je le rattrapai avant qu’il ne tombe au sol et le lui renvoyais.
Des pas sourds résonnèrent dans les marches de l’immeuble. Jo avait bondi pour s’interposer entre moi et la porte. Il me poussa avec violence et je m’écrasai quelques mètres plus loin. En essayant de lutter contre les titubances, je me redressais en braillant toutes les injures qui voulaient bien sortir de ma bouche.
Mickael enfonça la porte, Amélia sur les talons.
Elle était plus petite que ce que je m’étais imaginée. Elle avait l’air minuscule à côté de Joseph qui lui faisait face. Elle arborait la même chevelure cuivrée et bouclée que son frère, le même nez aquilin et de petit yeux gris, à vous faire froid dans le dos.
- Je te remercie, dit-elle à Jo. Tu nous a conduit tout droit à elle.
Le garçon se raidit, prêt à bondir au moindre mouvement de la part des intrus.
- C’est amusant n’est-ce pas ? ajouta-t-elle. Après l’avoir protégée, suivie, emmenée, nous avoir affronté, quoi, trois fois, et jusque chez elle, tu es finalement celui qui la conduira à sa perte.
Joseph serra les points ? Son regard se durcit et un frisson me parcourut.
- Alors c’était vous ce matin là…soufflai-je
Tout prenait du sens. Ils étaient mes cambrioleurs. Les trois. Et la réaction de Louis lorsqu’il m’avait raccompagnée après mon petit malaise dans le tram, son air si inquiet, et les bleus sur le visage de Jo que j’avais remarqués au cimetière…Se pouvait-il que ce soit eux, là encore ?
Les trois individus ne prêtaient aucune attention à mes jérémiades.
- Ne vous avisez pas de toucher à un seul de ses cheveux ou…
- Ou quoi ? Vas-y Joseph, dis-nous ? Qu’est-ce que tu compte nous faire ?
Elle longea le mur sur lequel elle faisait courir ses doigts tandis que Mickael tenait tête à Jo, le regard remplit d’excitation. Ce dernier recula d’un pas pour s’approcher un peu plus de moi pour mieux me protéger. Ma main effleura sa peau, encore plus brûlante qu’à l’accoutumée.
- C’est bien ce que je pensais. Tu me déçois Jo. Tant d’efforts et de temps gâchés pour si peu. Quelle tristesse, soupira-t-elle. Ecarte-toi maintenant !
- Ou quoi ? Tu me tueras ?
- Si c’est nécessaire.
- Le Président n’aimerait pas ça, rétorqua-t-il avec une pointe d’amertume dans la voix.
- Mais il n’est pas là.
Amélia bondit sur Jo qui s’écroula au sol. Mickael courut, enjamba les deux autres et atterrit juste sous mon nez, en laissant échapper un sifflement de serpent. Prise au piège contre le mur, je tentais de refouler la peur pour me concentrer et trouver une échappatoire au plus vite.
Mon regard se posa tour à tour sur mon adversaire et sur les deux autres, toujours au sol. Jo repoussa violemment la jeune femme en direction de la table de salon. Sa tête heurta le rebord et elle ne pût se relever à temps. Le garçon se jeta à son tour, la saisit à la gorge, et lui fracassa la tête contre le verre, qui se brisa en mille morceaux.
Le rire abject d’Amélia me parvint tandis que je m’élançais sur son frère, poussée par une excitation nouvelle. J’évitais un premier coup de poing en me penchant, puis je me déportais sur le côté pour contrer un coup de pied. En se déportant à son tour pour éviter le coup que je lui rendais, il dégagea un passage dans lequel je m’engouffrais.
Trop lente.
Mickael me saisi par le bras et m’éjecta contre le mur. Un craquement sinistre se fit entendre et une brûlure se propagea dans mon crâne.
Paralysée par la douleur, je ne pouvais pas me relever. Mon agresseur contourna les deux autres qui se rendaient coup pour coup, me maintint immobile au sol et pressa ses doigts autour de ma gorge. Je n’arrivais plus à respirer et ma vue se troubla. Je tentais d’abord de le repousser avec mes pieds mais assis sur moi, il m’empêchait de me débattre. J’essayais à mon tour de lui saisir le cou. J’atteignis une veine pour la presser mais les forces me manquaient.
Des petits points noirs masquaient ma vue, ce qui ne trompait pas. Il ne me restait que peu de temps.
A tâtons, je trouvais rapidement son nez, puis son œil. Je descendis d’à peine un centimètre et enfonçais mon ongle à l’endroit même ou j’avais planté le bout de verre quelques jours plus tôt. Le garçon hurla et relâcha son étreinte.
Ma tête roula sur le côté. Cherchant à reprendre du souffle, j’observais Jo en pleine lutte. Assis sur la jeune femme, il frappait avec un tel acharnement qu’il ne se rendait même pas compte qu’elle s’était évanouie.
