Chapitre 6 – Quand le possible disparaît reste l’impossible

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Au petit matin, le plus joli fauteuil roulant que Syna n’ait jamais vu l’attendait. Il avait d’énormes roues d’un noir profond et des tiges rouges qui brillaient à la lumière. Son assise semblait extrêmement confortable et il y avait deux petits cales pieds. Le fauteuil ne paraissait pas être déjà tombé, avoir reçu des coups de pieds ou toute ces choses qui arrivent dans les zones reculées où l’on mendie pour une fessée. Malken le vérifia tranquillement d’un œil froid comme s’il n’était pas pleinement satisfait, mais il permit à Syna d’enfiler un caleçon, un peignoir et de s’y installer. Le soumis n’osait même pas poser ses doigts sur les roues pour le manœuvrer. A la place, il caressait lentement l’ossature métallique.

Il sursauta quand Olinia apparut à l’angle du couloir. Pourtant, elle se contenta de lui sourire chaleureusement.

- Je vois que vous avez pris possession de votre carrosse…

Il blêmit légèrement, s’attendant visiblement à être sévèrement réprimandé, mais la main lourde de Malken se posa sur son épaule et le rassura. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait plus goûté à cette sécurité étrange qu’était le fait d’avoir un Dominant à ses côtés.

- Est-ce que tu as trouvé la suite ?
- Oui, mais ça n’a pas été évident. Ils soignent assez rarement les soumis si j’ai bien compris.
- Ah ouais ? grogna Malken, mécontent.

Pour Lune et Syna pourtant, il n’y avait rien d’étrange à cela. Un soumis précieux pour son partenaire n’était jamais blessé. Son Dominant aurait pu se battre à mort pour le protéger ! Et quand il n’y avait personne pour prendre ce rôle, alors on considérait simplement que le soumis n’en valait pas la peine…

Syna ne savait donc pas trop à quoi s’attendre. Il fut poussé à travers les couloirs jusqu’à une grande salle où du matériel avait visiblement été installé en toute hâte. Un mâle à la carrure épaisse se tenait au milieu, l’air ennuyé d’avance. Le regard qu’il jeta à Syna le fit se tasser un peu plus sur lui-même.

- Monsieur Haïn ?
- Oui.
- J’avais cru comprendre que vous étiez blessé ?
- Non. C’est pour mon soumis.

Le mâle finit de se refermer.

- Je ne connais pas tous les soumis de la ville loin de là… Mais je connais celui-là, finit par dire le médecin tout en montrant Lune du doigt. Il a déjà fait appel à la quasi-totalité des médecins de la ville dans le but de soigner son ami.
- Et pourtant Syna n’a pas été soigné, n’est-ce pas ?
- Et bien. Non ! Bien-sûr que non.

Le médecin sembla un peu perturbé. Ce type d’examen coûtait cher. Les soins qui pouvaient s’en suivre serait encore plus coûteux. Et ce n’était pas juste une question d’argent, mais également de temps et malheureusement de réputation.

- Ce que je voulais dire c’est que… ce sont...

Un regard noir l’averti de choisir correctement ses mots et le médecin conclut :

- Ce ne sont pas vos soumis affiliés.
- L’affiliation… Laissez-moi me souvenir. Il faut que je reconnaisse directement le soumis, c’est ça ?
- Oui…
- Parfait ! Je les reconnais. Pouvez-vous soigner Syna maintenant ?

L’homme pinça ses lèvres. Il aurait eu beaucoup de choses à dire mais Malken était sûr de lui, alors ça ne servirait à rien. A la place, il acquiesça tout en marmonnant :

- Essayer au moins. Installez-le sur la table, s’il-vous-plait.

Syna tremblait comme une feuille. Il avait honte et peur. L’abandon tranquille qu’il ressentait le plus souvent ne s’étendait pas à faire honte au Dominant qui était venu les aider. Le médecin attendit qu’il soit couché sur la table pour s’approcher. Il l’observa tranquillement et d’une voix ferme expliqua :

- Je suis le docteur Guilen. Je vais t’examiner. Il est très important que tu m’obéisses. Je veux que tu sois franc. Si tu mens, je demanderai à ton maître de te punir sévèrement pour ton manque de coopération. Je n’hésiterai pas à lui donner ce qu’il faut pour que tu retiennes la leçon. Est-ce que c’est bien clair ?
- Oui, monsieur.

Malken avait envie d’intervenir à nouveau et de mettre son poing dans la figure de ce médecin. Son sentiment de possessivité envers les soumis ne faisait que grandir, de minute en minute. Cependant, il devait reconnaître que tout au long de son petit discours, Syna s’était détendu. Il n’avait pas peur de la punition, tout simplement parce qu’il savait qu’il arriverait à obéir. Visiblement, à ses yeux, ce cadre était rassurant. Les différences culturelles entre eux n’avaient pas fini de le laisser perplexe.

