Le chef faisait les cent pas dans son bureau. Il ne savait pas quoi faire. Accepter cette offre ou non. Un confrère lui proposait un échange entre son restaurant et un autre se trouvant sur le nouveau continent, à Los Angeles pour être précis. Ils échangeraient pour une durée de six mois. Tout cela serait dans le cadre d'une émission de télé américaine.

C'était terriblement tentant. Malheureusement cela tombait plutôt mal. Il avait dû se séparer de son sous chef et attendait de travailler avec une nouvelle recrue. Il ne pouvait pas laisser son restaurant dans cette situation. Si seulement il pouvait gagner ne serait-ce que trois mois, le temps de former la jeune cheffe. Il en avait eu de bon retour, elle apprenait vite, pas de raison qu'elle ne fasse pas l'affaire et ne puisse pas tenir le restaurant en son absence.

Alors qu'il était dans ses pensées, il n'entendit pas les premiers coups frappés contre la porte. Ce fut la voix de Barbara, l'hôtesse, qui le tira de sa torpeur.

- Chef, Rosa Delorme vient d'arriver.

Il ouvrit la porte et alla à la rencontre de la jeune femme. Jeune était un bon qualificatif pour désigner la personne qui lui faisait face. Elle devait faire un petit mètre soixante-dix, brune, des yeux verts en amande, des traits fins presque juvéniles et une bouche légèrement ourlée. Ce n'était pas tant sa physionomie qui frappait toute personne qui la voyait pour la première fois, mais plutôt l'intensité de son regard. Elle portait sur elle une telle détermination, elle savait ce qu'elle valait et ne laisserait personne lui marcher sur les pieds. Marc en fut enchanté, c'était ce qu'il lui fallait. Il s'avança alors vers elle et lui tendit la main.

- Bonjour je suis ravi de vous avoir parmi nous Mlle Delorme.

Elle lui serra fermement la main en retour, cependant il remarqua ses joues qui avaient rougi lorsqu'elle avait prit sa main, il en fut un peu contrarié, il n'aimait pas bosser avec des femmes qui s'intéressant autrement à lui que pour le travail :

- Bonjour Chef, je suis enchantée également de pouvoir travailler avec vous.

- Bien, si vous voulez bien, nous avons l'habitude de nous tutoyer c'est plus simple.

- Bien chef, cela me convient.

- Viens par ici, nous allons dans mon bureau signer ton contrat puis je te montrerai l'établissement. Tu pourras déposer tes affaires, lui fit-il en désignant sa mallette.

Il la guida jusque dans la pièce où il gérait l'administratif et lui fit rapidement signer les papiers. Elle était tout d'abord à l'essai et pourrait renouveler le CDD jusqu'à obtenir un CDI. Ils serrèrent la main après avoir rempli les papiers, marquant le début de leurs engagements. Il la guida ensuite dans les différentes pièces du restaurant, lui expliquant les habitudes. Il lui désigna son vestiaire où elle put déposer sa mallette contenant ses outils. Ils allèrent ensuite en salle, où le chef lui présenta officiellement Barbara l'hôtesse d'accueil. Elle rencontra également Steeve, le barman et les deux serveurs, Martha et Louis. Ils l'accueillirent chaleureusement et avec simplicité. Enfin, ils passèrent la porte de la cuisine. Dans les restaurants où elle avait travaillé, c'était la pièce où elle aimait passer le plus de temps, cela devenait souvent son terrain de jeu. Rosa eut l'impression d'entrer dans un nouvel univers, comme si la porte de service était comme le fond de l'armoire qui menait à Narnia. La pièce était très lumineuse, elle avait la même organisation que la cuisine du chef Deschanel qu'elle avait visitée alors qu'elle n'avait que quinze ans. Ce fut comme un flash-back. Elle se revit observant le savant ballet des commis et des cuisiniers. Elle n'écoutait que d'une oreille ce que lui disait le chef, perdue dans ses souvenirs.

- Rosa ? Rosa !

Elle reprit contact avec la réalité en s'excusant.

- L'organisation de la cuisine m'a rappelé celle que vous aviez il y a 6 ans. On se croirait au même endroit.

