8 - Chloé - Jeudi AM

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Je sors de mon état de choc cherchant ce qui pourrait me protéger, me défendre. Je n’ai rien ici. Je dois descendre chercher une arme, une lame ou n'importe quoi d'autre qu'un coupe-légumes. Dans la cuisine...

Ou mon téléphone.

Je me précipite pour récupérer mon GSM en charge dans la chambre. Et c'est devant le pas de l’intrus qui a sali le tapis de ma chambre que je comprends par où il est rentré.


Cette empreinte marque le viol de mon domaine…

Je dévale les escaliers pour me saisir dans la cuisine du plus grand des couteaux. Le tenant bien devant moi, je me rends à la porte d’entrée, mais celle-ci est toujours bien verrouillée.

— Courage, ma fille, Si ce n’est par le bas, c’est donc par le haut qu’il s’est échappé.

Je remonte les escaliers en gardant la même posture. Les pièces sont ainsi agencées qu'il est facile de vérifier si elles sont vides de toute présence. Arrivée tout en haut, dans les chambres mansardées, je ne vois tout d’abord aucun changement. Mais en regardant mieux, le système de fermeture d’un des vasistas me semble différent. C’est donc par là que l’intrus s’est enfui. Je verrouille cette fenêtre de toit correctement. J’en profite pour faire de même avec l’accès à l'étage.

Je contrôle tous les moindres recoins, le coeur battant à tout rompre. Maintenant que je retrouve un peu de calme, la peur s'insinue en moi. Il pouvait me violenter voire me tuer. Or, il n’en a rien fait. Lucidement, je me dis qu’il ne me voulait pas de mal. Cela aurait été facile pour lui, j’étais nue sous la douche. Et il n’avait rien pris ; tout au plus dispersé les papiers. Mais alors, que veut-il ? Qu’attend-il de moi ?

Beaucoup de questions mais l’heure tourne inexorablement, indifférente à mon stress. Je me hâte pour m’habiller, commande un taxi et me rends à la société Vancelor pour mon rendez-vous professionnel. Au moins, cela me sortira du cauchemar de cette journée. Mes neurones seront occupés à bien d’autres choses.

…..

La société Vancelor Import-Export s'occupe également du reconditionnement de marchandises. Elle se trouve en périphérie de la ville, dans la zone industrielle. Devant un espace de parking, deux bâtiments bien séparés.

À l’accueil du bloc administratif, je demande sèchement à voir le responsable des Ressources Humaines. On me conduit à son bureau.

Les affaires commencent et j’allais peut-être oublier mes tracas pour quelques instants.

— Mme Dubrovski. Quel plaisir de vous voir enfin parmi nous. Vous avez fait bon voyage ? s’enquit le DRH en me faisant rentrer dans son bureau.

— Très bon, je vous remercie. De votre côté, vous avez réponse aux questions et attentes que je vous ai transmises ? lui réponds-je, avant même de m’asseoir, n’étant pas encore tout à fait calmée.

— Quel enthousiasme, quelle énergie ! Voici les rapports demandés. Je vais vous indiquer votre nouveau bureau. J’ai détaché Anne de son service. Elle vous servira d’assistante, le temps de votre mission.

…..

Ce n’est qu’une fois seule, dans ce qui va être mon espace pour ces jours prochains, que je me libère peu à peu de mes tensions. Ce Mr Ferraille ne me plaît pas. Un drôle de ressenti m’a oppressée tout le temps de sa présence.

Il me faut de l’air. Je quitte précipitamment la pièce sous les regards ahuris des secrétaires et sors du bâtiment. Arrivée sur le parking, je peux enfin un peu mieux respirer.

— Oh, la Souris, tu as perdu ton chemin ? Viens donc par ici. On va s’occuper de toi.

Deux jeunes ouvriers se tiennent à l’entrée d’un quai de déchargement et m’interpellent.

Ils veulent de la conversation ? Eh bien, ils vont en trouver. Je vais passer mes nerfs sur eux.

Les fusillant du regard, j’avance vers eux d’un pas ferme. Déjà à cela, je vois comme une hésitation dans leurs postures.

— Tout d’abord, on m’appelle Madame. Nous n’avons pas fréquenté le même monde et mangé aux mêmes tables. Est-ce bien compris ? leur dis-je.

— Où tu t' crois pour nous parler comme ça ? Tente de répondre le premier.
— Sur votre lieu de travail et vous êtes prié de me vouvoyer. N’est-ce donc pas assez clair. Où est donc votre chef d’équipe ?

— Derrière vous, M’dame. Z’êtes perdue ? Grogne un homme ventru arrivant par-derrière moi.

— Pas du tout ! Mais ce n’est pas le cas de vos ouvriers qui ont perdu le chemin de leurs ateliers. Je suis Mme Dubrovski, continué-je.

