Chapitre 28 : Tombés du ciel
Alec m’avait offert la vérité avant de décider de m’abandonner dans ma geôle, où je finirais de m’éteindre complètement. C’étaient les mots qu’il avait utilisés. Sa voix résonnait encore dans ma tête : « Cette pauvre petite chose si fragile et tellement brillante. Regarde-là qui s’éteint et s’éteint encore ». Mais je n’avais jamais été brillante, au mieux une petite lueur.
J’avais tenté de parler à Joseph, en pensées. Pas pour qu’il vienne me chercher, seulement pour l’entendre, être certaine qu’il allait bien. Pour savoir la vérité et m’excuser de l’avoir oublié. Mais je ne savais pas comment m’y prendre. C’était toujours lui qui venait lire dans ma tête, sans que je lui demande quoi que ce soit. Et je n’aimais pas vraiment ça, d’ailleurs. Mais à cet instant, pourtant, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’il m’entende, me réponde.
Mickaël se tenait debout devant moi, un sourire sur les lèvres. Il déversa une bouteille d’eau sur le sol. Je regardais les gouttes entrer en contact avec le goudron, rebondir et s’éclater, comme mes pensées qui s’estompaient à peine amorcées. Il pensait me torturer, à sa manière, mais j’étais déjà perdue, quelque part dans les bas-fonds de ce qui me restait de conscience.
J’avais enfoncé ma tête dans mes genoux et me focalisais malgré moi sur le bruit des bulles qui explosaient, un bruit lointain et rassurant. Il ne me semblait pas que je m’étais endormie, mais si c’était le cas, ça ne pouvait être qu’un cauchemar. Toute cette histoire. Et c’était une bonne chose. Seuls les vivants font des cauchemars. Enfin, je l’espérais.
Le bruit avait cessé.
Je relevai les yeux vers mon bourreau. Son regard était empli de rage. Il m’attrapa par la gorge et me souleva. Je n’arrivais plus à respirer. J’ouvris la bouche pour tenter tant bien que mal d’y faire entrer de l’air, mais sans effet. Une vague de chaleur brula mes poumons et mon cœur accéléra dangereusement. Je lui griffais la main mais il ne ronchonna pas et resserra sa prise. Je tentais d’atteindre son visage, mais la douleur fut plus grande quand je lâchais son bras. Je ne pouvais pas tenir.
- On l’attrapera, ton cher Joseph. On lui montrera tout ce qu’on t’a fait. Ah oui, je vais aimer ça !
Il siffla, comme un serpent. Je balançais mes jambes pour le frapper, sans effet.
- Et puis on recommencera. Encore et encore. Jusqu'à ce qu’il nous supplie d’arrêter. Et on continuera encore, jusqu'à ce qu’il ne pense plus qu’a ça. Jusqu'à ce qu’il veuille mourir. Et même là, on continuera, encore et encore.
Mickaël me murmurait à l’oreille ces horribles mots. Et c’est cela qui me mit en colère. Pas ces pensées, ni ses mots. Son chuchotement, son sifflement et sa jubilation. C’était une colère immense. Plus grande que ce qui m’était possible de ressentir à ce moment précis. Plus grande que ce que je ne pouvais jamais ressentir.
Je hurlais. Un hurlement sourd, étouffé par le manque d’oxygène. Une brume rougeâtre m’enveloppa avant de le frapper. Il lâcha prise et fut projeter dans les airs. Le rouquin s’écrasa contre le mur et s’effondra au sol. J’avais glissé moi aussi.
Je reprenais mon souffle par hoquets. Mais Mickaël se relevait déjà. Il secoua frénétiquement la tête comme pour remettre ses idées en place et se rua vers moi. Il me saisit une nouvelle fois par la gorge et serra de toutes ses forces. Je tentais de me focaliser sur cette colère redoutable mais rien ne se produisit.
Je vis quelque chose de gris glisser sur la gorge de garçon. Puis une giclée rouge qui m’éclaboussa. Ses yeux s’écarquillèrent, ses mains relâchèrent leur prise et Mickaël s’écroula au sol.
Un asiatique se tenait debout devant moi. Il essuya la lame de son épée sur le cadavre qui gisait à nos pieds.
