Scène 2. Le portail de l'école
Les rideaux s'ouvrent.
Victor marche en trainant des pieds. Il tremble de froid. Il s'arrête devant une école et regarde la cours pendant quelques temps derrière le grillage. Un bruit de cloche résonne et il sursaute. Il s'apprète à partir mais une jeune femme l'interpèle devant le portail de l'école.
ENORA. Bonjour monsieur... il ne devrait pas tarder à sortir.
VICTOR. ... D'accord.
Temps.
ENORA. Vous êtes bien le père d'Erwan ?
VICTOR. Non.
ENORA. Oh... Excusez-moi je vous ai pris pour quelqu'un d'autre.
VICTOR. Ce n'est rien...
Temps.
ENORA. Qui êtes-vous ?
VICTOR. Je m'appelle Victor. Je suis écrivain.
ENORA. Vous venez d'où ?
VICTOR. Rennes.
ENORA. Vous êtes ici pour quoi ?
VICTOR. Vous avez peur de moi ?
ENORA. Je me méfie, c’est tout.
VICTOR. Vous ne devez pas croisez beaucoup d'inconnus, vous, surtout dans ce village.
ENORA. Non. Effectivement. Surtout devant le portail d’une école.
VICTOR. ...Désolé. Je n’avais pas vu ça comme ça.
Temps.
ENORA. J’ai un élève qui attend depuis plus d'un mois que son père vienne le chercher.
VICTOR. Erwan ?
ENORA. Oui. Alors, j’ai cru que c'était vous.
VICTOR. Vous ne le connaissez pas ?
Ils sont interrompus par des dizaines d’enfants et d’adolescents agités. La jeune femme va pour refermer le portail, mais un élève est à la traine. Elle le rejoint. On ne la voit plus.
ENORA. Allez, dépêche toi Gwenaël.
GWENAËL. J’ai mal aux pieds.
ENORA. Tu n’as pas bougé de la journée.
GWENAËL. Mais j’ai mal.
ENORA. Et bien, justement, tu n’as pas bougé. Demain, je te forcerai à sortir jouer avec les autres.
GWENAËL. Mais il fait froid dehors.
ENORA. Je reste dehors dans le froid à vous surveiller sans bouger, moi.
GWENAËL. Et tu as mal aux pieds ?
ENORA. Oui. Parce que je ne bouge pas.
GWENAËL. Alors, il faut bouger.
ENORA. C’est ce que j’essaie de te faire comprendre ! Dépêche-toi maintenant.
Ils arrivent sur la scène côte à côte.
ENORA. C’est ton père qui vient te chercher aujourd’hui ?
GWENAËL. Non, il m’a dit de rentrer à pied.
ENORA. Gwenaël... La prochaine fois demande-moi directement si je peux te ramener au lieu de te plaindre de tes pieds. D'accord ?
GWENAËL. ... Oui.
ENORA. Attends sur le banc quelques temps, j’arrive.
GWENAËL. Merci !
L’enfant part s’asseoir. Enora rejoint Victor.
ENORA. Nous parlions de quoi déjà ?
VICTOR. Du père d'Erwan.
ENORA. C’est vrai, merci.
Temps.
VICTOR. Je vous demandais si vous le connaissiez.
ENORA. Ah. Oui. Non, je ne le connais pas. Il ne vit pas ici. Il a emmené Erwan chez ses grands parents, en Août, pour qu’il puisse se faire quelques amis pendant les vacances. Sauf qu'il n’est pas revenu. Alors ses grands-parents l’ont scolarisé ici, en attendant.
VICTOR. Je vois. Désolé de vous avoir fait croire que j’étais peut-être cet homme.
ENORA. Ce n’est pas de votre faute. Mais que faites vous ici ?
VICTOR. Vous voulez dire, dans ce village ou devant cette école ?
ENORA. … Les deux.
VICTOR. J’étais venu m'aérer l’esprit. La mer est agréable.
ENORA. Je suis d’accord.
VICTOR. Et pour l’école, elle me rappelle des souvenirs, c’est tout.
ENORA. Heureux ?
VICTOR. Heureux, oui. Et malheureux, aussi.
ENORA. J'ai tendance à me rappeler de certaines choses aussi. Je peux comprendre.
VICTOR. Heureuses ?
ENORA. Et malheureuse, oui.
VICTOR. Je vois. Désolé.
ENORA. Je ne me suis pas excusée pour vous. Ne vous excusez pas pour moi.
VICTOR. Entendu.
Elle rigole.
VICTOR. Qu'y a-t-il ?
ENORA. Ce n’est rien, seulement, c’est étrange de se faire obéir aussi rapidement par un inconnu quand on a passé la journée avec des enfants ingrats. Mignons, mais ingrats.
VICTOR. (sous le ton de l'humour) Il faut se mettre à leur place... vous étiez peut-être aussi mignonne et ingrate qu'eux.
ENORA. Vous étiez comment, vous, à cet âge ?
VICTOR. ... Je ne m’en souviens plus.
ENORA. Je croyais que venir ici vous rafraîchissait la mémoire.
VICTOR. Je me souviens des jeux que l'ont faisait, plus de qui j'étais.
ENORA. On ne peut jamais complètement oublier.
Temps.
VICTOR. … Gentil. Je crois que j’étais gentil.
ENORA. Et vous ne l’êtes plus ?
VICTOR. J’ai du mal.
ENORA. Je vous trouve sympathique, moi.
VICTOR. Vous ne me connaissez pas.
ENORA. Vous êtes peut-être plus vous-même ici qu'en ville.
Temps.
VICTOR. Je crois que le petit s'impatiente. Je devrais y aller.
ENORA. Je vous mets si mal à l'aise que ça ?
VICTOR. Non... ce n’est pas ça. J’ai froid.
ENORA. Oh, oui, mince, je comprends. En tous cas, ravie d’avoir fait votre connaissance, monsieur.
VICTOR. Ne m’appelez pas comme ça. On doit avoir le même âge.
ENORA. Alors comment devrais-je vous appeler ?
VICTOR. Par mon prénom, Victor.
Temps.
ENORA. D'accord, Victor. Vous restez ici encore combien de temps ?
VICTOR. Je ne sais pas. Longtemps, je pense. Et vous ? Comment je dois vous appeler ?
ENORA. Enora. Appelez-moi Enora.
VICTOR. Alors, à bientôt, peut-être ?
ENORA. Oui, à bientôt.
Elle marche vers Gwenaël et il part dans la direction opposé, il se retourne une dernière fois avant de voir le corp de la jeune femme disparaître derrière les rideaux qui se ferment.
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