— Ah, le service de nettoyage ! Z’êtes pas en tenue pour ça, ricane-t-il.

Je commence à m’étrangler mais remarque son léger sourire. Il joue avec moi.

— Il est vrai que j’aurais dû prendre mes bottes au lieu de mes chaussures pour nettoyer de telles écuries !

— Pourquoi cacher de si jolies jambes ? Continue-t-il en me fixant au fond des yeux.

Il veut vraiment jouer ? Alors, moi aussi ! On va s'amuser.

— C’est pour éviter que votre regard ne s’y perde et que le rendement ne prenne le même chemin de traverse.

— Qu’est-ce que vous en savez du rendement ? Dit-il d’une voix sourde et avec un éclat dans les yeux qui ne rassure pas.

Je prends le risque de lui répondre.

— Des chiffres me disent que ce n’est pas ici que je vais trouver le travail. Mais je voulais voir l’humain derrière la machine. Et pas celui qui reste accoudé au mur.

Tout en tournant mon regard vers les deux jeunes qui nous fixent ébahis.

Ils détalent sous mon regard. Lorsqu’un rire franc vient frapper mes oreilles.

— Tu me plais bien, toi ! Bienvenue ! Viens, je vais te montrer ce qu’il y a à voir, continue-t-il en me prenant par le coude.

— Un problème, Mme Dubrovski ? S’exclame Mr Ferraille sortant du bloc administratif.

Mais avant que je ne puisse lui répondre, mon accompagnateur rétorque :

— J’va lui montrer les écuries.

Laissant éberlué le DRH répétant :

— Écuries, quelles écuries ?

C’est presque en me traînant par le bras que ce bonhomme, qui me dépasse d’une tête, m’emmène dans le hall industriel. Bien à l’intérieur, il me lâche enfin.

— Je m’appelle Chapon – Raymond – pour les intimes. J’suis contremaître de production.

— Je m’appelle Dubrovski – Chloé – pour les intimes. Je suis chargée de ramener une rentabilité à votre outil. Ne puis-je m’empêcher de lui répliquer sur le même ton et sans respirer.

On s’échange un long regard. Il finit par dire.

— Tu me plais pas mal. Fais attention au Père Ferraille.

— Tu n’es pas mon genre, mais je tiendrai compte de ton avis, réponds-je en accentuant sur le tutoiement.

Son sourire allait d’une oreille à l’autre…

…..

Plus de deux heures plus tard, après la visite complète de la chaîne de production et les commentaires de ce Raymond, je suis épuisée ; noyée sous le flot d’informations. Ce Chapon a un sens réel des besoins mais aussi des dysfonctionnements. À toutes mes questions, il répond sans détours. Il parle d’un ton enthousiaste voire ému de son travail. Mais aussi, il sait montrer les crocs face aux regards équivoques et autres commentaires machistes à mon égard. Personne ne s’est moqué ou ne lui a manqué de respect, montrant ainsi, mieux que de réels discours, la personnalité réelle du personnage.

— Raymond, je suis morte ! C’est tout ce que je trouve à lui dire à la fin de la visite.

— Ma p’tite Chloé, faut prendre des vitamines et arrêter de faire des galipettes la nuit. Faut dormir ! Ajoute-t-il en éclatant d’un bon rire sous mon air choqué.

Il me ramène à son local et me fait asseoir à son bureau. Il revient près de moi en traînant un autre fauteuil derrière lui.

— De toutes façons, il s’en sert pas.

Devant mon regard étonné, il m’explique que de l’autre côté du couloir se trouve le bureau du directeur de la production. C’est le fils du patron, plus occupé à jouer au golf qu’à user ses yeux sur l’écran de son ordinateur.

— Peut-être que lorsqu’il saura le beau petit lot que t’es, il reviendra !

Il éclate de rire sous mon regard noir.

Nous avons encore discuté un peu ; mais de sujets plus légers. Comme si nous faisions une trêve, une pause. Il me dit être marié et que l’adolescence de sa fille lui pose quelques problèmes. On découvre que nous habitons le même quartier. Aussi, me propose-t-il du covoiturage pour ce soir.

Lorsque je retourne à mon bureau, Mr Ferraille semble m’attendre dans le couloir. Il me signale – sans vouloir s’immiscer dans mon travail d’investigation – qu’il n’est peut-être pas très prudent de converser avec le délégué syndical le plus virulent du groupe.

Je ne peux m’empêcher de lui répondre qu’à ce stade de mes recherches, rien n’est prudent pour moi. Qu’il me laisse faire mon travail et nous en reparlerons sûrement par après.

Les lèvres pincées, il retourne dans son bureau. Les secrétaires ont les regards figés sur leurs écrans et de légers sourires aux lèvres. Le mien est plus franc.

Une bien belle après-midi !

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