- Tu as déjà visité mes cuisines ? On s'est déjà rencontré ?

Il fronça les sourcils, surpris. Il fit l'effort de se souvenir, mais rien ne lui revint.

- J'étais en quatrième, notre professeur nous avait amené dans votre restaurant à l'époque pour découvrir les métiers liés à la restauration.

Il hocha la tête pensivement. Il avait accueilli pendant quelques années des visites de collégiens, il avait accepté au départ pour son ami Valery, pour lui rendre service. Il avait continué par la suite, il aimait bien faire découvrir l'envers du décor aux jeunes.

- Je crois que c'est ce jour-là où j'ai découvert ma vocation pour la cuisine.

Marc la regarda, un sous le choc et en même temps flatté. Il espérait néanmoins que ce soit vraiment pour la cuisine et non pas pour lui qu'elle avait eu cette révélation, il était hors de question de mélanger le travail et la vie personnelle. Il en avait bavé quand il avait mis fin à sa relation avec Candice, sa pâtissière de l'époque, peu après la visite des collégiens, se souvint-il. Il refusait de vivre cela une seconde fois. Il y avait bien assez de femmes en dehors du travail, il n'avait pas vraiment besoin de chercher sa notoriété les lui apportait sur un plateau.

- Ravi de l'apprendre, répondit-il poliment. Voilà ton poste de travail pour les semaines à venir, j'aimerais t'observer d'abord en simple cuisinière, puis en sous-chef si cela te va.

Elle acquiesça en souriant, enfin son rêve devenait concret. Alors qu'elle allait répondre, le téléphone du chef sonna.

- Excuse-moi.

Il s'éloigna pour répondre à l'appel. Quand il revint il paraissait gêné.

- J'ai un service à te demander, Sofiane le saucier est coincé aux urgences avec sa fille, il ne pourra pas faire le service, veux-tu bien prendre sa place ?

- Oui, pas de problème. Tu me diras les sauces à préparer, je n'ai pas eu l'occasion de découvrir tes plats et ta carte reste assez mystérieuse, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux.

Il était vrai qu'il avait conçu sa carte de manière à ce que chaque plat soit une surprise pour le client. Ils ne découvrait dans le nom du plat que l'ingrédient principal le plus souvent, pour le reste,il laissait les papilles faire le reste. Rosa quant à elle, n'était pas inquiète outre mesure, elle avait toujours fait en sorte de garder la main dans les différents postes de la cuisine. On n'en attendait pas moins d'un chef.

Marc parut soulagé quand elle accepta et la laissa rejoindre les vestiaires pour qu'elle puisse se changer. Alors qu'elle se dévêtait, elle fut surprise par le chef qui passa la porte. Gêné, il détourna le regard, elle se trouvait en soutien-gorge dos à lui.

- Pardon, je t'ai apporté une tenue de cuisine et un tablier au nom du resto, je ne savais pas si tu avais ce qu'il fallait.

Elle plaqua son tee-shirt contre elle et se retourna :

- Merci.

Il lui tendait les vêtements sans la regarder. Quand elle les attrapa, il tira malgré lui et elle se rattrapa comme elle put en lâchant son tee-shirt. Il esquissa un mouvement pour lui éviter de tomber et ils se retrouvèrent dans les bras l'un de l'autre. Rosa rougit violemment, à la fois en raison de sa tenue et du fait que c'était la deuxième fois qu'il la rattrapait, empêchant ainsi une douloureuse chute. Marc quant à lui fut subjugué par le regard de la jeune femme et frissonna au contact de la jeune femme. Il ne comprit pas vraiment sa réaction et se dégagea en s'assurant qu'elle soit bien stable sur ses pieds.

- Désolé.

- Désolée...

Il l'avait dit tous les deux en même temps. Rapidement, elle lui tourna le dos afin de revêtir sa tenue. Il laissa son regard dériver sur les épaules et le dos de son employée, remarquant une cicatrice longue et effilée qui lui barrait le dos de l'omoplate à la hanche. Il garda sa question pour lui, cela ne le regardait pas. Il se détourna et rejoignit rapidement la cuisine.