- Jo…soufflai-je, alors que je sentais Mickael bouger à mes côtés.
« Aide-moi, avais-je repris en pensées. »
Il bondit et se rua sur l’autre garçon. J’entendais les os du rouquin se briser sous les coups du blondinet, littéralement déchainé.
« Lève-toi. »
Je fermai les paupières et me concentrais sur la voix de mon frère qui résonnait dans ma tête.
« Je ne peux pas, lui répondis-je. »
« Tu n’as rien. Lève-toi. Cours. Je vais t’aider. »
Je déglutis bruyamment et tenta d’éclaircir ma vue en clignant plusieurs fois des paupières. C’était mieux mais ce n’était toujours pas terrible. Je sentis peu à peu la douleur disparaître et un nouveau regain de forces m’aida à me lever.
Doucement d’abord et toujours plongé dans un brouillard épais, je me dirigeai vers la porte mais Joseph cria alors je fis volte-face sans chercher à comprendre. A l’opposé de la pièce j’aperçus la terrasse et son escalier de secours.
Une nouvelle bouffée d’énergie infiltra mon corps jusqu'à m’emplir toute entière et faire disparaître les derniers signes d’étourdissement. Je filai maintenant, contournant le corps de Mickael étendu sur le sol, Joseph à mes trousses. Je dévalai les trois étages le plus vite possible, en m’accrochant de toutes mes forces aux vieux barreaux rouillés. A quelques centimètres du sol, je sautai et attendis que mon frère me rejoigne.
Une détonation se fit entendre. Le garçon, qui se trouvait encore au premier étage, sauta, et bondit sur moi. Je m’écrasai au sol et il protégea mon corps avec le sien. Les fixations qui maintenaient l’échelle sautèrent, et dans un couinement elle s’écrasa à une vitesse vertigineuse sur nous.
- Jo ! hurlai-je en agitant mes mains vers le ciel dans l’espoir d’arrêter le bout de métal.
- Dieu soit loué, tu n’as rien, murmura-t-il.
Ecrasé par le tat de ferraille, il s’affaissa un peu plus sur moi.
Le collier autour de mon cou chauffa brusquement. Je tentai de l’enlever mais j’étais pris au piège sous Joseph. Un rayon lumineux, d’un sublime éclat vert, s’échappa du bijou. Un bourdonnement sourd vibra dans mes oreilles et j’aperçus des milliers de filaments qui s’étirèrent de l’émeraude pour aller courir sur la peau du garçon. Ils l’enveloppèrent bientôt, comme s’il était pris dans un cocon.
Dans un sursaut de forces, Jo tenta de soulever les débris qui nous écrasaient. J’entendis le couinement du métal qui se froissait. Lorsque l’espace fut suffisamment dégagé, le garçon se poussa sur le côté. Et la lumière d’où émanaient les filaments disparut aussi rapidement. Un bout de l’échelle était planté dans son bras, d’où giclait une énorme quantité de sang. L’odeur de sang associée à celle de la rouille me donnait la nausée mais je ne devais pas flancher. Il fallait arrêter l’hémorragie. Et vite.
J’arrachai un bout de ma chemise, et tout en restant couchée – la ferraille m’empêcher de me tenir assise- je me glissai jusqu’à lui.
- Ne me touches pas, cracha-t-il.
Dans un grognement morbide il se décala davantage, creusant un peu plus la distance entre nous.
Je venais tout juste de comprendre ce qui se passait :
- C’est à toi qu’il répond, le collier. Tu es la Larme. Ce n’est pas lui qu’ils veulent. C’est vous deux, réunis. Et tu le savais. Tu l’as toujours su.
Les yeux écarquillés, Joseph niait frénétiquement. Je sentais la panique du garçon me consumer.
- Et tu es persuadé que tu détruiras Tellusa au lieu de la protéger.
Sa crainte était infondée. Il ne pourrait jamais faire une telle chose.
- Je l’ai vu, confessa-t-il. S’ils arrivaient à nous rassembler, la puissance du collier me consumerait.
- Ce n’était qu’un rêve, tentais-je à mon tour de le rassurer.
- Je suis la Larme. Les Larmes voient ce genre de choses. Les Larmes voient l’avenir.
Je scrutais son regard bleu cristallin. Avec délicatesse je tendis la main vers sa joue où coulait une larme.
- Je ne crois pas à ces choses-là, avouais-je.
Il arrêta mon geste avec violence et son regard se durcit.
- Il y a beaucoup de choses que tu ignores.
- Mais je sais qui tu es, ripostais-je.
- Non, Jessy, tu n’en sais rien. Tu n’as aucune idée de ce dont je suis capable.
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