- Je vais retirer ton peignoir.

Le médecin s’exécuta dévoilant le corps encore propre du soumis mais il y avait tellement de tâches sur sa peau qu’il paraissait déjà sale. C’étaient des hématomes, des cicatrices encore rosées et d’autres qui avaient brunies avec le temps. Guilen ne semblait pas surpris de son côté et il parcourut le corps du soumis d’un regard professionnel.

- Je vais retirer ton caleçon également. Est-ce que ça te fait mal quand je soulève tes hanches comme ça ?

Joignant le geste à la parole, il le souleva très légèrement pour faire coulisser le vêtement sur son corps. Syna grimaça et répondit que oui. La douleur était une compagne quotidienne mais ce type de pression la réveillait efficacement. Se montrer nu sous les lumières crues, face à son âme-sœur et ces deux Dominants aurait dû être difficile, mais il avait abandonné toute forme de pudeur depuis bien longtemps.

- Tu vois cette machine là-bas ? Je vais déplacer la table et te glisser dedans. Ça va faire du bruit et tu vas te sentir coincé. Il faudra rester immobile. Est-ce que tu as besoin que je t’attache ?
- Non, monsieur. Je serais sage.
- Bien.

La table fut effectivement poussée sous l’engin à quelques centimètres à peine au-dessus du corps de Syna. C’était impressionnant même du point de vue de Lune qui tremblait légèrement. Il avait peur, peur que ça ne fonctionne pas, peur qu’on ne puisse pas le soigner. Mais lorsque la machine se baissa un peu plus, donnant l’impression qu’elle allait écraser son âme-sœur, il eut également peur que Syna ne parvienne pas à obéir. Paniquer pouvait arriver si vite ! Syna ferma les yeux et attendit. Le médecin marmonnait dans un coin.

Assez vite, l’examen fut terminé. La table fut tirée et Syna put à nouveau respirer un peu plus facilement jusqu’à ce que le médecin ne saisisse sa jambe pour forcer son corps à pivoter sur le côté. C’était inattendu et ça faisait mal. Un hoquet de douleur lui échappa. Les doigts forts du Dominant se posèrent sur son dos, au pire endroit possible, mais il n’appuya pas. Dans le cas contraire, Syna n’aurait sans doute pas pu retenir ses cris. Le contact était trop franc et surtout trop précis. A la place, il soufflait bruyamment en tentant de domestiquer la douleur. Malken se tendit, prêt à intervenir mais déjà, le médecin l’interpelait.

- Venez voir, monsieur Haïn. A cet endroit précis, ce… votre soumis, se corrigea-t-il, a le dos brisé. Actuellement nous n’avons aucune technologie qui pourrait réparer un tel dommage. Pour faire ça, il a fallu…

Le médecin se tut et un léger éclat passa dans son regard.

- C’était un abattage n’est-ce pas ?
- Oui, monsieur, chuchota Syna.

Le médecin le lâcha, recula d’un pas et soupira.

- Alors il n’y a rien à faire.
- Qu’est-ce que ça change ? demanda Malken un peu surpris de l’air totalement fermé du médecin.

Après une très brève hésitation, le docteur expliqua ce qui pour lui était une évidence.

- L’abattage est une cérémonie dans laquelle on utilise de la douleur pour faire briller un soumis qui n’y arrive pas du tout. C’est un cas rare mais ça arrive. Ce soumis… il n’a pas brillé depuis très longtemps. Regardez.

Il désigna certaines tâches sur son corps, des traces de carences graves.

- Lorsque le soumis n’y arrive vraiment pas, il peut tenter la cérémonie. Dans la majorité des cas, c’est un succès. Quant à lui… et bien, voilà ce qu’il se passe lorsque ça ne fonctionne pas.
- Ok, donc il s’est fait massacrer et il n’a pas émis de lumière pour autant ce qui n’est pas vraiment une surprise à mes yeux, vous m’excuserez. Mais qu’est-ce que ça change ?

Le médecin eut l’air un peu surpris, comme s’il devait expliquer des banalités toujours plus grandes. Beaucoup d’étrangers venaient ici, mais généralement ils ne posaient pas de questions. Il resta néanmoins pédagogue.

- Cela montre que son corps était déjà cassé. Il n’a sans doute jamais brillé de toute sa vie. Les carences vont s’accroitre jusqu’à ce que cela le tue. Lune est fonctionnel. Pas très doué, certes, mais fonctionnel. Celui-là ne l’est pas.
- Ce n’est pas la question. Ce que je vous demande c’est de le soigner.
- Malheureusement si, c’est la question… Nous n’avons pas la technologie pour soigner une telle blessure. Mais nos soumis guérissent. S’il pouvait briller, régulièrement, de manière très convaincante et sans ponction bien-entendu ! S’il pouvait le faire alors… Je ne promets pas une guérison complète, mais il y aurait des progrès.
- Il suffit que je le fasse briller ?
- Et bien… oui. Mais vous n’y arriverez pas. Vous pourrez le briser en mille morceaux, lui décoller la peau des os et lui offrir les pires douleurs, il ne brillera pas. Ça arrive parfois. Dans ces cas-là… si vous voulez vraiment de sa charge, nous pouvons parler des autres solutions.

