Chapitre 25 : Moussaka
Le chef Sanders avait fait tout son possible pour que la jeune femme prenne du repos. Mais la voyant si désespérée de se retrouver seule, il avait appelé son fils à la rescousse. Ce dernier avait le même âge que Rosa et il avait remarqué qu'ils avaient quelques points communs. Jordan arriva peu après ravi de passer du temps avec la jeune femme et de rendre service.
- Hi Rosa !
Rosa n'avait vu Jordan que deux fois depuis l'arrivée de celui-ci en France. Très grand, svelte, à l'allure de mannequin, Jordan avait tout pour plaire. Son sourire de charmeur ne laissait personne indifférent. Rosa afficha un léger sourire, sincère malgré le sentiment de culpabilité qui lui étreignait le cœur.
- Salut Jordan.
- Rosa je ne veux pas que tu restes seule aujourd'hui et Jordan souhaite visiter la ville. Vous vous rendrez service l'un à l'autre, argumenta le chef Sanders.
La jeune femme n'avait pas la force de rejeter la proposition et reconnut qu'elle avait besoin de changer d'air. Jordan lui attrapa le bras et la guida à l'extérieur.
- Bon, dans quelle direction allons-nous ? Je me poserais bien pour boire un café et manger un morceau, lui demanda le jeune Américain.
- Tu n'as pas déjeuné ?
- No, mais je suis sûr qu'il y a un lieu incontournable où prendre le petit-déjeuner.
Rosa acquiesça et l'emmena dans le café près du marché, là où elle se posait avant de faire le tour des étals. Le lieu était paisible et avait une vue imprenable sur l'architecture XIXe des halles. Jordan apprécia aussitôt le lieu et s'installa sur une banquette contre la vitre. Après avoir commandé, ils gardèrent le silence regardant dehors. Ce n'était pas un silence pesant, bien au contraire, Rosa apprécia de ne pas subir un interrogatoire ou un monologue du jeune homme. Il but une gorgée de sa boisson et soupira de bien-être :
- Ahh ! Qu'est-ce que cela fait du bien. Tu viens souvent ici j'imagine.
Rosa hocha la tête, elle n'avait pas envie de parler. Elle savait pourtant qu'il faudrait bien qu'elle décroche un mot un moment ou un autre si elle devait lui faire visiter la ville. Elle prit une grande inspiration et lâcha :
- Tu as envie d'aller dans un endroit en particulier ?
Il haussa les épaules.
- Je n'ai pas envie de faire les grands monuments, mais plutôt découvrir les petits trésors de la ville.
Elle réfléchit un instant et lui proposa :
- On peut faire le tour des passages couverts. Il y a des rues très bien conservées, on se croirait revenu au XIXe. Qu'en dis-tu ? Puis on ira mangé chez Nikos. C'est un authentique grec. Sa cuisine est fabuleuse. Et puis... non je ne te dis rien, ce sera une surprise.
Rosa se prit finalement au jeu. Elle oublia quelques heures le harcèlement de Luigi et l'état de Robert. Elle avait envoyé quelques messages d'encouragement à sa femme et surtout elle demanda des nouvelles de l'état de son ami et collègue. Son état était stationnaire.
Elle se força à manger quelques beignets de tomates et le poulpe grillé. La cuisine grecque de Nikos le méritait et elle apprécia son repas. Jordan fut plus bavard, racontant des anecdotes de l'université. Elle rit même lorsqu'il lui raconta la déconvenue qu'il avait subi quand il avait découvert sa petite amie en sous-vêtements avec son meilleur ami dans les vestiaires de l'université.
- Je suis désolée pour toi, mais c'est vraiment drôle.
Jordan bouda une seconde pour la forme, mais fut ravi d'avoir diverti la jeune cheffe. Elle était vraiment belle lorsqu'un sourire éclairait son visage.
- On continue ?
- Okay ! Je te suis !
Elle l'emmena dans un de ses passages préférés de la ville. Elle eut de la chance car un chanteur chantait un air d'opéra. L'acoustique si particulière renvoyait les notes avec justesse et délicatesse. Ils s'arrêtèrent pour apprécier ce moment hors du temps. Le chant lyrique, racontant un amour naissant, donnait la chair de poule aux spectateurs. Jordan se rapprocha de Rosa et glissa sa main dans la main de la jeune femme. La jeune femme n'y prêta pas attention, concentrée sur ce qu'elle ressentait. Alors que le chanteur saluait, Jordan tira la jeune femme vers l'extrémité opposée de la ruelle. Il ne quitta ainsi pas la main de Rosa.
