– Alors, comment vous sentez-vous ce matin ? Comment s’est passée la séance d’hier ?

– C’était horrible, docteur… Je crois que c’était la pire session d’écriture que j’ai vécue depuis le début, vous savez.

– Mais pourquoi cela ?

– Je n’y arrivais pas. J’étais à la torture. Mes idées tournaient en rond. Les mots ne venaient pas. J’ai passé une journée et nuit affreuse à me tourmenter, à penser que ça ne valait rien.

– Attendez, vous parlez de vous ou de votre personnage ?

– Comment cela ?

– Hé bien, c’est tout de même remarquable que vous viviez ces moments difficiles alors même que votre personnage se trouve lui-même plongé dans la tourmente, dans les doutes et passe une nuit horrible.

– Vous voulez dire que je serais en train de m’identifier à lui ?

– Ou que lui essaye de s’identifier à vous pour s’échapper… En tout cas vous devez être vigilant de ne pas vous faire absorber complètement. Rappelez-vous que c’est vous qui racontez votre histoire mot après mot. Si vous vous laissez déborder, vous risquez de vous perdre et de ne plus maîtriser la réalité. C’est un phénomène connu de glissement de personnalité qui se produit aussi parfois chez les acteurs, lorsqu’un rôle s’incarne dans notre monde à l’insu de la personne qui le joue.

– Maintenant que vous le dites, je commence à comprendre… Je vais essayer, mais ce n’est pas simple, surtout lorsque je dois exprimer sa souffrance.

– Oui, parce que vous avez à cœur de comprendre et d’endurer, de ressentir et d’exprimer et c’est tout à votre honneur. Mais il faut malgré tout garder la juste distance pour conserver le contrôle et le recul nécessaire. Vous comprenez ?

– Oui, je crois. Merci, docteur…

– Alors, il n’y a plus qu’à démarrer votre séance de la journée, n’est-ce pas ?

– Oui.