Lueur

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Une petite lueur est venue éclairer ma déchéance. Cette lumière c’est un gardien qui a su l’allumer ou la rallumer. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il avait travaillé dans la chimie, qu’il avait été licencié et puis retrouvé du boulot comme maton qui a influencé ce rapprochement, mais sans doute. On a commencé à parler ensemble. Il m’a conseillé quelques bouquins à prendre à la bibliothèque de la prison (étonnamment bien fournie). Et là, ma vie a pris un autre chemin. J’ai découvert les philosophes stoïciens : Marc Aurèle, Epicure, Epictète et Sénèque. J’ai beaucoup réfléchi au sens de ma vie, de la vie en général. On a beaucoup de temps pour réfléchir en prison. Ces lectures m’ont fait prendre conscience que je ne vivais que dans la satisfaction de mes désirs immédiats, dans le paraître, dans l’avoir et pas dans l’être. J’ai compris que le bonheur n’est pas dans les choses et qu’être heureux c’est « savoir vivre le temps présent en renonçant à l’illusion d’échapper au devenir ». Quand j’ai réalisé cela, une sérénité toute simple m’a envahie. Au point que mes voisins de cellule se sont demandé si je n’avais pas disjoncté.

Et puis, voyant que je n’étais pas méchant, que je restais très calme, ils ont été rassurés, à défaut de comprendre ce qui se passait au plus profond de mon être. Ma vie dans la chimie, puis dans la rue ne m’incitaient pas à me tourner vers les autres, mais dans un souci de préservation, à me replier sur moi-même. Mes lectures m’ont fait faire le chemin inverse, petit à petit. Mais ce processus était encore très fragile quand je suis arrivé au bout de mon séjour en prison. Etant resté « sage » durant mon séjour en prison, je pouvais espérer en sortir au bout de 6 mois. C’est l’assistant social de la prison qui s’est débrouillé pour me trouver un avocat pour ce dossier. J’ai eu la chance de tomber au moment où un collectif d’avocats et de juges faisait du battage sur le surpeuplement dans les prisons.

Après 6 mois, 5 jours et 7 heures de prison, je suis sorti à l’air libre. Le bruit du trafic routier le long du Rhône m’a semblé être une symphonie et l’odeur des gaz d’échappement un parfum fabuleux. Voir tous ces véhicules circuler… J’étais de retour à la vie. Il faisait beau, un bel été indien. De toute façon, même si il avait plu j’aurais trouvé le temps magnifique. Je suis resté sans doute près d’une heure à regarder la circulation le long des quais du Rhône, ceux qui allaient vers Fourvière et ceux qui les croisaient en descendant vers le sud. Et puis, fouillant dans ma poche, j’ai pris le papier plié en quatre que m’avait donné le directeur de la prison en sortant. C’était l’adresse d’un organisme de réinsertion qui proposait, pour une période transitoire, un petit boulot et un toit aux anciens détenus. J’avais tout de suite été volontaire, je voulais être sûr de ne pas replonger. Mes enfants me manquaient terriblement et je savais que si je replongeais, il ne me serait plus possible de les revoir. Il m’aurait été impossible de croiser leur regard sans que ma vie n’ait changé.

Je me dirigeais à pieds vers la gare de Perrache pour prendre le tramway direction Vénissieux. Ne connaissant pas Lyon, je dénichais un plan à un guichet et dépensais une bonne partie des 10 francs qui m’avaient été remis à la sortie de prison pour un ticket. Tramway T2 puis bus direction Vénissieux. 10 minutes de marche à pied m’avait-on dit à partir de Vénissieux Le Charreard. En fait il m’en a fallu près de 40, pas moyen de me repérer parmi ces bâtiments qui semblaient tous pareils. Puis finalement, j’ai trouvé le foyer « La vie devant soi ». Joli nom, pas vrai ? Ça me rappelait vaguement le titre d’un bouquin mais lequel ?

Là, j’ai été accueilli par Marcel et Pablo, deux types aux mines pas franchement avenantes mais qui m’ont donné une bonne accolade. Ils m’ont montré ma chambre, enfin chambre… 6 mètres carrés, un lit, un lavabo et une table avec une chaise. Mais après la cellule, cette chambre me semblait une suite dans un palace 4 étoiles. Enfin un peu d’intimité ! Je ne me suis pas attardé au réfectoire pour le dîner et suis allé me coucher le plus vite possible. J’avais besoin de ce calme, sans personne, sans cri, sans hurlement, sans les odeurs de la promiscuité. J’ai passé une nuit inoubliable, un silence total, des draps propres et seul. La sensation que plus rien ne pouvait m’arriver, qu’après avoir touché le fond, je commençais lentement à remonter.


Petit à petit, j’ai repris goût au travail, à faire quelque chose de mes mains, à réparer. Ce centre de réinsertion nous faisait travailler en réparant des appareils électroménagers. Des machines à laver, lave-vaisselles, sèche-linges qui avaient été mis au rebut pour une panne que les revendeurs ne jugeaient pas rentables de remettre en état. C’est dingue ce qui est jeté, alors qu’il suffit souvent de changer une électrovanne, un roulement ou une courroie. Et puis ces appareils étaient revendus via une association comme Emmaüs, très peu cher, à des gens qui n’avaient pas les moyens de s’acheter du neuf. Là, je me sentais vraiment utile, donner une nouvelle vie à des choses qui étaient promises à la décharge et permettre à des gens sans grands moyens de s’équiper à pas cher.

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