Lune émit un sanglot et les larmes ravinèrent sur ses joues sans qu’il n’y puisse rien. Sur la table, immobile et silencieux, Syna n’avait pas l’air de vraiment réagir. Malken se figea autant à cause de la réaction de ses soumis qu’à cause du ton du médecin. Il possédait quelque chose de sinistre.

- Ecoutez… ce n’est pas de gaîté de cœur que je vous en parle. Mais son état ne va faire qu’empirer. Les carences seront de plus en plus grandes. Il va continuer de s’affaiblir. Ça ne sera pas joli à voir… et sans doute encore pire à vivre. Nous pouvons faire ça de manière éthique et indolore. Il s’endormirait simplement.

Lune lâcha un autre sanglot. Une partie de lui avait toujours espéré réussir à faire soigner son âme-sœur. Qu’il soit conduit à un médecin était inespéré. Et en même temps, il avait toujours craint ces mots…

- Vous me proposez de le tuer, c’est ça ? demanda Malken, abasourdi.
- On parle plutôt d’euthanasie, mais oui. Si ça n’avait pas été un abattage, il aurait pu avoir encore une chance mais visiblement tout à déjà été tenté. Il souffre pour rien, sans rien en obtenir.
- Ok. Vous pouvez remballer vos outils. Merci d’être venu. Syna, vient là, chéri.

Malken tira le corps froid de son soumis contre lui. Il se sentait bouillonnant de furie. Tuer Syna ? C’était hors de question ! Il avait bien lu la documentation et il savait qu’il existait une autre solution, voire même deux, une solution que le médecin n’était visiblement pas capable d’envisager. Si Malken parvenait à faire une Illumination Complète, il aurait accès au tréfond de la médecin de leur espèce. Ce n’était pas juste les connaissances communes, c’était des Savoirs rares, réservés à des élites. Il pourrait bien y avoir de quoi sauver le petit soumis là-dedans. Sinon, de manière beaucoup plus simple et évidente, il pourrait lui faire injecter directement les substances produites lorsqu’ils se mettaient à briller. Ça valait une fortune, une fortune que Malken ne possédait pas. C’était sans doute le traitement le plus coûteux des planètes environnantes, mais c’était possible.

- Tout va bien, tout va bien… Viens…

Lune se précipita sur eux et se blottit contre son âme-sœur, absolument bouleversé. Il n’avait pas son mot à dire, le médecin écouterait Malken mais peut-être pouvait-il le supplier ? Peut-être pouvait-il négocier ? Négocier pour avoir un peu plus de temps au moins ? Lune ne savait pas quoi offrir de plus. Les larmes ne s’arrêtaient plus de couler, débordant de ses yeux dans un flot continu.

- Tout va bien… Ça va aller… Calme-toi Lune. Ça va aller…

Derrière eux, le médecin soupira.

- Je sais que cela peut sembler cruel, mais ce serait un acte de compassion. Même pour Lune…

Lune pleura un peu plus fort. Ce serait pour son bien ? Comment pourrait-il opposer un quelconque argument si Malken acceptait de croire que ce serait pour son bien ? Mais Malken lâcha un :

- Ça suffit. Je l’ai dit. Ce sont mes soumis. Mes soumis, mes choix. En tuer un ne fait pas parti des choses que j’ai prévu de faire et je ne reviendrai pas là-dessus.

Le médecin fit un geste de reddition, il avait fait ce qu’il convenait, il en était certain. Toutefois et bien… ces soumis ne valaient pas la peine qu’il s’oppose aux décisions d’un Dominant. Si Malken voulait s’en occuper, grand bien lui fasse.

Syna fut déposé très doucement dans son fauteuil, il baissa la tête, honteux qu’on ait pris du temps pour lui, pour lui apporter ce confort alors qu’il ne valait plus rien du tout. Les vêtements qu’il portait furent poser sur ses genoux trop maigres. Malken saisit les poignées et juste avant de partir, il demanda :

- Combien de temps il a avant que les effets secondaires s’amplifient ?
- Quelques semaines… peut-être moins. Ça risque d’aller de plus en plus vite. Vous pourrez toujours me recontacter à ce moment-là…

Malken soupira, et s’éloigna, le conduisant tranquillement à travers les couloirs pour regagner leur chambre. Dans son esprit, les plans bouillonnaient.

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