1.
T’as une drôle de gueule, toi. Non, ne le prends pas mal, elle est magnifique ta gueule, elle ne ressemble pas aux photocopies de photocopies habituelles. Elle détonne ta gueule, elle s’imprime sur la rétine, elle intrigue, obséderait presque. J’ai envie de la toucher, de la sculpter de mes mains. Tu es beau, je crois, à ta façon. Je ne suis pas très bon juge, ma vision du sublime s’écarte un peu des normes consensuelles. Mon truc, c’est le contraste, le paradoxe, c’est la manière dont s’incarne ta gueule. Je ne suis pas d’accord avec les faux bienveillants qui clament à tort et à travers que la surface ne compte pas. Tu m’excuseras, j’estime que la surface compte beaucoup, à condition qu’elle soit habitée. Toi, déjà, tu as une sacrée surface. Pas banale. J’ai beau l’observer, je n’arrive pas à la saisir entièrement, tu as les traits aussi mouvant que des vagues. Alors forcément, je te regarde, dessine mentalement les lignes qui te composent, espérant m’approprier un peu de tes contours. Ils me fascinent, je n’en fais jamais le tour, chaque nouvelle œillade est une découverte.
Tu es tout en arêtes et reliefs ; c’est amusant, ça te donnerait presque une allure agressive de loin, un panache martial qui jure avec la douceur de ton maintien. Oui, tu es beau à mes yeux, c’est désormais certain. Je ne me lasse pas de ta vue, tout m’émeut, des ombres qui dansent au creux de tes joues à la saillie de ta pomme d’Adam. Tu n’es pas tout jeune, il y a du vécu au pli de tes yeux ; c’est bien la seule chose qui te trahit tant le reste est figé dans un marbre intemporel. L’architecture de tes pommettes m’évoque un fronton de temple, le modelé de ta mâchoire se rattache aux piliers antiques, si solides, si majestueux. Tu es une ode à l’angle droit, un enchantement arithmétique.
Toutefois, au sein des pierres de ton visage, je devine la délicatesse du pinceau. La commissure de tes lèvres est signée par Botticelli, le trouble de tes prunelles vient de Fra Lippi. Elles me parlent, ces prunelles, elles ressemblent au ciel. Elles n’ont pourtant pas la même teinte que l’en haut, si ce n’est leurs jolis nuages. Il n’y a rien de fixe dans ton regard, tu y fais vivre d’immense nappes cotonneuses, aussi distraites que les vents. Sous tes paupières s’illuminent de larges étendues brumeuses, de celles que l’on croit vide avant d’y entrevoir le substantiel frémissement. Tu vois, ce n’était pas méchant. Non seulement je peux te voir en peinture, je t’érige même en œuvre d’art. Je vais toutefois te surprendre, ce ne sont pas tes traits que je préfère, mais leur animation.
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