Scène 3. Hôtel de Debriac
Les rideaux s'ouvrent.
Victor entre dans l’hôtel. Une petite propriété, chaleureuse bien que sobre. Il s’avance vers la réceptionniste au téléphone, elle a l’air énervée.
MARIE. Comment ça tu ne viens pas ce soir ? Et les clients alors ? Ils sont deux aujourd’hui … Non, il n’est pas venu à l’hôtel. Je t’avais dit d’aller le chercher, tu l’as laissé rentrer tout seul ? … Bordel mais c’est pas possible ! Lui donner des libertés ? Il n’a que huit ans, Laurent ! … Je sais que nous sommes dans un petit village, et alors ? L’école n’est qu’à quelques minutes à pied, je sais ! Et ça change quoi ? Si tu n’es pas capable d’aller le chercher je le ferai, tout simplement ! Il viendra dormir chez moi, et tu ne le verras que le week-end, c’est ça que tu veux ? … Non, alors fais ce que je te dis merde ! Et trouves-le !
Elle raccroche violemment, puis pousse un long soupir. Victor se tient devant elle, mais elle ne le voit pas, il se racle la gorge pour qu'elle remarque sa présence. Elle sursaute.
MARIE. Oh ! Toutes mes excuses... Que puis-je faire pour vous ?
Son ton de voix était devenu étrangement calme, il en était mal à l’aise.
VICTOR. Désolé. Je ne voulais pas vous faire peur, ni entendre votre conversation, ça ne me regarde pas.
MARIE. Non... c’est ma faute. J’aurai dû voir que vous étiez là.
Temps.
VICTOR. J’étais venu vous demander à quelle heure ouvrait le restaurant de l’hôtel.
MARIE. Ah, et bien, pas ce soir. Le cuisinier n’est pas disponible, je suis désolé. Mais il y a un autre restaurant un peu plus loin… L’Hétourni.
VICTOR. D’accord… Merci. Bonne soirée.
MARIE. Bonne soirée monsieur.
Il se dirige vers les escaliers mais un vieil homme ivre lui bloque le chemin.
VICTOR. Monsieur ? Désolé, je vais devoir passé.
MARIE. Yves ! Laisse passer notre client ! Et déguerpis de là bordel, c’est pas un bar ici !
YVES. Arrête de crier pouffiasse. J’ai mal au crâne.
MARIE. Va chier. Tu fous une réputation de merde à mon hôtel !
YVES. Mais y’a jamais personne dans ton putain d’hôtel, laisse moi décuver ici. Dans la rue y’a trop de monde, je ne veux pas que Marcelle sache…
MARIE. Alors, pas devant mes yeux et ceux de mes clients au moins.
Yves essaye de se lever mais trébuche. Victor le rattrape de justesse.
VICTOR. Madame, si le restaurant n’est pas ouvert ce soir, vous pensez qu’il peut rester dans la grande salle ?
MARIE. Je suppose, oui. Mais ne vous occupez pas de ça voyons, c’est mon travail.
Elle se lève.
VICTOR. Ça ne me dérange pas. Je n’ai rien d’autre à faire de toute façon.
MARIE. Bien. Si vous insistez.
Elle s’assoit.
Victor prend Yves par la taille et passe son bras sur ses épaules. Il l’amène derrière une porte avec écrit dessus “Restaurant”. Le téléphone sonne et Marie décroche.
MARIE. Allô, Hôtel de Debriac, Bonjour ? … Enora ? … Il est avec toi ?! Oh merci seigneur ! Pardon… tu disais ? … Pas faux. D’accord, je vous rejoindrai. Attendez moi encore un petit peu, j’ai quelques trucs à régler … Merci Enora.
Victor revient dans la salle avec une bouteille en plastique vide.
VICTOR. Vous savez où je pourrais trouver de l’eau ?
MARIE. Oui, dans la cuisine. C’est la porte en bois au fond du couloir sur votre droite.
VICTOR. Merci madame.
MARIE. Merci à vous de vous en occuper. Je vais bientôt devoir partir alors ça me fait gagner du temps. Si vous avez besoin d’aide vous pouvez m'appelez sur ce numéro.
Elle prend une de ses cartes de visite et note quelque chose au dos, sûrement son numéro personnel.
VICTOR. Vous allez où ?
MARIE. À la plage, mon fils y est avec sa maîtresse d'école. Il est en sûreté, tout va bien. Je ne veux pas que vous pensiez qu’il a été enlevé et que cet endroit craint.
VICTOR. Si cet endroit ne craint pas, alors pourquoi avez vous peur ?
Elle réfléchit.
MARIE. Une habitude, je crois. De la grande ville.
VICTOR. Vous avez emmenagé ici quand ? Si ce n’est pas indiscret.
MARIE. Il y a trois ans. A vrai dire, on voulait s’installer ici pour dynamiser le village. Il y avait du charme dans les ruelles. Et puis les côtes bretonnes sont plutôt touristiques. On ne s'attendait pas à ce que ce soit si désert, même deux ans après notre arrivée.
VICTOR. Il y avait quelques touristes parfois, des solitaires qui venaient longer les côtes, une famille en camping-car qui venait s’arrêter pour la nuit et manger des croissants chauds le matin, des groupes d’amis qui s’étaient perdus. Mais ça n’a jamais été la foule, et je ne pense pas que ça changera un jour.
MARIE. Vous venez d’ici ?
VICTOR. J’y suis né. J’y ai grandi.
MARIE. Vous êtes parti quand ? Si ce n’est pas indiscret.
VICTOR. Il y a vingt-deux ans. J'ai suivi mon père à Rennes pour commencer mes années de collège. Finalement, j’y suis resté.
MARIE. Alors, c’est quoi ? Un retour aux sources ?
VICTOR. J'ai enterrer ma mère il y a moins d'un mois, et j’ai besoin d’une pause. Dans tout.
MARIE. Désolé, et je comprends. Très bien même…
VICTOR. Ce n’est rien. Enfin, non, ce n’est pas rien, mais vous comprenez…
MARIE. Dîtes... si vous êtes né ici, votre mère aussi ?
VICTOR. Oui. D'ailleurs, vous devez sûrement la connaître. Elle s’appelait Morane.
Elle est surprise.
MARIE. Morane… c’était une de nos plus fidèles clientes. Elle venait tous les jours au restaurant, il nous arrivait des fois d’ouvrir rien que pour elle. Morane avait sa place, sur la banquette avec la vue sur la mer. On lui avait mis des coussins pour qu’elle soit plus à l’aise, ils y sont toujours. Je ne savais pas qu’elle avait un fils, j’en suis navré, ce doit être difficile.
VICTOR. Oui.
Temps.
MARIE. Pourquoi avoir choisi de revenir là ? Vous pensez qu’il sera plus facile de faire votre deuil de cette manière ?
VICTOR. Je ne sais pas vraiment. Je ne savais plus où aller, et j’ai pensé à Debriac.
MARIE. En tout cas, merci d’avoir réservé votre chambre ici. Vous êtes seulement notre deuxième client du mois, et il se termine très bientôt…
VICTOR. Si ça a pu vous être utile.
Victor repart dans la salle où il y a laissé Yves. Marie lit ses comptes et pousse un long soupir.
Les rideaux se ferment.
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