Prologue

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 D'ordinaire, le ciel au-dessus de la cinquième division savait se montrer clément. Rares étaient les intempéries capricieuses qui recouvraient le misérable quartier. Pratiquement à l'aube de la nouvelle année 1923, en cette soirée du réveillon de noël, la météo ne fit aucun cadeau aux habitants de la région. Il faisait sombre, de lourds nuages gris avaient revêtu les cieux. La neige avait cessé de tomber, mais recouvrait tout de même l'ensemble des routes, maisons et espaces environnants du territoire. Le temps était brumeux. En dépit du brouillard, de puissants éclairs déchiraient le ciel. Ceux-ci passaient au travers des nuages gorgés d'eau qui s'abattait violemment sur le sol et les propriétés.

En ce soir de fête, personne n'avait osé mettre le nez dehors, à l'exception de Cédric qui revenait tard du boulot. Au mépris de la tempête qui faisait rage, le jeune homme regagna sa déplorable maison tant bien que mal. Recouvrant sa tête du piteux manteau qu'il portait, il tentait de rejoindre l'entrée de sa bicoque tout en évitant de glisser sur le verglas de son médiocre jardin. Le vent ne l'aidait en rien dans sa tâche, il dû lutter pour arriver jusqu'à la porte d'entrée qu'il s'empressa d'ouvrir pour se mettre à l'abri. Une fois hors d'atteinte, il retira ses vêtements trempés et ses souliers usés. Mal isolés, il avait froid même entre les murs de sa maison qui ne le protégeaient pas totalement du mauvais temps, le vent et la pluie n'avaient aucun mal à s'infiltrer à travers les tuiles fissurées et les murs craquelés. Il marchait pieds nus sur le sol humide, ce qui n'eut pas l'air de le déranger étant donné qu'il était trempé jusqu'aux os. Le jeune homme s'efforça de crier, essayant de porter sa voix par delà le boucan causé par la tourmente qui se déroulait dehors.

-Alexandre ! Julien ! Je suis là !

Cédric tendit l'oreille sans bouger. Il semblait à l'affût d'une réponse, un signe de ses deux jeunes frères qui l'attendaient pour commencer les festivités. Il ne lui fallut pas patienter plus de cinq secondes que les deux garçons arrivèrent en trombe au rez-de-chaussée.

-Enfin arrivé ? À table ! brailla Julien, le plus jeune de la fratrie.

Sans cérémonie, les trois frères préparèrent leur festin. Cédric, encore imbibé, ne prêta pas attention à son état et s'attela à sa tâche. Il sortit du frigo un maigre poulet de la veille, que ses frères et lui s'étaient abstenus de manger pour cette occasion, et le réchauffa. Alexandre, le cadet, entreprit de mettre la table. Il posa couverts, assiettes et gobelets sur l'îlot décrépit qui leur servait de table. Quant au petit dernier, il alluma quelques bougies en guise d'éclairage pour le logis qui en manquait cruellement. La faible lueur qu'émanaient les flammèches ajoutait un coté chaleureux, contrastant avec le déluge extérieur que l'on pouvait entendre. La fratrie n'avait pas grand-chose, mais n'était pas pour autant la plus démunie du pays. Nombreuses étaient les familles vivant dans ces conditions ; beaucoup plus rares étaient celles qui mangeaient tous les jours à leur faim. Mais ce mode de vie semblait leur convenir, ils s'étaient déjà depuis longtemps habitués à lui. Les trois garçons étaient à présent attablés et profitaient du moment présent. Leurs repas ne se passaient presque jamais dans le silence. Le moment du dîner était leur préféré à tous trois. C'est dans ces instants qu'ils pouvaient se réunir pour parler des péripéties de leur journée respective. Julien, lycéen, n'avait rien à raconter ce soir, il était en vacance à cette période. Il restait dans sa chambre à travailler dur dans l'espoir de devenir quelqu'un d'important pour subvenir davantage aux besoins de ses frères.

-Aujourd'hui, Monsieur Martin m'a payé quatre pièces au lieu des trois habituelles. Une sorte de «prime» de noël qu'il a dit, annonça fièrement Alexandre.

-Vraiment ? s'étonna Cédric, agréablement surpris. Ne les mets pas toutes dans la boite dans ce cas, gardes-en pour ton vélo.

Alexandre distribuait de vieux journaux. Il faisait le tour du quartier à pieds, ce qui en plus de l'épuiser, lui prenait une éternité. Une bonne partie de son salaire, tout comme celui de son grand frère, était jalousement gardé dans une boite pour suffire à leurs nécessités. Cependant, il lui arrivait de garder quelques sous pour lui. Il projetait d'acheter un vélo pour réaliser plus rapidement sa tournée et être mieux rémunéré.