- C'était vraiment magnifique ! s'extasia la jeune femme.
- Oui, j'en ai encore des frissons.
Alors qu'ils passaient devant une petite porte qui ne payait pas de mine, Rosa essaya de l'ouvrir et après avoir constaté qu'elle n'était pas verrouillée, elle attira l'américain avec elle. Ils se retrouvèrent dans une courette aux pavés inégaux. Un escalier en pierre à droite semblait être la seule issue.
- Qu'est-ce que ...
Il n'eut pas l'occasion de finir sa phrase que Rosa lui fit signe de se taire en plaçant un doigt sur ses lèvres. Lui tenant la main, elle le guida sur le premier palier et le fit entrer dans un lieu sombre, sentant le renfermé et la sueur. Une vieille odeur de poussière aussi leur chatouillait le nez. Elle passa une porte où un petit écriteau indiquait "paradis". Rosa poussa la battant et ils firent face à une salle de théâtre à l'italienne. Les fauteuils en velours rouges grincèrent lorsqu'ils s'assirent. Ils durent s'appuyer à la rambarde pour saisir l'ensemble de la salle. Un lustre gigantesque éclairait le parterre. Sur scène, une troupe répétait une pièce qu'ils ne reconnurent pas tout de suite. Elle comprit au bout d'un moment qu'il s'agissait d'une pièce de Marivaux, elle souffla le titre à l'oreille de Jordan :
- C'est le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux.
Il hocha la tête pour lui faire comprendre qu'il avait compris mais il ne connaissait absolument pas la pièce. Il ne comprenait pas tout ce que disait les comédiens, mais sourit à quelques passages qu'il trouva drôles. Au bout d'un certain temps, ils décidèrent de quitter les lieux. Jordan lui reprit la main alors qu'ils avaient retrouvé le passage couvert. Rosa sourit mais elle se sentit un peu mal à l'aise, elle appréciait sa prévenance et l'intérêt qu'il lui portait, mais elle n'éprouvait pas d'attirance pour le jeune homme. Elle appréciait sa compagnie et acceptait volontiers son amitié, mais il n'y avait pas de place pour autre chose.
- J'ai soif. Je t'offre un verre ?
Il était dix-sept heures déjà. Rosa accepta. Elle l'amena au Procope. Le lieu historique était certes un peu cher mais pour le morceau d'histoire qu'il représentait, le détour était inévitable. Jordan écouta la jeune femme lui raconter les auteurs célèbres qui étaient passés dans ce café et le rôle qu'il avait joué. Il ne connaissait pas tout mais reconnut quelques noms comme Voltaire et Verlaine.
Alors qu'un silence se prolongeait, Jordan lui prit la main et la porta à ses lèvres. Il y déposa un léger baiser.
- Rosa, j'ai passé une magnifique journée en ta compagnie, j'ai apprécié chaque découverte et plus encore, j'ai aimé passer ce temps avec toi. Je... Tu ... tu me plais Rosa.
Ce que craignait la jeune femme se réalisait. Avec douceur elle retira sa main. Déjà les traits du jeune homme s'affaissèrent.
- Ma vie est un peu trop compliquée pour l'instant Jordan. Je ne suis pas disponible pour une histoire d'amour.
Il prit une gorgée de café pour reprendre contenance.
- On peut être amis aussi. J'ai, moi aussi, apprécié passer du temps avec toi.
Il hocha la tête, la regarda intensément, puis baissa les yeux lorsqu'il déposa sa tasse.
- Bien , alors est-ce que tu veux bien me raconter ce qui te préoccupe ? Comme ami, je suis une épaule solide et une oreille attentive et discrète.
Rosa sourit, soulagée qu'il ne se vexe pas. Elle acquiesça et lui raconta un petit bout de son histoire. Elle omit les passages scabreux et exprima ses inquiétudes. Jordan n'avait pas menti, il semblait concentré sur les mots qui s'échappaient de sa bouche. Cela lui fit du bien.
Alors qu'ils prenaient le chemin du retour, le téléphone de la jeune femme se remit à sonner, c'était Lydia. Sans attendre, elle décrocha. Au bout du fil, les sanglots ne lui permirent pas de comprendre ce qu'elle disait. Rosa blêmit, s'imaginant que l'état de Lydia était lié à la dégradation de celui de Robert.
- Je ne comprends pas Lydia, je ...
- Il... sniff... il ....
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