Hautes Montagnes
Je sors tout juste du boyau qui avait accueilli mon corps dans le même amour que met une mère à porter en sa chair la graine neuve de son enfant. Une naissance qui est ‘re-naissance’. Un rite de passage avec ses lourdeurs laissées aux ombres, avec ses essors confiés au ruissellement de la belle lumière. Tout s’espacie avec grâce. Tout se donne dans la corne d’abondance de la joie. De part et d’autre du champ de ma vision s’élèvent de Hautes Montagnes ciselées par la pureté neuve de l’air. Leurs faces tournées vers le ciel sont des miroirs de haute destinée qui ne communiquent qu’avec l’Infini, dialoguent avec l’Absolu. L’Infini, l’Absolu : la Beauté au sommet de qui elle est, la Raison et ses pierres aiguisées, l’Art en ses splendides donations. Une vallée s’ouvre infiniment entre les lèvres brunes des versants. Elle s’évase en allant vers le lointain. Un lac immense miroite, fait battre ses eaux, tantôt cendrées, tantôt de la teinte de l’émeraude selon les variations de la clarté. Des flocons d’ombre, parfois, courent au ras de l’eau, y dessinent des remous, y impriment des lignes de fuite. Des grappes de maisons habitent une anse, des coques de bateaux azuréennes flottent dans de minuscules criques, une île tout en longueur porte en son centre un château de pierres blanches entouré d’un jardin luxuriant. Des palmiers s’ébrouent au vent, de larges sycomores y étalent leurs ramures, des ifs-chandelles dressent leurs frêles flèches pareilles à des dagues célestes.
Maintenant j’avance au bord du lac sur le sentier circulaire qui en fait le tour. Sur de hautes tiges les grappes des digitales, bleues et roses, s’agitent doucement dans le vent qui chante et musarde. Le silence est partout, parfois traversé des trilles joyeux d’oiseaux invisibles. Au loin est un fin brouillard qui enveloppe toutes choses dans un cocon de soie. Une barque de bois usé, d’un outremer délavé, est attachée au rivage par une corde. Il me semble, soudain, qu’elle m’attend, m’invite au plaisir infini d’une traversée. Je monte à bord. De minces vagues clapotent le long de la poupe, font osciller l’esquif, identiquement à ces gondoles de Venise qu’animent d’étranges mouvements de balancement à contre-jour des eaux plombées de la lagune. Je saisis les avirons et commence à me diriger vers le large. J’ai l’impression d’être seul dans cette immensité liquide que coiffe un ciel uniformément gris, pareil à une étoffe précieuse. Au loin, mais aisément reconnaissables, d’élégantes silhouettes se découpent sur le fond de l’air. Ce sont des femmes vêtues d’étincelantes tuniques blanches. Elles tiennent à la main des ombrelles de couleur parme. Un signe de distinction bien plutôt qu’une protection contre la lumière. J’entends parfois, selon la direction du vent, leur joyeux babil, on dirait une colonie de jeunes enfants s’égayant parmi les coulisses heureuses de la Nature.
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