À présent l'orage grondait si fort que l'on entendait presque plus le tintement des couverts au contact des assiettes. Cela n'empêchait en rien les trois jeunes hommes de passer un excellent moment à table. Lorsqu'ils eurent fini de dîner, le plus jeune débarrassa pour permettre aux deux autres de s'affairer à la vaisselle. Après coup, les garçons rejoignirent le salon, juste à coté, où ils avaient l'habitude de jouer et rire ensemble. Les heures passèrent à une vitesse folle. Chacun d'eux semblait reconnaissant de pouvoir vivre de pareils instants de bonheur. Cédric se leva, demandant aux autres d'attendre patiemment. Une bougie à la main, il se dirigea à l'étage afin d'aller chercher quelques pièces, qu'il avait prit soin d'économiser depuis longtemps, sous son matelas pour les offrir aux deux personnes qui comptaient le plus pour lui en ce monde. Il poussa la porte de sa chambre. C'est en franchissant le seuil de celle-ci que Cédric fût soudainement prit d'un vertige. Sans en comprendre la cause, il s'effondra sur le sol dans un bruit fracassant et perdit connaissance, à présent, même la flamme de sa bougie tombée avec lui ne put le sortir de l'obscurité qui l'avait gagné.

Cédric reprit conscience. Des gouttes d'eau fuyant du toit venaient s'écraser sur son visage. Il ouvrit les yeux et, malgré la pénombre, il reconnut les formes de la pièce dans laquelle il se trouvait. Le revoilà dans la cuisine. Le jeune homme se redressa une boule au ventre. Il éprouvait comme une impression de déjà-vue. Ce n'était pas la première fois que son corps ressentait pareilles sensations. Il prit conscience de ce que ce sentiment qui l'habitait impliquait, une vague de stresse monta en lui.

-Alex ? Julien ?

Pas un bruit dans la maison, si ce n'était les craquements de celle-ci. Pas une réponse ne se faisait entendre. Cédric déglutit.

-Alexandre ? Julien ?

En se relevant, il hurla aussi fort que possible par-dessus l'orage, la pluie et le vent qui abattaient les branches des arbres environnant sur les fenêtres de la piteuse demeure.
Il tituba jusqu'au salon, appuyé à tout ce qui pouvait le soutenir pour avancer, sans tenir compte de ses faibles jambes. Au premier pas dans le salon il perdit prise, s'écroula sur les genoux et se rattrapa au sol avec ses mains. Il sentit une texture étrange entre ses doigts. Un liquide épais et sombre vint se coller à ses mains il en releva une et la porta jusqu'à son visage espérant distinguer de quoi il s'agissait. Un intense éclair vint fendre le ciel en deux, baignant de lumière un instant l'intérieur de la salle. Cédric put distinctement reconnaître du sang au bout de ses doigts et le sien ne fit qu'un tour en cet instant. Prit de panique, il hurla le nom des siens. Il rampa hâtivement à terre. Il tâta des mains pour chercher l'origine de la marre de sang dans laquelle il baignait. L'une de ses mains frôla un objet. Un «objet» ? Du moins, c'est ce qu'il pensait. Il s'attarda davantage sur sa trouvaille. Sa main remonta le long de celui-ci, il avait agrippé une jambe. Il baissa son regard, et put ainsi discerner dans le clair-obscure le corps inerte de l'un de ses frères.

-Julien ? Julien, répond !

Le son de sa voix exprimait son affolement. En larmes, Cédric souleva le garçon et porta la tête de ce dernier à sa poitrine en pleurant. Il passa ensuite sa main ensanglantée sur son visage, priant pour qu'il se réveille . Le sang s'écoulait de son ventre. Il serra le cadavre de Julien dans ses bras et tenta d'appeler son second frère à l'aide.

-Alexandre ! hurla-t-il.

Paniqué, sa voix était perçante, stridente et hachée par ses pleurs.

-Alex, à l'aide !

Il ne se retenait pas de pleurer, il ne savait que faire. Cédric se sentait impuissant. Son inquiétude suite au silence du cadet lui fit prendre son courage à deux mains et il lâcha Julien. Son corps tremblait. Il se dirigea malgré tout jusqu'aux escaliers en rampant. Il espérait trouver Alex à l'étage. À peine arrivé au pas des marches il distingua sa silhouette dans l'escadrin. Horrifié, Cédric monta les quelques marches qui le séparaient de lui.

-Alex, debout... c'est Julien, il... c'est moi, j'ai...

Pétrifié, il ne savait que dire une fois aux côtés d'Alexandre.

-Non... non non non non...

Lui non plus ne bougeait pas. Cédric se rendit compte que lui aussi était mort. Il prit le garçon dans ses bras. Il le secoua légèrement et le supplia d'ouvrir les yeux. Il constata avec effroi que son sang maculait les marches. Dehors, le temps grondait toujours. Les éclairs vinrent illuminer momentanément l'intérieur du logis. Cédric avait l'impression que la tempête s'était emparé de lui. Le chaos qui se déroulait hors des murs, rongeait maintenant son crâne. Ses pleurs et cris se confondaient au désordre extérieur. Il pensait à haute voix.

-Non, qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai encore fait, putain ?

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