- Amé, enchanté ! me sourit-il.
- Jessica Lucas, lui répondis-je mécaniquement.
Ma voix n’était qu’un chuchotis.
- Enchanté d’enfin vous rencontrer, Jessica Lucas. Joseph ne fait que de parler de vous !
Il rangea son arme dans l’étui accroché à son dos.
- Tu m’as sauvée, murmurai-je.
Le garçon leva les yeux vers moi une seconde.
- Vérifions ça.
Il donna un coup de pied au corps de Mickaël. Je vis la cicatrice rouge et boursouflée laissée par l’arme. Du sang s’écoulait toujours de la fente.
- Il semblerait que oui, ajouta-t-il.
Mon corps frémit tout entier et je frappais le cadavre à mon tour. Je visais les côtes et les cognais de toutes mes forces.
- Il est mort, m’indiqua Amé.
- Je sais, dis-je les dents serrées tandis que je continuais de le marteler.
- Ok. Ça suffit, me répondit-il alors qu’il m’écarta de force du cadavre.
Par reflexe je me débâtais.
- C’est bon, souffla-t-il. C’est bon.
Je me laissais m’écrouler dans les bras de cet inconnu, tout droit tombé du ciel, et qui venait de me sauver.
- Ça va aller ? me demanda-t-il, en tentant maladroitement de se dégager.
Je secouais mécaniquement la tête de haut en bas pour replacer mes idées.
- Bien, parce que les autres m’attendent.
Il glissa le long du mur pour se dégager complètement de mon contact. Il s’élança mais fit volte-face dans une pirouette.
- Les autres ? l’interrogeais-je.
- Tu devrais rester là.
Il fronça des yeux en inclinant la tête, fis une nouvelle pirouette et s’élança dans le couloir.
Discrètement, je le suivais en longeant les murs pour ne pas me faire repérer. Arrivée au premier carrefour, j’osais jeter un coup d’œil rapide dans le couloir. Ils étaient plusieurs mais je ne savais pas combien. Et ils étaient tous trop occupés à se défendre pour s’apercevoir de ma présence. Je les observais donc plus longuement.
Il y avait Amé, une fille métisse, et Louis. Mon cœur s’emballa dès que mes yeux se posèrent sur lui. J’étouffais ma joie en me mordant la lèvre. Des cadavres recouvraient le sol du couloir, témoins de leur passage. J’en comptais des dizaines. Mais je ne me souvenais pas avoir entendu le moindre bruit d’affrontement. Ça avait dû être rapide. Extrêmement rapide.
Les trois compères luttaient contre Alec.
La jeune fille, une liane à la main, se jeta sur lui. Mais il croisa son regard et elle s’immobilisa. Louis en profita pour attaquer à son tour mais le Président détourna son regard pour le bloquer. La jeune fille, libérée de son emprise, lança son arme. Alec agita la main pour arrêter Amé qui avait attaqué en même temps. Puis il laissa la liane le toucher. Il hurla mais attrapa l’extrémité. Il tira à lui la jeune fille. Le Président détourna les yeux une fraction de seconde sur elle et Louis en profita pour le frapper. Mais le roi évita le coup de justesse, libérant ainsi la fille. Il agita son autre main et retourna l’épée de Louis contre lui-même.
En voyant la lame le transpercer de part en part, je fermais les yeux et mordais plus fort ma lèvre pour ne pas hurler. Le souvenir du corps de Trent me hanta de nouveau et je secouais la tête pour l’en faire sortir. Je jetai un nouveau coup d’œil : Louis était toujours debout et se battait encore.
Je me précipitais dans le couloir et me faufilais dans ce qui semblait être le bureau du Président. Le Collier des Lamentations était toujours dans la vitrine. Je tentais de l’ouvrir mais elle était verrouillée. Je fouillais le bureau à la recherche de la clé. Je fis rapidement le tour des différents objets posés sur le meuble, sursautant à chaque choc de métal qui parvenait jusqu’à mes oreilles. Rien.
J’ouvris le premier tiroir. J’y trouvai une photo familière : celle qui était présente sur la commode de la chambre d’Elisa et sur laquelle on voyait deux jumelles habillées d’une même robe, accompagnées de leurs parents. C’était donc pour cela qu’Amélia et Mickaël étaient venus chez moi, pour rapporter à Alec une preuve de mon existence. Cela voulait donc dire qu’il avait gardé le secret me concernant. Soudain, une certaine tendresse m’emplit avant que je m’interdisse de ressentir ce genre de sentiment pour le Président.
Elle était jointe à un papier que je dépliais en vitesse. Des noms étaient inscrits. Des dizaines de noms. Certains que je connaissais, d’autres pas. Et certain étaient barrés, comme celui de ma sœur, de Trent. D’autre pas : un certain Amé Murasaki et des dizaines d’autres. Mais je ne trouvais pas le mien.
- La liste des hybrides, murmurais-je.
Le bruit d’un corps qui s’écrase contre un mur me rappela à la réalité. J’enfouis le papier dans ma poche, attrapai la chaise et la balançai contre la vitrine qui s’éclata dans un bruit assourdissant. J’attrapai le médaillon sans me soucier des bouts de verre et m’élançai vers la sortie.
Quelque chose m’attrapa par l’épaule et une brûlure glissa le long de mon bras. Je me tordis de douleur et le médaillon m’échappa. Je me retournais et vis Holly, habillée d’une combinaison en cuir, me sourire. Elle posa sa main sur mon visage et une nouvelle brûlure grandit dans ma joue. J’hurlais de nouveau. Mes genoux rencontrèrent le sol, puis se furent mes paumes. Elle me frappa dans le dos et je m’écroulais. La jeune fille s’assit sur mon dos, pris le collier et le fis balancer devant mes yeux. Je ne l’avais pas remarqué tout de suite, mais une fissure se dessinait sur son émeraude. Holly se pencha pour me susurrer au creux de l’oreille :
- Désolée. Il est à moi.
Elle m’embrassa sur la joue et un nouvel incendie consuma mon cerveau. Le sang se transforma en acide et mon corps tout entier se transforma en gigantesque brasier.
- Jessy !
La voix était lointaine et méconnaissable. L’inconnu me fit tourner pour me mettre sur le dos. Ses mains étaient glacées. C’était douloureux. Atroce. Un hurlement m’échappa.
- Je brûle, criais-je.
- Je sais.
Le garçon me souleva pour me maintenir contre son torse. Son visage était si près du mien que je devinais ses traits.
- Louis.
Ma voix était à peine audible.
- Je suis là, Jessy. Ça va aller.
Une nouvelle vague de douleur me tordit mais je retins mon cri.
- On est venu te sauver, me dit-il.
Sa voix se crispa, ce qui ne me rassurait nullement.
- Je brûle, grinçais-je.
- Chut, tenta-t-il de me calmer en me berçant.
Chacun de ses mouvements ravivaient la douleur et je hurlais malgré moi.
- Shoshana ! héla-t-il.
La jeune fille métisse, aux cheveux si noirs que ses yeux, arriva à toutes trombes, posa quelque chose sur moi, semblable à une pâte et un nouveau sentiment de légèreté me pénétra. La douleur se dissipait.
- Ça va aller maintenant, me souffla Louis.
J’avais du mal à le reconnaître, mes yeux embrumés par les larmes. Il irradiait d’une lumière blanche qui lui donnait les traits d’un ange.
- Qui sont-ils ? lui demandais-je.
- Amé et Shoshana, me répondit-il.
- Mais qui sont-ils ?
J’utilisais mes dernières forces pour prononcer ces mots.
- Des amis. Joseph nous les a envoyés.
- Il va bien alors ?
- Oui.
Je souris, soulagée.
- Mais il n’est pas encore rentré. On a encore besoin de toi pour le ramener.
Les battements de son cœur résonnaient à travers son torse. C’était un son apaisant, lent et régulier. L’endorphine faisait de l’effet et je sombrais dans l’obscurité.
- Reste avec moi, m’ordonna-t-il. Reste !
- Louis, marmonnais-je.
- Je suis là, Jessy. Reste avec moi.
Il me secoua violemment pour me maintenir éveillée mais c’était peine perdue. Je tentais de lutter mais j’étais déjà loin.
- Dis-lui…
Et le noir fut complet.
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